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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 08:03

 

juan de flandes crucifixion

Juan de Flandes (Flandres, c.1460/65 ?-Palencia ?, c.1519),
La Crucifixion
, c.1509-1518.

Huile sur bois, 123 x 169 cm, Madrid, Musée du Prado.
[image en haute définition ici]

 

Pour se convaincre de l’intensité des échanges entre Nord et Sud, Espagne et Flandres en l’occurrence, il suffit de se rendre, virtuellement ou réellement, à Madrid, plus précisément au Musée du Prado, afin d’y contempler une des plus importantes réunions de tableaux flamands des XVe et XVIe siècles qui soit au monde, en quantité comme en qualité. La musique, au même titre que la peinture, atteste de cette rencontre entre deux cultures a priori éloignées et de la capacité des compositeurs autochtones à s’approprier la manière septentrionale. Le disque consacré majoritairement à Francisco de Peñalosa, autour de sa Missa Nunca fue pena mayor, que viennent de publier, en collaboration avec le Festival de Maguelone, l’Ensemble Gilles Binchois et Les Sacqueboutiers chez Glossa en offre un passionnant témoignage.

« Parmi les chanteurs de notre chapelle lors des occasions solennelles se trouve notre cher fils, Francisco de Peñalosa (…) musicien extraordinaire [qui] possède un art si exquis (…) que nous désirons ardemment sa présence constante. » Ainsi s’exprime le pape, notoirement mélomane, Léon X pour tenter d’apaiser les récriminations du chapitre de Séville au sujet du séjour romain de son compositeur attitré qui tendait à se prolonger un peu trop à son goût. S’il ne jouit pas aujourd’hui de la même célébrité que Morales ou Victoria, la présence de Peñalosa à Rome en dit long sur la renommée qui était la sienne de son vivant. michel sittow ferdinand II aragonCe fils d’un serviteur de la maison de la reine Isabelle est né à Talavera de la Reina vers 1470 et si l’on est réduit, comme souvent avec les musiciens de cette époque, à des conjectures pour ce qui regarde sa formation, il y a fort à parier qu’elle fut sévillane. Le 11 mai 1498, date de la première mention officielle de son nom, il est engagé en qualité de chanteur de la chapelle royale de Ferdinand II d’Aragon, au service duquel il va demeurer jusqu’à la mort du souverain, en 1516, tout en cumulant, sur le conseil de ce dernier, un canonicat à la cathédrale de Séville, auquel il postule dès la fin de l’année 1505, ainsi qu’un poste de maître de chapelle, à partir de 1511, auprès du prince Ferdinand, fils de Philippe le Beau et de Jeanne la Folle. En 1517, Peñalosa se rend à Rome pour y chanter dans le chœur papal ; il va y demeurer jusqu’à la mort du pontife en décembre 1521, une situation dont nous avons vu qu’elle n’avait pas été sans provoquer quelques tensions. À son retour en Espagne, il retrouve néanmoins son poste à la cathédrale de Séville, où ses messes se sont durablement installées au répertoire comme le démontre le recueil qui en est réalisé vers 1510-1511, et c’est tout naturellement qu’il y trouve sa sépulture à sa mort, le 1er avril 1528.

On ignore quand et pour quelle occasion Peñalosa écrivit sa Missa Nunca fue pena mayor, qui utilise comme cantus firmus une chanson, en son temps célébrissime, composée dans les années 1470 par le maître de chapelle du premier duc d’Albe, Juan de Urrede, né Johannes de Wreede à Bruges sans doute au début de la décennie 1430, bel exemple de rencontre entre texte espagnol et polyphonie franco-flamande. Peñalosa n’est d’ailleurs pas le seul à utiliser cette mélodie, puisqu’on possède également une messe de Pierre de la Rue (c.1460-1518), publiée en 1503, qui se fonde sur elle, ce qui a conduit certains chercheurs à supposer que la partition de l’Espagnol pourrait être une réponse à celle de son collègue du Nord, au service de Philippe le Beau, une hypothèse qui permettrait de placer l’œuvre dans la première décennie du XVIe siècle. juan de flandes crucifixion detailCe qui frappe le plus dans cette messe, que le choix de Nunca fue pena mayor (« Jamais ne fut douleur plus grande ») comme « thème unificateur » teinte fortement de dévotion mariale, la souffrance extrême étant celle de la mère au spectacle de son fils mourant sur la croix, est peut-être, comme souvent chez Peñalosa, son extrême sobriété conjuguée à de remarquables capacités d’invention. Le traitement de la mélodie de la chanson est, à cet égard, révélateur, car si elle se déploie dans toute sa nudité à la voix supérieure dès le premier Kyrie en demeurant parfaitement perceptible et identifiable, le compositeur va ensuite faire montre d’une grande imagination dans son traitement, par exemple en brodant dessus (Christe) ou en la combinant avec des mélodies grégoriennes (Gloria, Credo). Bien que de tels procédés révèlent une maîtrise certaine des techniques d’écriture, l’œuvre sonne néanmoins toujours avec beaucoup de clarté et de simplicité, loin du caractère parfois extrêmement complexe et un rien ostentatoire des polyphonies développées en Flandres. Les mêmes qualités se retrouvent dans les motets proposés en complément de programme, certains d’attribution contestable, comme Memorare Piissima, probablement dû à Pedro de Escobar (c.1465-après 1535), qui semblent marqués par une volonté supérieure d’expressivité, prenant l’auditeur à partie pour mieux le conduire à la méditation, comme le montrent l’utilisation des silences dans Ave vera caro Christi ou la dramatisation d’In passione positus.

Ceux qui suivent attentivement le parcours de l’Ensemble Gilles Binchois (photographie ci-dessous) savent que Dominique Vellard a toujours montré un intérêt particulier pour le répertoire hispanique, comme le prouvent deux superbes disques consacrés à Escobar (Requiem, Virgin, 1998, et Missa in Granada, Christophorus, 2003) ; il revient à ses premières amours avec la Missa Nunca fue pena mayor, puisque c’est avec cette œuvre qu’il avait choisi d’inaugurer le parcours discographique de son ensemble en 1981. Enregistré dans la superbe acoustique de la cathédrale de Maguelone, parfaitement maîtrisée et restituée par la prise de son toute en finesse d’Aline Blondiau, ce disque s’impose d’emblée par la cohérence de ses choix esthétiques et la sensation d’intériorité qu’il dégage. Le programme, composé avec une indéniable intelligence, replace la messe dans le contexte de la Passion, une option complètement valable et défendue avec un réel souci d’expressivité et de variété par les chanteurs, mais aussi par les instrumentistes des Sacqueboutiers dont les interventions, que d’aucuns trouveront peut-être historiquement discutables, sont réalisées avec un naturel et un discernement qui les honorent. ensemble gilles binchois les sacqueboutiersLa réalisation vocale est de très bon niveau et parvient à rendre pleinement justice à la simplicité presque austère de la musique tout en faisant saillir son inventivité et en lui apportant la densité et l’animation qu’elle requiert. Si l’on excepte quelques tensions ou fluctuations ponctuelles dans les registres aigus, d’ailleurs largement compensées par l’implication des chanteurs, l’ensemble sonne avec beaucoup de plénitude et de transparence, sans que la personnalité de chaque voix soit pour autant diminuée ou effacée. En s’appuyant sur leur connaissance et leur pratique des répertoires antérieurs, Dominique Vellard et ses chantres livrent une vision très orante et concentrée de la messe comme des motets, dont les élans les plus progressistes luisent peut-être avec d’autant plus d’éclat que l’on perçoit ici avec netteté la tradition dans laquelle ils s’inscrivent. Leur disque prend donc tout naturellement place parmi les meilleurs consacrés à Peñalosa.

 

Je vous recommande donc cet enregistrement dédié à un musicien qui n’a pas encore complètement acquis, à mon avis, la place qu’il devrait avoir dans le paysage de la musique du XVIe siècle et dont les œuvres sont ici particulièrement bien servies par l’Ensemble Gilles Binchois. Puisse cette réalisation de grande qualité donner l’envie aux musiciens et aux éditeurs de se lancer dans l’exploration des cinq autres messes de Peñalosa, mais aussi de ses lamentations, peu ou imparfaitement documentées au disque.

 

francisco penalosa missa nunca fue pena mayor ensemble gillFrancisco de Peñalosa (c.1470-1528), Missa Nunca fue pena mayor, hymnes et motets.

 

Ensemble Gilles Binchois
Les Sacqueboutiers
Dominique Vellard, direction

 

1 CD [durée totale : 58’43”] Glossa GCD 922305. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Missa Nunca fue pena mayor : Kyrie

2. Missa Nunca fue pena mayor : Agnus Dei

3. In passione positus Iesus, motet

 

Illustration complémentaire :

Attribué à Michel Sittow (Reval, c.1469-1525/26), Portrait de Ferdinand d’Aragon, c.1500. Huile sur bois, 29 x 22 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

La photographie de l’Ensemble Gilles Binchois et des Sacqueboutiers est de Roxanne Gauthier. Je remercie l’Ensemble Gilles Binchois de m’avoir autorisé à l’utiliser.

 

Je remercie Philippe Leclant, directeur du Festival de Maguelone, d’avoir rendu possible la réalisation de cette chronique.

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 17:18

 

francois clouet la lettre d amour

François Clouet (Tours ? c.1516-Paris, 1572),
La lettre d’amour
, c.1570.

Huile sur papier marouflé sur bois, 41,5 x 55 cm,
Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.

 

Le nom de Pascale Boquet ne vous est peut-être pas familier, sauf si vous êtes amateur de musiques de la Renaissance et du premier XVIIe siècle. Cette brillante luthiste officie notamment, en effet, au sein des ensembles Doulce Mémoire et Les Witches où sa science de l’accompagnement fait merveille depuis des années. Elle nous propose aujourd’hui ce qui est, sauf erreur de ma part, son premier disque en qualité de soliste en nous offrant Du mignard Luth…, un florilège de pièces composées en France et en Italie au XVIe siècle que publie la Société française de luth.

La conjonction de deux inventions, l’une spécifique à l’instrument, l’autre plus générale, va assurer au luth un développement considérable, au point de faire de lui un des symboles musicaux voire sociétaux de la Renaissance, dont la présence hante aussi bien la poésie que la peinture, incarnation du raffinement né d’une parfaite éducation, accompagnateur des joies et des tourments des amants dont il exalte l’ardeur et console les plaintes, signe aussi de la fragilité de l’existence quand une de ses cordes est brisée, comme dans les fameux Ambassadeurs (1533) de Hans Holbein le Jeune. Dans une même logique d’élargissement, le plectre au moyen duquel les chœurs du luth étaient auparavant pincés est abandonné vers la fin du XVe siècle au profit du jeu avec les seuls doigts, avec pour conséquence immédiate le passage de la monodie à la polyphonie, tandis que l’invention de la tablature, dans les première années du XVIe siècle, permet dorénavant de noter les œuvres avec toute la précision souhaitable et de les diffuser largement grâce à une autre toute jeune technique, l’imprimerie. bartolomeo veneto femme jouant du luthCe contexte matériel très favorable va probablement jouer un rôle de puissant stimulant auprès des musiciens et les inciter à élargir et à diversifier leur répertoire. Outre les habituelles danses, ils vont continuer à composer des arrangements de plus en plus élaborés de chansons à la mode, comme le montrent, dans ce disque, des pièces s’inspirant de celles de Claudin de Sermisy, Thomas Crecquillon, Pierre Sandrin ou de l’inévitable Josquin des Prés, de psaumes voire de mouvements de messe, mais aussi créer de nouvelles formes leur permettant de faire montre de leur savoir-faire tant contrapuntique que mélodique et, le plus souvent, de leur talent de virtuose. C’est ainsi que naissent nombre de préludes, ricercares et fantaisies (ces deux termes étant, à l’époque, interchangeables), élaborations toujours plus savantes et complexes dont témoigne la production conservée de deux Italiens, l’un actif dans son pays, Francesco da Milano (1497-1543), l’autre principalement en France, Alberto da Mantova, dit Albert de Rippe (c.1500-1552), arrivé à la cour de François Ier à partir de mai 1529.  Les livres de comptes gardant trace des salaires faramineux qui leur étaient octroyés par leurs prestigieux employeurs, les hommages admiratifs que leur rendirent poètes et chroniqueurs de leur vivant comme après leur mort  attestent de leur fabuleuse renommée et du charme exercé sur les auditoires par ces deux luthistes dont on peut dire qu’ils contribuèrent à changer la face du répertoire dédié à leur instrument.

Pascale Boquet (photographie ci-dessous) aborde les pièces de cette anthologie avec le naturel immédiatement séduisant que lui autorise sa fréquentation assidue et attentive de la musique du XVIe siècle et c’est avec beaucoup de plaisir qu’on lui emboîte le pas durant la presque heure et quart que dure ce récital. Il me semble qu’elle l’a construit dans un double but, cherchant à la fois l’agrément de l’auditeur, mais aussi son instruction, les œuvres proposées offrant au moins un exemple de chaque partie du répertoire où l’on a composé pour le luth, tandis que la mise en miroir entre France et Italie fait apparaître les subtils jeux d’échos mais aussi les différences qui se tissent entre elles. pascale boquet gerard proustCes deux objectifs sont pleinement atteints, grâce à l’intelligence et à l’inventivité d’une musicienne en pleine possession de ses moyens techniques qui, sur deux superbes instruments, au grain bien restitué par la prise de son, signés par le luthier Didier Jarny, fait assaut de souplesse comme de clarté dans la conduite de polyphonies parfois touffues et trouve immanquablement le ton juste pour caractériser chacune des pièces, qu’il s’agisse de l’humeur tendre ou piquante des chansons ou du dynamisme des danses, dont la nature rythmique est judicieusement soulignée par le recours partiel à la guiterne (guitare Renaissance). La modestie de Pascale Boquet, sans nul doute aiguisée par son rôle habituel d’accompagnatrice, la conduit, tout en conservant une incontestable maîtrise du flux musical et en lui imprimant une marque personnelle faite de beaucoup de subtilité et d’une remarquable capacité à faire jaillir de splendides couleurs des chœurs qu’elle touche, à s’effacer devant les partitions en ne les surchargeant jamais et en les laissant aller leur cours le plus librement possible, ce qui, dans les pièces les plus méditatives, permet de véritables instants de poésie. C’est peut-être dans cette sensation d’intimité que transmet le dialogue entre la musicienne et ses instruments que réside une des grandes réussites de cet enregistrement qui nous transporte dans l’univers à la fois plein de raffinement et d’une affabilité sans apprêts que l’on peut imaginer être celle d’un concert donné pour quelques familiers au cœur du XVIe siècle.

Je vous recommande donc chaleureusement ce magnifique florilège signé par Pascale Boquet qui rend splendidement justice à la musique pour cordes pincées italienne et française de la Renaissance et constitue une introduction assez idéale pour la faire connaître et surtout aimer. Malgré sa distribution confidentielle, il faut souhaiter que cette réalisation réussisse à trouver l’audience la plus large possible, condition nécessaire pour permettre à la Société française de luth d’en entreprendre d’autres aussi importantes, qu’il s’agisse du répertoire français, où des découvertes restent encore à effectuer, ou allemand, encore si scandaleusement négligé.

 

du mignard luth pascale boquetDu mignard Luth… Fantaisies, chansons et danses françaises et italiennes de la Renaissance pour luth et guiterne

 

Pascale Boquet, luth à 7 chœurs (Didier Jarny, Tours, 2003) & guiterne à 4 chœurs* (Didier Jarny, Tours, 2002)

 

1 CD [durée totale : 73’42”] Société française de luth SFL 1105. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Giovanni Antonio Casteliono (éditeur), Pavana & Saltarello (1536)

2. Perino Fiorentino, Fantasia prima (1547)

3. Pierre Phalèse & Jean Bellère (éditeurs), Branle d’Écosse (1570)*

4. Adrien Le Roy (éditeur), M’amye est tant honneste (chanson originale de Pierre Sandrin, arrangement publié en 1559)

 

Illustrations complémentaires :

Bartolomeo Veneto (documenté à partir de 1502-Milan, 1531), Femme jouant du luth, c.1530. Huile sur bois, 55,88 x 41,27 cm, Los Angeles, Getty Museum.

La photographie de Pascale Boquet est de Gérard Proust, utilisée avec autorisation.

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 16:48

 

george lambert chiswick vue de la terrasse de la cascade

George Lambert (Kent ? 1700 ?-Londres, 1765),
figures attribuées à William Hogarth (Londres, 1697-1764),
Vue de la terrasse de la cascade, Chiswick House
, 1742.

Huile sur toile, 81 x 104 cm, Londres, Chiswick House.
(Photo © English Heritage Photo Library/Chiswick House & Gardens Trust)

 

La musique anglaise de la première moitié du XVIIIe siècle a eu bien du mal à émerger de l’ombre projetée sur elle par un ogre nommé Georg Friedrich Händel, et il a fallu la vague de curiosité née du mouvement « baroqueux » pour que réapparaisse une foule de noms jusqu’alors condamnés à l’obscurité mais qui furent pourtant tout aussi, voire parfois plus loués que celui du Caro Sassone. Parmi ceux-ci, l’ensemble bruxellois Les Muffatti a choisi Giuseppe Sammartini, auquel il consacre aujourd’hui une anthologie publiée par Ramée et intitulée Concertos & Overtures.

Dire que Giuseppe Sammartini est un parfait inconnu est inexact, puisqu’une partie de son œuvre a connu les honneurs de l’enregistrement, particulièrement ses sonates pour instruments à vents et ses concertos pour orgue. Il reste néanmoins beaucoup à découvrir sur ce compositeur né en 1695 dans une famille de musiciens d’origine française installée depuis peu à Milan, qui suivit les traces de son père, Alexis Saint-Martin, en choisissant, comme lui, de pratiquer le hautbois. Il acquit une telle maîtrise de cet instrument qu’elle lui valut d’être invité à Venise dès 1715 puis, sans doute, à Londres en 1723 et 1724, avant de faire l’admiration de Johann Joachim Quantz (1697-1773), pourtant fort peu porté à l’indulgence, qui l’entendit lors d’un concert vénitien en 1726 et en demeura durablement ébloui. Les raisons qui poussèrent Giuseppe à quitter son pays natal pour aller s’installer en Angleterre contrairement à son cadet, Giovanni Battista (c.1700/01-1775) qui fit, lui, une brillante carrière de maître de chapelle à Milan, sont obscures. Il est probable que le relatif déclin qui commençait à toucher la musique instrumentale en Italie, les esprits étant alors tout accaparés par l’opéra, y soit pour quelque chose, même s’il n’empêchera pas Giovanni Battista de léguer à la postérité un volume appréciable de symphonies dont l’influence sera importante quant à l’élaboration, via son élève Gluck et les conseils prodigués à Johann Christian Bach (1735-1782) et Mozart, du style classique, et que la concurrence que pouvait représenter un frère bien doué soit également entrée en ligne de compte. philip mercier frederick prince de galles et ses soeursToujours est-il qu’en 1729, après un crochet par la cour de Bruxelles l’année précédente, Giuseppe s’installe définitivement à Londres où il connaît, à l’opéra comme au concert, un grand succès en tant que virtuose du hautbois, doublé d’une reconnaissance de son statut de compositeur, ses recueils finissant, après une période d’adaptation aux exigences du public, par bien se vendre. Entré au service du prince Frederick de Galles en 1736, en qualité de maître de musique de sa femme et de ses filles, mais également de directeur de sa musique de chambre, Giuseppe Sammartini conserve ce poste jusqu’à sa mort survenue subitement en novembre 1750.

Sa musique instrumentale, telle qu’elle apparaît dans cet enregistrement très complet, est un kaléidoscope fascinant qui, au même titre que nombre de pages signées par Charles Avison (1709-1770), Thomas Arne (1710-1778) ou William Boyce (1711-1779), s’enracine profondément dans la jeune tradition inaugurée par Francesco Geminiani (1687-1762), dont les premiers Concerti grossi d’après Corelli sont publiés en 1726, et l’inévitable Händel, dont l’Opus 6 paraît en 1739, tout en regardant déjà au-delà, vers le style combinant fluidité « galante » et clarté déjà classique d’un Johann Christian Bach (installé à Londres en 1762), teinté, ça et là, des élans préromantiques qui commençaient déjà à agiter la musique d’Allemagne du Nord. Bien sûr, il ne faut pas demander à ces œuvres autre chose que ce qu’elles peuvent offrir ; conçues pour l’agrément d’un public choisi, elles font, la plupart du temps, primer la légèreté et la virtuosité sur l’effusion personnelle, quand bien même quelques nuages, particulièrement dans les partitions en mode mineur, viendraient assombrir un horizon généralement assez riant. Il convient cependant de ne pas se laisser abuser par cette apparence de facilité, car un peu d’attention dévoile l’art d’un compositeur parfaitement maître de son métier et suffisamment intelligent pour parvenir à brasser tous les styles musicaux avec lesquels il a pu être en contact grâce aux voyages effectués et aux contacts noués durant sa carrière. Conjuguant le goût du chant de son Italie natale avec la solennité et l’élégance françaises tout en les adaptant au goût du public anglais pour une tempérance laissant leur place au brillant et à la surprise, ses œuvres sont de passionnants témoignages d’une époque où du baroque marcescent étaient en train de naître les prémices du classicisme et du romantisme.

L’ensemble Les Muffatti (photographie ci-dessous), dont les précédentes réalisations consacrées, chez le même éditeur, à Georg Muffat et Johann Christoph Pez avaient été saluées pour leurs hautes qualités, nous offre avec cette anthologie dédiée à Sammartini un nouveau disque de grande classe. Il déconcertera sans doute ceux qui pensent que la musique anglaise du deuxième quart du XVIIIe siècle doit sonner avec la violence et la sécheresse affichées par Café Zimmermann dans son décevant enregistrement consacré aux concertos contemporains d’Avison, mais ravira ceux pour qui la vigueur n’exclut ni la mesure, ni les demi-teintes. Il me semble, en effet, qu’une des réussites incontestables de cette entreprise, qui a malheureusement échappé à l’écoute trop cursive de certains critiques « officiels », est d’entrer parfaitement en résonnance avec les autres expressions artistiques contemporaines, qu’il s’agisse de la peinture (Hogarth, Lambert, Hayman) ou des jardins (Spring Gardens, Chiswick Gardens), en offrant une interprétation où s’équilibrent parfaitement les exigences de solidité et de clarté préclassiques, les frissons préromantiques et les derniers feux du baroque. les muffattiLes musiciens composant Les Muffatti, tous dotés de très solides capacités techniques, font preuve d’une écoute mutuelle, d’une réactivité et d’une souplesse remarquables qui leur permettent de faire vivre la musique de Sammartini avec ce qu’il faut d’allant mais aussi de naturel, sans jamais se sentir obligés de presser le pas ou de solliciter le texte à outrance. Leur lecture fait, de façon tout à fait pertinente, le pari des nuances et du raffinement, avec une texture orchestrale qui conjugue malléabilité, densité et transparence, une esthétique parfaitement relayée par la prise de son d’orfèvre ciselée par Rainer Arndt, dont la splendide ampleur acoustique ne sacrifie rien de la précision dans le rendu des timbres et des lignes. Il faut saluer aussi le dynamisme du concertino mené d’archet de maître par le premier violon Sophie Gent, ainsi que les interventions solistes de Benoît Laurent, dont le hautbois lumineux et fruité fait des merveilles de sensualité, d’humour et de sensibilité dans les deux concertos dédiés à son instrument, sans oublier les deux cornistes Bart Aerbeydt et Michiel van der Linden qui caracolent brillamment dans l’Ouverture en sol majeur sur laquelle se referme le disque. Peter Van Heyghen mène ses troupes avec beaucoup de finesse et de détermination, mettant en valeur avec une indiscutable intelligence, qui en dit long sur la qualité du travail préparatoire effectué sur les partitions et le contexte de leur création, les détails et les trouvailles d’une écriture plus riche et surprenante que ce qu’une approche superficielle pourrait laisser supposer.

Je vous recommande donc cette excellente anthologie consacrée à Giuseppe Sammartini par Les Muffatti qui conjugue à merveille les plaisirs, celui de la découverte d’un répertoire rare – sept inédits sur huit pièces enregistrées – et de la dégustation d’une musique pleine d’esprit et d’élégance. Les amateurs curieux et exigeants ne manqueront pas de continuer à suivre avec la plus grande attention le passionnant et ambitieux travail de redécouverte de pans négligés du répertoire que propose cet ensemble.

 

giuseppe sammartini concertos overtures les muffatti benoitGiuseppe Sammartini (1695-1750), Concertos & Overtures.
Concerti grossi pour cordes & basse continue en la majeur
, op.2 n°1, en la mineur, op.5 n°4, en mi mineur, op.11 n°5. Concertos pour hautbois, cordes & basse continue en ut majeur et en sol mineur, op.8 n°5. Ouvertures pour cordes & basse continue en fa majeur, op.10 n°7, en ré majeur, op.10 n°4, pour deux cors, cordes & basse continue en sol majeur, op.7 n°6.

 

Benoît Laurent, hautbois
Les Muffatti
Peter Van Heyghen, direction

 

1 CD [durée totale : 79’14”] Ramée RAM 1008. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Concerto grosso pour cordes & basse continue en la mineur, op.5 n°4 :
Allegro

2. Ouvertures pour deux cors, cordes & basse continue en sol majeur, op.7 n°6 :
Minuetto Allegro – [2do Minuet]

3. Ouverture pour cordes & basse continue en ré majeur, op.10 n°4 :
Andante

4. Concerto pour hautbois, cordes & basse continue en ut majeur :
Allegro assai

 

Illustration complémentaire :

Philip Mercier (Berlin, 1689/91 ?-Londres, 1760), Frederick de Galles et ses sœurs, 1733. Huile sur toile, 45,1 x 57,8 cm, Londres, National Portrait Gallery.

La photographie des Muffatti est de Tomoe Mihara, utilisée avec autorisation.

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23 juin 2011 4 23 /06 /juin /2011 11:11

 

william dobson portrait homme thomas aylesbury

William Dobson (Londres, 1611-1646),
Portrait d’homme
(peut-être Sir Thomas Aylesbury), c.1642.

Huile sur toile, 125,5 x 99 cm, Londres, National Portrait Gallery.

 

La première apparition discographique de Bertrand Cuiller en qualité de soliste avait été un mémorable Pescodd Time (Alpha, 2006) regroupant des œuvres de Byrd, Bull et Philips interprétées au clavecin et au virginal. Après un détour, salué ici même, par l’Espagne de Scarlatti et Soler, le musicien revient, sur trois magnifiques instruments, vers son répertoire de prédilection dans une anthologie au titre quelque peu mystérieux, Mr Tomkins his Lessons of Worthe, que vient de publier le label Mirare.

 

La Bibliothèque Nationale de France conserve, sous la cote Réserve 1122, un manuscrit entièrement de la main de Thomas Tomkins, que le compositeur semble avoir compilé principalement à la fin de sa vie, entre novembre 1646 et septembre 1654, si l’on se fie aux dates portées sur certaines des pièces qui y figurent. Ces dernières se trouvent précédées par des feuillets comportant la liste d’une soixantaine de morceaux de différents compositeurs, les Lessons of Worthe (« leçons de valeur » ou « qui valent le détour », pour employer une formulation un peu plus moderne) dont ce disque offre une sélection.

Thomas Tomkins, lorsqu’il rassemble ce recueil, est un vieil homme qui a dépassé l’âge, très respectable pour l’époque, de 70 ans. Ce fils d’un maître de chœur de St David’s, au Pays de Galles, est, en effet, né dans cette petite ville en 1572 et y a vécu jusqu’aux alentours de 1586, date probable à laquelle son père rejoint la cathédrale de Gloucester en qualité de chanoine mineur. Même si les documents ne permettent pas d’être complètement affirmatif, on estime qu’il est presque certain que Tomkins a pu alors être l’élève de William Byrd (c.1539/40-1623), qu’il nomme « son vieux et révéré maître » dans la dédicace d’une de ses Songs publiées en 1622 et qui fut lui-même élève de Thomas Tallis (c.1505-1585), un autre compositeur représenté dans les Lessons of Worthe. Ce qui est, en revanche, certain, c’est qu’en 1596, Tomkins est organiste et maître de chœur à la cathédrale de Worcester, un poste qu’il conservera jusqu’en 1646. Marié en 1597 à Alice Patrick qui lui donne, en 1599, un fils unique prénommé Nathaniel, il reçoit le titre de Bachelor of Music à Oxford en 1607 avant d’être nommé gentilhomme ordinaire de la Chapel Royal en 1621, un titre honorifique qui l’oblige néanmoins à partager son temps entre Worcester et Londres. Requis, avec d’autres compositeurs, pour organiser la musique des cérémonies d’obsèques de Jacques Ier et du couronnement de Charles Ier en 1625, la qualité de ses réalisations lui vaut d’être remarqué par la cour et d’espérer, lorsque celui-ci devient vacant en 1628, le titre le plus convoité de tous, celui de compositeur ordinaire du roi, lequel échoit finalement à Alfonso Ferrabosco auquel il était réservé d’avance. william dobson portrait homme thomas aylesbury detailÀ partir des années 1639-40, Tomkins cesse ses visites à la capitale et mène à Worcester une vie bourgeoise et charitable. Cette tranquillité va être brisée net par deux événements tragiques en 1642, la mort de sa femme puis l’éclatement de la Guerre civile qui va plonger l’Angleterre dans de multiples turbulences jusqu’en 1651, avec, en point d’orgue, la décollation de Charles Ier le 29 janvier 1649, qui inspire au musicien sa pièce peut-être la plus célèbre, A sad paven – For these distracted Tymes, poignant Tombeau à la mémoire du monarque assassiné dont le manuscrit porte la date du 14 février 1649. Cette période sombre, faite de privations et de silence, s’achève pour Tomkins en 1654, année où son fils se marie et le recueille dans le manoir dont sa femme, une riche veuve, a hérité à Martin Hussingtree, au nord-est de Worcester. Après avoir passé ses dernières années à rassembler ses manuscrits, le compositeur y meurt au début du mois de juin 1656, à l’âge de 84 ans.

Outre les siennes, Tomkins a principalement retenu, dans le choix qui a présidé à l’établissement de la liste de ses Lessons of Worthe, des pièces signées par Byrd et Tallis, dont on a vu qu’ils constituaient son ascendance artistique, mais aussi du turbulent John Bull (c.1562-1628) qu’il a pu côtoyer à Oxford ou à Londres avant que ce dernier soit contraint de s’exiler aux Pays-Bas en 1613. Bull représente, en quelque sorte, le pont entre une tradition musicale fortement ancrée dans l’esthétique de la Renaissance, incarnée par Tallis, Byrd et, dans une certaine mesure Tomkins lui-même, dont les œuvres restent, dans l’esprit, assez largement tributaires de celles des maîtres du passé quand bien même la forme peut s’en émanciper, et une écriture plus « moderne » pour le clavier, très exigeante techniquement avec ses fusées et ses diminutions extrêmement rapides ainsi que ses incessants changements d’humeur. On peut dire que la remarquable longévité de Tomkins fait de lui le dernier représentant de la musique élisabéthaine et gager qu’il a sans doute eu obscurément conscience qu’un monde s’éteindrait avec lui : le panorama qu’il nous en offre, outre sa richesse documentaire, y gagne une dimension particulièrement émouvante, où point parfois, sous le foisonnement des ornements, la vitalité de la polyphonie et la rigueur du contrepoint, une mélancolie diffuse mais poignante.

Les attentes nées de ce retour de Bertrand Cuiller (photographie ci-dessous) au répertoire qui l’a fait connaître auprès du plus large public étaient importantes ; le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont totalement comblées par ce récital de très haute volée. Ce qui frappera peut-être d’emblée, c’est la virtuosité du claveciniste dont les exceptionnels moyens digitaux semblent avoir encore gagné en vélocité et en délié pour atteindre une sorte d’époustouflante évidence. Chaque ligne des polyphonies instrumentales, parfois extrêmement complexes, des œuvres proposées dans cet enregistrement est dessinée avec précision et fermeté, mais sans jamais qu’apparaisse la moindre crispation, y compris dans les passages susceptibles de pousser l’interprète dans ses derniers retranchements, comme la Chromatic Galliard de Bull ou l’Offertory de Tomkins. bertrand cuillerS’il les aborde avec tout le respect et toute l’autorité nécessaires, le geste de Bertrand Cuiller demeure toujours d’une remarquable fluidité et ne néglige jamais d’insuffler à ces musiques ce qu’il faut de densité, mais aussi de chant (Felix namque de Tallis, avec ses cinq premières minutes débordantes d’ineffable nostalgie) ou d’humour (Ut, ré, mi, fa, sol, la de Tomkins) pour en faire autre chose que de savantes constructions, autant de qualités qui éloignent son interprétation de l’effroyable sécheresse avec laquelle elles sont parfois rendues. Toutes ces qualités techniques ne seraient rien si elles n’étaient mises au service d’une véritable vision des œuvres, à la fois très cohérente et pleine de diversité et de surprises. Ici, la maestria souvent explosive s’accompagne de la plus extrême concentration, ce que démontrent superbement les deux pièces les plus étendues de ce programme, parfaitement maîtrisées et tendues dans un seul élan de la première à la dernière note, mais que ne traverse aucune instabilité en dépit de notables variations de tempos et de climats. Enregistrée avec naturel par Hugues Deschaux dans une acoustique totalement adaptée au propos, cette anthologie construite et interprétée avec autant d’intelligence que de subtilité propose une plongée à la fois exigeante et très émouvante dans l’univers d’un vieil homme qui avait sans nul doute la conviction d’avoir été le témoin privilégié et d’être l’ultime dépositaire d’un âge d’or dont il tenait à préserver la mémoire. Ce n’est pas la moindre qualité de Bertrand Cuiller d’avoir réussi, par la seule force de la conviction et de l’humilité qui nourrissent son talent, à donner chair et à faire danser, rire ou soupirer les fantômes rieurs ou pensifs qui hantent ces pages.

 

incontournable passee des artsJe vous recommande donc tout particulièrement ces Lessons of Worthe offertes avec autant de brio que de sensibilité par Bertrand Cuiller qui confirme, disque après disque, qu’il est un claveciniste majeur de notre temps, un de ceux qui, par la cohérence de leur démarche et le soin qu’ils apportent à leurs réalisations, réussissent à être de parfaits ambassadeurs de leur instrument. On attend avec confiance et enthousiasme les prochaines leçons que voudra bien nous délivrer cet artiste dont plus personne aujourd’hui ne doute de la valeur.

 

mr thomas tomkins his lessons of worthe byrd bull tallis beMr Tomkins his Lessons of Worthe, pièces pour clavier de William Byrd (c.1539/40-1623), John Bull (c.1562-1628), Thomas Tomkins (1572-1656) et Thomas Tallis (c.1505-1585).

 

Bertrand Cuiller, clavecins (Philippe Humeau d’après des modèles italiens, pour les pièces en la *, et Malcolm Rose d’après Lodewijk Theeuwes, 1579, pour les pièces en sol **) et claviorganum (Philippe Humeau et Étienne Fouss, pour les pièces en ré ***)

 

1 CD [durée totale : 58’18”] Mirare MIR 137. Incontournable Passée des Arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. John Bull : Chromatic Galliard *

2. William Byrd : Pavan Sir William Petre **

3. Thomas Tomkins : Ground (Musica Britannica, 40) ***

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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 17:27

 

domenico feti portrait de chercheur

Domenico Feti (Rome, c.1589-Venise, 1624),
Portrait d’un chercheur
, c.1620.

Huile sur toile, 98 x 73,5 cm, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister.

 

Dans le livret de ce qui était jusqu’à ce jour, sauf erreur de ma part, le dernier disque de l’ensemble The Rare Fruits Council, son directeur musical et violon principal, Manfredo Kraemer, décrivait sa démarche en ces termes : « (…) il nous semble pertinent de remonter à la surface, de temps à autre, quelques bonnes choses de qualité, plutôt que nous jeter dans la quête d’inédits, souvent de pacotille, ou nous cloîtrer dans la répétition ad nauseam des Quatre Saisons, des Brandebourgeois et autres sublimités classiques (…) » Grâce aux Éditions Ambronay, le voici de retour, huit longues années après cette déclaration et à la tête d’une équipe entièrement renouvelée, dans une anthologie intitulée Venezia, consacrée à trois compositeurs actifs à Venise dans les années 1670.

 

Le musicien qui a le plus retenu l’attention des interprètes modernes est, paradoxalement, le seul non-italien de ce programme, le Saxon Johann Rosenmüller (c.1619-1684, suivez ce lien pour plus de détails biographiques), qui se réfugia, après avoir fui Leipzig à la suite d’une affaire de mœurs, durant presque 30 ans sur la lagune, une période qui a suscité nombre de fantasmes mais peu de traces concrètes, si ce n’est une importante production de musique sacrée et deux recueils instrumentaux mêlant manières germanique et italienne. La vie de Giovanni Legrenzi (1626-1690) n’a, elle, certes pas la densité présomptivement romanesque de celle de son collègue allemand, mais le legs de ce Bergamasque installé à Venise dans les années 1670 après avoir servi dans sa ville natale, puis à Ferrare, et essuyé bien des vexations en se voyant écarté des postes de maître de chapelle de la cour de Vienne, puis des cathédrales de Milan et de Bologne, avant de devoir patienter presque dix ans pour obtenir celui de la basilique Saint-Marc, est important et malheureusement assez largement ignoré aujourd’hui. S’il fut un compositeur d’opéras et d’oratorios reconnu, ses six recueils d’œuvres instrumentales sont d’une importance majeure dans l’évolution notamment du genre de la sonate, leur influence se décelant jusqu’à Vivaldi et Bach. Le parcours du toscan Alessandro Stradella (1639-1682), largement formé à Rome, où il séjourna à partir de 1653, après un probable passage à Bologne, ressemble à un roman, d’ailleurs magnifiquement raconté par Philippe Beaussant dans un récit publié chez Gallimard en 1999. giovanni legrenziSa fortune familiale lui permit de se consacrer totalement à la musique (dont une large partie reste aujourd’hui à redécouvrir), domaine où il rencontra un succès rapide grâce à ses œuvres vocales, parmi les premières à établir une scission nette entre airs et récitatifs, tout en expérimentant de nouvelles formes instrumentales ; sa Sonata di viole est ainsi, à ce jour, le plus ancien exemple conservé de concerto grosso. Son goût pour les femmes le conduisit plusieurs fois à prendre la fuite, et c’est ainsi qu’il arriva à Venise en février 1677 pour la quitter quelques mois plus tard et gagner Turin, accompagné d’une de ses élèves. Il manqua d’y être assassiné par des agents du noble vénitien auquel il avait ravi son amante, un destin qui devait se réaliser quelques années plus tard à Gênes où il tomba sous les coups d’un rival jaloux.

Comme le souligne Manfredo Kraemer, avec son honnêteté coutumière, dans la partie de la notice du disque qu’il signe, on ignore si les trois hommes ont pu se connaître, mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont, un bref moment, respiré le même air atmosphérique et surtout musical, dans ce laboratoire à ciel ouvert qu’était la Venise débordante d’inventivité du XVIIe siècle, et que chacun en a ensuite fait son miel selon sa propre complexion. La comparaison entre les œuvres de Rosenmüller et de Legrenzi, presque exactement contemporains, montre de façon assez convaincante comment deux arbres ayant grandi sous un climat similaire peuvent produire des fruits différents en fonction du sol dans lequel ils s’enracinent. Si le style du premier, tel qu’il se manifeste dans le recueil de Sonate a Stromenti da Arco e Altri (Nuremberg, 1682) exploré ici, se souvient encore très nettement des savantes élaborations contrapuntiques chères aux Canzone de la première moitié du XVIIe siècle et mêle à une sensualité toute ultramontaine une touche de sérieux indéniablement germanique, celui du second, dont les sonates proposées dans ce disque ont été extraites de La Cetra (Venise, 1673), s’il ne cède en rien sur le point de la science compositionnelle, montre une touche marquée par plus de liberté et de souplesse, une théâtralité sans doute un rien plus extériorisée et soucieuse de ses effets. Avec les Sinfonie de Stradella, datables des années 1675-78, le ton change pour se faire encore plus personnel, entraînant l’auditeur dans un parcours parfois émaillé d’errances d’allure quasi rhapsodique mais pourtant supérieurement pensé et conduit. L’importance accordée par le compositeur à la fluidité des lignes mélodiques et le soin qu’il déploie pour traduire au plus près les alternances de climats au sein des différents mouvements de chaque Sinfonia regardent déjà vers le siècle suivant.

Pour qui a suivi The Rare Fruits Council (photographie ci-dessous) depuis sa mémorable intégrale de l’Harmonia Artificioso-Ariosa de Biber (Astrée, 1996), la réussite de ce nouveau disque ne sera pas vraiment une surprise. Le fait qu’en dépit d’un long silence et d’un complet changement d’effectifs, Manfredo Kraemer qui, pour mémoire, après avoir joué aux côtés de Reinhard Goebel au sein de Musica Antiqua Köln est devenu le premier violon du Concert des Nations de Jordi Savall, ait réussi à conserver à son ensemble une véritable identité ne fait que confirmer tout le bien que l’on pouvait penser de sa démarche. Le violoniste a su s’entourer de musiciens de tout premier plan qui lui apportent une réplique et un soutien parfaits, l’intégralité du récital se déroulant sous le signe d’une complicité évidente et d’une cohésion sans failles. Du point de vue technique, les différents membres de l’ensemble font preuve d’une remarquable solidité, qui leur permet d’affronter les exigences virtuoses de partitions qui n’en sont pas avares et de délivrer une prestation d’une propreté et d’une maîtrise indiscutables. Ils font assaut de souplesse, de sens des nuances, de luminosité, pour rendre justice aux moindres inflexions des œuvres, dont chaque détail est scruté sans que se morcelle pour autant le geste qui unifie la rapide succession de séquences composant chaque pièce. the rare fruits council manfredo kraemerCes éminentes qualités sont mises au service d’une véritable vision du répertoire qui, au rebours du clinquant, de l’énervé, ou de l’éthéré qui défigurent malheureusement trop souvent certaines interprétations, prend le parti d’un raffinement et d’un équilibre splendides, dénotant une véritable intelligence ainsi qu’un profond respect des œuvres proposées. Un peu à la manière d’Enrico Gatti, l’archet souverain de Manfredo Kraemer dose très soigneusement les épices employées pour pimenter le discours, avec une absence de systématisme qui démontre un instinct musical très sûr et empêche la théâtralité nécessaire pour animer ces pages de tomber dans le piège de la gesticulation superficielle. Finalement, c’est bien un vent de liberté qui souffle sur cette copieuse anthologie, non pas celle, frelatée, que certains pensent acquérir en s’affranchissant de ce qu’ils devinent des intentions et des moyens des compositeurs, mais bien celle qui se gagne en mettant humblement ses pas dans les leurs, en faisant confiance à leur musique. Peut-être cette lecture paraîtra-t-elle trop « sage » aux amateurs de saveurs qui malmènent le palais, mais ceux qui sauront entrer dans le temps préservé de l’agitation qu’elle propose feront leurs délices de sa fièvre sans hâte et de la subtilité de ses alchimies.

 

incontournable passee des artsJe vous recommande donc particulièrement de suivre la magnifique invitation que vous proposent les merveilleux musiciens de The Rare Fruits Council à entendre, à votre tour, palpiter le cœur de cette Venezia du XVIIe siècle à laquelle les expérimentations des compositeurs apportaient un incroyable foisonnement créatif. Puissent les bons soins des Éditions Ambronay permettre à Manfredo Kraemer de nous proposer longtemps encore des réalisations aussi abouties que celle-ci.

 

venezia rosenmuller legrenzi stradella the rare fruits counVenezia, sonates et sinfonie de Johann Rosenmüller (c.1619-1684), Giovanni Legrenzi (1626-1690) et Alessandro Stradella (1639-1682).

 

The Rare Fruits Council
Manfredo Kraemer, violon & direction

 

1 CD [durée totale : 81’53”] Éditions Ambronay AMY 028. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Johann Rosenmüller : Sonata undecima

2. Alessandro Stradella : Sinfonia XII

 

Illustrations complémentaires :

Anonyme italien, XVIIIe siècle, Portrait de Giovanni Legrenzi, sans date. Huile sur toile, 84 x 73 cm, Bologne, Museo internazionale e biblioteca della musica.

La photographie de The Rare Fruits Council est de Bertrand Pichène. Je remercie Véronique Furlan (Accent Tonique) de m’avoir autorisé à l’utiliser.

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 14:34

 

guido reni le couronnement de la vierge

Guido Reni (Bologne, 1575-1642),
Le couronnement de la Vierge
, c.1607.

Huile sur cuivre, 66,6 x 48,8 cm, Londres, National Gallery.

 

En des temps où, il faut bien l’avouer, les raisons de s’inquiéter ont tendance à l’emporter sur celles de se réjouir lorsque l’on observe la vie musicale avec un tant soit peu d’attention, assister à l’éclosion d’un jeune ensemble revêt, peut-être plus qu’à l’accoutumée, un caractère émouvant. Voici qu’entrent en scène les musiciens des Traversées Baroques qui ont fait preuve, pour leurs débuts, d’un courage insigne en choisissant d’honorer un compositeur peu connu, Marcin Mielczewski, dans un disque intitulé Virgo prudentissima publié il y a quelques semaines par le label K617.

 

Un des principes fondateurs de la démarche des Traversées Baroques consiste dans les échanges et la collaboration, autour de projets communs, entre des musiciens originaires de France, de République tchèque et de Pologne ; c’est à la cour de ce dernier pays dans la première moitié du XVIIe siècle qu’ils ont choisi de nous entraîner à l’occasion de leur premier enregistrement. On ignore souvent que la période qui s’étend de l’Union de Lublin (1569) au soulèvement de Khmelnitski (1648), suivi de peu par la première guerre du Nord (1655-1660) qui verra l’invasion de son territoire par les Suédois, correspond à une sorte d’âge d’or pour la Pologne. frans luycx ladislav iv vasaMalgré des conflits où il résista à des ennemis souvent plus puissants que lui, comme, entre autres, les Russes, le pays put jouir, en effet, d’un système politique largement démocratique et d’une liberté religieuse enviés ailleurs en Europe qui se révélèrent autant de facteurs propices à l’éclosion de la brillante culture qui va marquer les règnes de Sigismond III (1587-1632), ardent défenseur de la Contre-Réforme, et de Ladislav IV (1632-1648), souverain très attaché à la paix. La période connue d’activité de Marcin Mielczewski, principal compositeur documenté dans ce disque, sans doute né à la charnière entre le XVIe et le XVIIe siècle, couvre presque exactement le règne de ce monarque. Avec son contemporain Bartłomiej Pękiel, organiste et maître de chapelle du roi, puis de la cathédrale de Cracovie de 1658 à sa mort vers 1670, Mielczewski fut attaché, au plus tard en 1638, au service de Ladislav IV avant de devenir, durant les cinq années qui précédèrent sa mort en septembre 1651, maître de chapelle de son frère, l’évêque de Płock, Charles Ferdinand Vasa.

Peut-être plus qu’ailleurs en Europe du Nord à la même époque, l’idiome musical dominant de la cour de Pologne était italien. La volonté de Sigismond III avait fait, en effet, se succéder à son service de nombreux compositeurs venus de la Péninsule, comme le romain d’adoption Luca Marenzio en 1596-1597, le vénitien Giovanni Valentini de 1604 à 1614 ou le crémonais Tarquinio Merula de 1621 à 1625, pour ne citer que trois noms demeurés célèbres, dont la présence favorisait, dans le même temps, l’implantation de musiciens et de chanteurs qui en étaient également originaires. Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans les pièces de Mielczewski et dans celle de Pękiel présentées dans cet enregistrement une esthétique fortement imprégnée par la manière développée à Venise par les Gabrieli et Monteverdi, perceptible, entre autres, au travers de l’usage de la polychoralité et de la forme ritournelle, mais aussi de la recherche d’une expressivité accrue et d’une sensualité sonore pouvant même confiner à une certaine ivresse, une pratique conforme à l’esprit, sinon à la lettre, de l’entreprise de séduction des fidèles qui sous-tend l’esprit militant de la Contre-Réforme. Très intelligemment, le programme propose également deux œuvres vocales de Tarquinio Merula, ainsi que des morceaux instrumentaux tout droit sortis de ce fantastique terrain d’expérimentations qu’était alors l’Italie. La comparaison démontre que l’appropriation, par les musiciens locaux, du style qui y était développé est allée, grâce à une familiarité appuyée avec les modèles, bien au-delà de l’imitation servile.

L’interprétation des Traversées Baroques (photographie ci-dessous) tout au long de ce disque est, à quelques menus détails près, d’un excellent niveau. Qui s’attend, de la part de jeunes musiciens, à une prestation pleine d’allant et de délié ne sera pas un instant déçu par celle qu’offrent les troupes réunies sous la houlette attentive du chef de cœur Étienne Meyer et de la cornettiste Judith Pacquier. Il faut particulièrement louer le soin qu’ils ont visiblement apporté à la mise en place de l’ensemble, voix comme instruments, point absolument essentiel pour que des partitions que leur complexe écriture polychorale rend facilement touffues ne sonnent ni trop compactes, ni trop morcelées. Qu’il s’agisse de pièces au décorum affirmé, tel l’éclatant Plaudite manibus qui ouvre le disque, ou, au contraire, d’une veine plus intimiste, à l’image du Dulcis amor Jesu de Pękiel, l’impression qui s’impose d’emblée, pour se confirmer ensuite au fil des écoutes, est celle d’un bel équilibre entre les différentes parties, à la fois rigoureusement tenues, façonnées avec beaucoup de souplesse et traitées avec un sens de la vocalité très sûr.les traversees baroques Les six très bons solistes rassemblés pour ce projet, certains bien connus des amateurs de musique baroque (Paulin Bündgen, Renaud Delaigue), d’autres encore en devenir, se signalent tous par une réelle implication qui fait oublier leurs quelques hésitations ponctuelles face aux exigences des œuvres, tandis que les dix-huit madrigalistes formant chœur sont, eux, irréprochables de bout en bout, parfaits de sensualité et de luminosité, délivrant un son d’ensemble très cohérent mais dans lequel les individualités ne disparaissent pas pour autant. Les instrumentistes sont également excellents et parviennent sans aucun problème à affronter les pièges tendus par les passages extrêmement ardus dont les compositeurs ont truffé leurs partitions, qu’elles convoquent la voix ou les seuls instruments. Saluons donc la virtuosité brillante sans forfanterie des cornets et sacqueboutes, la plasticité des violons et des violes, le continuo aussi actif que discret pour le festival de contrastes subtils et de couleurs charnues qu’ils délivrent, dont la séduction, souvent, conduit à l’enthousiasme. Bien sûr, toutes ces qualités ne seraient rien sans la direction d’Étienne Meyer qui fédère ses troupes avec une indiscutable énergie. Manifestement, le jeune chef a une idée très claire du répertoire qu’il a choisi de diriger et des moyens à déployer pour en faire scintiller les harmonies. Conduisant ses musiciens avec une vivacité sans brusquerie et une intelligence évidente, il lui reste à gagner un peu en abandon pour laisser s’exprimer sans contraintes toutes les nuances des partitions. Il ne fait, à mes yeux, aucun doute qu’une fois libérées de la pression qui s’attache inévitablement à la production d’un premier disque, sa sensibilité et sa subtilité, déjà très nettement perceptibles tout au long de cet enregistrement, s’épanouiront pleinement.

 

C’est donc à plusieurs titres que je vous recommande Virgo prudentissima, non seulement pour l’intérêt et la rareté des œuvres de Marcin Mielczewski que cette anthologie propose, mais aussi pour la réelle qualité de l’interprétation des Traversées Baroques qui signent avec cette réalisation des débuts prometteurs. Puisse le succès venir couronner les efforts de ces jeunes musiciens et les encourager à poursuivre leur exploration de terres encore largement inconnues, un objectif que ne devraient jamais perdre de vue les ensembles de musique ancienne.

 

marcin mielczewski virgo prudentissima inne religijne konceMarcin Mielczewski (?-1651), Virgo prudentissima, œuvres sacrées et instrumentales de Giovanni Gabrieli (c.1554-1612), Tarquinio Merula (1595-1665), Francesco Usper (c.1560-1641), Bartłomiej Pękiel (début XVIIe siècle-c.1670).

 

Les Traversées Baroques
Étienne Meyer, direction

 

1 CD [durée totale : 67’34”] K617 K617226. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Marcin Mielczewski, Plaudite manibus

2. Marcin Mielczewski, Virgo prudentissima

 

Illustrations complémentaires :

Frans Luycx (Anvers, c.1604-Vienne, 1668), Portrait de Ladislas IV Vasa, c.1639. Huile sur toile, 203,5 x 140,5 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Photographie de l’ensemble Les Traversées Baroques © Les Traversées Baroques, utilisée avec autorisation.

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 10:01

 

maitre allemand anonyme vanite cadran solaire poche rat-de-

Maître allemand anonyme,
Vanité au cadran solaire de poche et au rat-de-cave
, c.1620 ?

Huile sur bois, 27,5 x 40,5 cm, Francfort, Städel Museum.

 

Depuis que Lionel Meunier, le directeur artistique de Vox Luminis, avait annoncé, dans un entretien publié ici-même, que le troisième disque de son ensemble serait consacré à des œuvres d’Heinrich Schütz (1585-1672), dont ses fameuses Musikalische Exequien, on guettait avec impatience la parution, chez Ricercar, de cet enregistrement qui verrait se confronter ces jeunes musiciens à quelques-uns de leurs glorieux aînés ayant gravé, eux aussi, ces pièces exigeantes.

 

Les Musikalische Exequien (« Funérailles musicales », dont cette réalisation reprend l’épellation originale Musicalische) constituent sans aucun doute un des plus hauts chefs-d’œuvre de la musique baroque septentrionale et, comme le rappelle opportunément le livret très complet signé par Jérôme Lejeune, une des probables sources d’inspiration d’un des piliers du répertoire romantique, le Deutsches Requiem de Johannes Brahms, créé en 1868. L’œuvre, composée de trois parties de dimensions différentes entre lesquelles prenaient place les rites propres à la liturgie, a été écrite pour les obsèques d’Heinrich Posthumus von Reuss, mort à Gera le 3 décembre 1635. Il est impossible de déterminer avec certitude si ce prince, qui avait minutieusement organisé ses funérailles, poussant le scrupule jusqu’à veiller à la confection de son cercueil (reproduit sur la jaquette et dans le livret du disque) comme aux choix des textes destinés à accompagner la cérémonie, en avait passé commande à Schütz avant sa mort ou si c’est sa veuve qui se tourna vers un compositeur que son époux avait eu maintes fois l’occasion de côtoyer. Heinrich Posthumus von ReussToujours est-il que le 4 février 1636, le corps embaumé de Posthumus von Reuss rejoignit sa dernière demeure au son de cette musique dont la première partie, la plus étendue, intitulée « Concert en forme d’une messe de funérailles allemande », avait été composée sur mesure par le Sagittarius sur les mots choisis par son commanditaire, les deux autres textes appartenant à la tradition, qu’il s’agisse du motet Herr, wenn ich nur dich habe (« Seigneur, pour peu que je t’aie »), dont le thème central de la consolation du croyant était développé dans la prédication qui en précédait sans doute l’exécution, ou du Cantique de Siméon, Herr, nun lässest Du deinen Diener in Friede fahren (« Seigneur, laisse maintenant aller ton serviteur en paix »), fréquemment associé au deuil, chanté, suivant une mise en espace particulière, par deux chœurs distincts dont un à trois voix, identifiées comme « l’âme heureuse » et deux séraphins, se tenait près du cercueil, matérialisant vraisemblablement l’accueil du défunt au Ciel.

La discographie récente des Musikalische Exequien a été marquée par un renouvellement de l’approche d’une œuvre que deux des réalisations majeures des années 1980, celles de Philippe Herreweghe (Harmonia Mundi, 1987) et de John Eliot Gardiner (Archiv, 1988), avaient inscrite dans une perspective chorale assez solennelle malgré des effectifs n’excédant pas une vingtaine de chanteurs pour les tutti, soutenus par un instrumentarium limité à quelques cordes frottées (violoncelle ou viole de gambe, violone) ou pincées (théorbe et, éventuellement, harpe) avec l’orgue, une notable exception à cette esthétique étant constituée par la version très « vénitienne », à mon sens peu recevable malgré la beauté des voix, de l’ensemble Akadêmia (Pierre Verany, 1999) renforcé par les cornets virtuoses de La Fenice. En 2007, Benoît Haller, à la tête d’une Chapelle Rhénane réduite à dix chanteurs mais dotée d’un continuo foisonnant (K617), imposait une urgence théâtrale qui rompait avec cet héritage, avant que Manfred Cordes et Weser-Renaissance (CPO, 2010), avec un effectif vocal similaire mais très peu d’instruments (harpe, chitarrone, orgue) livre sans doute une des versions les plus épurées jamais enregistrées. L’interprétation de Vox Luminis suit les prescriptions de Schütz en matière de distribution vocale en utilisant douze voix ainsi qu’un continuo se résumant à l’orgue et à une basse d’archet, de viole en l’occurrence. Ce qui pourrait passer pour une concession à la mode des textures allégées en vogue dans la musique baroque depuis une quinzaine d’années est, en fait, d’une parfaite cohérence avec le contexte historique de la création des Musikalische Exequien, contemporaines des Kleine geistliche Konzerte publiés en deux parties, la première en 1636, la seconde en 1639, et partageant sans aucun doute avec eux le même minimalisme né des restrictions imposées par la guerre de Trente Ans, que le compositeur est le premier à déplorer dans les textes qu’il rédige alors. rembrandt van rijn portrait musicien schutzStylistiquement, l’œuvre se présente comme une fascinante synthèse entre un italianisme décanté, expurgé de toute velléité de dramatisme tapageur, et l’intériorité concentrée propre à la musique luthérienne. La texture musicale, usant largement de l’homophonie, allie sobriété et fluidité tout en étant également très fortement imprégnée par l’expérience vénitienne de Schütz, perceptible dans l’usage d’alternances entre groupes de chanteurs (Capella) entre eux et avec les solistes, mais également dans le souci d’illustrer, au moyen d’effets discrets comme, par exemple, de subtils ralentissements, des mots importants du texte. Le programme du disque propose également d’entendre, avant les Musikalische Exequien, une sélection de motets funèbres de la plus belle facture, présentant des caractéristiques stylistiques similaires malgré leur disparité temporelle, ainsi qu’une magnifique mise en musique, par Martin Luther lui-même, de Mit Fried und Freud ich fahr dahin (« Je pars en joie et en paix ») et une splendide pièce pour orgue de Samuel Scheidt, Wir glauben all an einen Gott (« Nous croyons tous en un seul Dieu »), souverainement interprétée par Bernard Foccroulle. Même s’il ne saurait être question d’une tentative de reconstitution d’un office dont on ignore presque tout, le choix et la disposition éclairés des morceaux conduit aux Musikalische Exequien le plus naturellement du monde.

Après son très beau disque Scheidt (Incontournable Passée des arts 2010) et sa contribution remarquée au coffret Réforme et Contre-Réforme, on attendait beaucoup de la prestation de l’ensemble Vox Luminis (photographie ci-dessous). Elle est, je pèse mes mots, exceptionnelle. Elle s’inscrit au confluent des deux courants interprétatifs que j’ai mentionnés plus haut, dont elle ne retient que le meilleur ; elle possède la ferveur de la version d’Herreweghe et la tenue de celle de Gardiner sans leur épaisseur ou leur raideur (écoutez les trois enregistrements à la suite, vous comprendrez), l’exigence expressive de celle de La Chapelle Rhénane sans son caractère trop démonstratif, la luminosité de celle d’Akadêmia sans son italianisme déplacé, l’intériorité de celle de Weser-Renaissance avec de meilleurs chanteurs. Lionel Meunier et son ensemble trouvent d’emblée le ton juste, la pulsation idéale, la hauteur de vue idoine pour faire vivre des pièces qui n’ont peut-être jamais sonné avec un sentiment d’évidence aussi frappant. Forts de l’exploration qu’ils ont commencé à effectuer sur le répertoire de la Renaissance, les musiciens, en s’appuyant sur un tactus qui, sans précipitation ni lenteur excessives, dynamise la musique en usant de très subtiles fluctuations, offrent une lecture d’une lisibilité exemplaire, d’un naturel confondant et d’une sensibilité bouleversante. vox luminisLes voix sont magnifiques, peu vibrées mais techniquement assurées et portées par un ample souffle, la richesse de leur timbre étant splendidement mise en valeur par la prise de son. Il faut d’ailleurs saluer Jérôme Lejeune pour la qualité de sa réalisation artistique qui fait ici tellement corps avec l’interprétation que l’empathie née d’une confiance mutuelle entre le preneur de son et les artistes irradie littéralement de chaque minute de l’enregistrement. Certains reprocheront probablement à cette version de manquer de ce théâtre qui, on le sait, marquait les cérémonies funèbres de l’âge baroque ; c’est, à mon avis, une erreur. Le théâtre est, tout au contraire, au cœur même de cette vision, mais il se développe en suivant les mêmes codes que les œuvres, contemporaines des Musikalische Exequien, d’Andreas Gryphius (Die Tränen des Vaterlandes – Les larmes de la patrie – date également de 1636) ou de Sebastian Stoskopff, bannissant toute gesticulation ou surlignement superflus au profit d’une parfaite imbrication de multiples détails qui permettent au discours de se tendre, de palpiter, de respirer et d’exhaler ainsi une incroyable poésie. C’est en ancrant son propos dans cette parfaite compréhension du contexte dans lequel l’œuvre a été conçue, cette guerre de Trente Ans dont le cortège d’horreurs, rappelons-le, a remis la méditation sur la mort au centre des préoccupations quotidiennes, que cette version de Vox Luminis, comme, à mon avis, aucune autre avant elle, s’impose, avec une rayonnante humilité, par l’intelligence de son propos et son élévation spirituelle. La contemplation des fins dernières n’y entraîne pas vers les abîmes suggérés par d’autres lectures, elle se nimbe progressivement d’une lumière consolatrice dont la douceur presque irréelle fait s’embuer le regard.

 

incontournable passee des artsCet époustouflant disque Schütz s’impose donc, à mes yeux, comme une absolue réussite qui apporte une nouvelle confirmation du niveau d’excellence atteint, enregistrement après enregistrement, par Vox Luminis. Outre de superbes compléments, le jeune ensemble ne nous offre rien de moins que ce qui est, à mes yeux, la version de référence des Musikalische Exequien, à l’aune de laquelle il faudra désormais mesurer toutes celles à venir. Est-il vraiment besoin de préciser que je vous recommande de vous procurer ce joyau sans perdre un instant ?

 

heinrich schutz musikalische exequien vox luminis lionel meHeinrich Schütz (1585-1672), Musikalische Exequien, SWV 279-281. Motets Herr nun lässest Du deinen Diener in Friede Fahren, SWV 432 & 433, Ich bin die Auferstehung, SWV 464, Das ist ja gewißlich wahr, SWV 277. Martin Luther (1483-1546), Mit Fried und Freud ich fahr dahin. Samuel Scheidt (1587-1654), Wir glauben all an einen Gott*.

 

Vox Luminis
* Bernard Foccroulle, orgue
Lionel Meunier, basse & direction

 

1 CD [durée totale : 55’09”] Ricercar RIC 311. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Ich bin die Auferstehung und das Leben, SWV 464

2. Martin Luther : Mit Fried und Freud ich fahr dahin

3. Musikalische Exequien : Concert in Form einer teutschen Begräbnis-Missa, SWV 279 : Nacket bin ich jusqu’à Herr Gott, heiliger Geist

 

Illustrations complémentaires :

Maître anonyme XVIIe siècle, Portrait d’Heinrich Posthumus von Reuss, sans date. Huile sur toile, Gera, Stadtmuseum.

Rembrandt Harmenszoon van Rijn (Leyde, 1606-Amsterdam, 1669), Portrait d’un musicien, autrefois considéré comme celui de Schütz, 1633. Huile sur bois, Washington, Corcoran Gallery of Art.

La photographie de l’ensemble Vox Luminis, extraite de son site, est d’Ola Renska.

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 12:02

 

giacomo del po la gloire chassant les vices

Giacomo del Po (Rome, 1652-Naples, 1726),
La Gloire chassant les Vices
, c.1710 (esquisse).

Huile sur toile, 72 x 99 cm, Rennes, Musée des Beaux-Arts.

 

Portée par la vague lyrico-maniaque qui a submergé, semble-t-il durablement, le paysage de la musique baroque ces dernières années, la popularité d’Antonio Vivaldi ne se dément pas, même si ou, peut-être, parce qu’elle repose sur une image partiellement tronquée. Si, à côté de ses opéras, le grand public n’ignore pas le compositeur d’inusables Quatre saisons et autres Gloria ou Stabat Mater, parfois ressassés ad nauseam, force est de constater que peu d’interprètes se risquent aujourd’hui à lui offrir d’explorer une production sacrée pourtant conséquente, tant en quantité qu’en qualité. Le nouvel enregistrement, publié il y a quelques semaines par les Éditions Ambronay, du charismatique jeune directeur d’ensembles Leonardo García Alarcón en propose une sélection, regroupée sous le titre accrocheur de Vespro a San Marco.

Ainsi que l’explique très justement le texte du livret signé par le chef, il est souvent extrêmement difficile de saisir nettement les contours de la personnalité de Vivaldi et, contrairement à ce qui se passe dans le cas de son contemporain Johann Sebastian Bach, de déterminer les parts de conviction personnelle et de pose obligée qui entrent dans sa musique religieuse. Ce que les archives nous apprennent, c’est qu’après avoir reçu la tonsure le 18 septembre 1693, il gravit les échelons de la hiérarchie ecclésiastique jusqu’à son accession à la prêtrise le 23 mars 1703, mais qu’il doit, pour des raisons de santé, cesser de célébrer la messe en 1705 ou 1712, selon les sources. Le cardinal Tommaso Ruffo s’appuie d’ailleurs sur ce dernier point, ainsi que sur les suspicions d’une liaison entre celui qui est alors Maestro de’ Concerti de l’Ospedale della Pietà et la chanteuse Anna Girò, pour interdire sa venue à Ferrare en 1737, contribuant ainsi à lancer une de ces légendes qu’aucun document ne vient étayer, celle du prêtre dévoyé à la foi et aux mœurs pour le moins douteuses. pier leone ghezzi antonio vivaldiDe fait, s’il ne fait guère de doute que Vivaldi a probablement embrassé une carrière ecclésiastique pour la sécurité matérielle qu’elle pouvait lui procurer et que « le resserrement de poitrine » qu’il évoque pour excuser sa défection du service divin ne l’a pas empêché de mener de front une carrière de compositeur, de soliste virtuose et d’imprésario, certains éléments laissent penser que le sentiment religieux est néanmoins bien réel chez lui. N’indique-t-il pas en tête de nombre de ses partitions les lettres L.D.B.M.D. (Laus Deo Beataeque Mariae Deiparae, « Louange à Dieu et à la Bienheureuse Marie Mère de Dieu ») et n’est-il pas décrit, de façon certes un peu exagérée, comme « extraordinairement dévot au point de ne lâcher le chapelet que pour prendre la plume » par Ernst Ludwig Gerber, suivant ainsi le souvenir de Carlo Goldoni qui, vers la même époque, représente le Prêtre roux en train de réciter son bréviaire pendant que lui trousse le texte de deux arias de Griselda (1735) ? Nous voici au cœur de cette ambiguïté qui enveloppe presque tout ce qui concerne Vivaldi, que ceux qui tendent à donner de sa vie comme de sa musique une vision trop univoque trahissent, à mon sens, plus ou moins complètement.

Le compositeur n’a, bien entendu, jamais écrit de Vêpres pour saint Marc comme pourrait le laisser imaginer le titre de ce disque, qui, à l’image de celui de Rinaldo Alessandrini (Vespri solenni…, Naïve, 2003), justement fêté à sa parution et avec lequel il partage quelques pièces, propose une sélection de psaumes et des motets assortie du Magnificat (RV610, ici), reliés entre eux par des antiennes pour la fête de saint Marc et se succédant conformément au déroulement d’une cérémonie de ce type. Le programme, dont la seule pièce vraiment rare est le Dixit Dominus RV807, authentifié à Dresde par la musicologue Janice Stockigt en 2005 et qui n’a fait l’objet, à ma connaissance, que d’un seul enregistrement du probe Peter Kopp (Archiv, 2006), permet de mesurer à quel point la production sacrée de Vivaldi est d’une diversité et d’une richesse assez inépuisables, et représente une sorte de synthèse de ce que l’on trouve de meilleur tant dans ses œuvres instrumentales que lyriques. Qu’il s’agisse des voix ou des instruments, la virtuosité et le brillant sont de rigueur dans toutes les pièces, généralement assez exigeantes, dont la destination liturgique s’accommode fort bien d’une indéniable dimension opératique, mais dans lesquelles il serait cependant inexact de ne voir qu’un étalage un rien clinquant de paillettes destiné à faire scintiller les possibilités techniques des interprètes. Le compositeur y fait, en effet, preuve des talents d’illustrateur qui lui sont coutumiers (le De torrente du Dixit Dominus RV807 en offre un bon exemple), faisant ressortir avec un indéniable brio les affects véhiculés par les textes au moyen de variations d’éclairage et de rythme pensées avec une efficacité dramatique à toute épreuve, tout en prouvant ses capacités à écrire avec la même facilité dans le style concertant moderne qu’à la manière ancienne, en usant avec une aisance certaine, par exemple, de la fugue et du contrepoint. On y trouve enfin ces subits accès de mélancolie, ces balancements inattendus qui entraînent l’auditeur du plein soleil vers des territoires plus ombreux, comme l’In memoria aeterna du Beatus vir, RV795, un de ces mouvements impalpables où tombe le masque de la pompe en laissant voir le cœur à nu.

De cœur, Leonardo García Alarcón (photographie ci-dessous) et ses troupes n’en manquent pas, et ils se saisissent de la musique de Vivaldi avec ce mélange de fougue et de sensualité tempérées de tendresse qui fait le prix de leurs interprétations. Il y a, tout au long de ces presque deux heures de musique, un élan irrépressible qui ne connaît aucun relâchement et tient la dragée haute à Alessandrini, pourtant peu réputé pour être tiède, ainsi que des moments d’un incroyable raffinement qui ne pâlissent pas un instant devant celui des meilleures pages de la belle intégrale de la musique sacrée du Prêtre roux signée par Robert King (Hyperion). Les solistes sont globalement de très bon niveau, la haute tenue et la luminosité des trois sopranos, Maria Soledad de la Rosa, Mariana Flores et Caroline Weynants, ainsi que la solidité des deux ténors et de la basse compensant des altos et contre-ténor parfois un rien ternes et mal assurés devant les exigences des partitions. L’orchestre Les Agrémens apparaît, si on excepte quelques minimes et très ponctuels décalages, comme un accompagnateur de grande qualité, très réactif et bien coloré, ses chefs de pupitre (Flavio Losco au violon, Benoît Laurent au hautbois) s’acquittant, en outre, avec les honneurs des solos toujours un peu périlleux que leur a réservés Vivaldi. leonardo garcia alarconC’est néanmoins la prestation du Chœur de Chambre de Namur qui, à mon avis, mérite les plus hauts éloges, tant il fait preuve, dans chacune de ses interventions, d’une cohésion et d’une plasticité sonores magnifiques dans tous ses registres, se montrant capable d’alléger le son jusqu’à la diaphanéité pour, l’instant d’après, le densifier comme les nues annonciatrices du tonnerre (Et misericordia et Fecit potentiamDeposuit potentes du Magnificat, RV 610) ou chanter avec toute la solennité et la jubilation requises les louanges du Seigneur dans les mouvements finals de certaines des pièces. Toutes ces qualités individuelles sont unies dans un même geste par Leonardo García Alarcón, fin musicien dont l’approche à la fois instinctive et réfléchie, nourrie par une réelle intensité du regard porté sur les partitions, ne peut que susciter l’enthousiasme. Son Vivaldi est vigoureux, parfois bouillonnant jusqu’à une certaine forme d’emportement, mais pourtant jamais brutal ou désordonné, l’intelligence du chef permettant à la musique de toujours demeurer racée, équilibrée et raffinée. Il est d’autant plus dommage, et c’est la réserve majeure que je formulerai à propos de cette réalisation, que tant de qualités soient compromises par une prise de son complètement artificielle qui brouille les plans en séparant les solistes, captés de très près, du chœur et de l’orchestre, plus lointains et imprécis, comme si l’enregistrement résultait de l’assemblage de prises hétérogènes dont les coutures auraient ensuite été estompées en usant de la confortable réverbération de l’abbatiale d’Ambronay. Une perspective sonore ainsi faussée ne sert pas, à mon avis, le travail des artistes.

 

Malgré ce bémol, je conseille à tous les amateurs de Vivaldi et, plus largement, de musique baroque sacrée d’écouter ce très bel enregistrement de Vespro a San Marco qui leur fera passer un moment musical que je gage enthousiasmant. On espère que Leonardo García Alarcón et ses remarquables musiciens reviendront un jour prochain vers la production liturgique du Prêtre roux et que les pistes passionnantes qu’ouvre leur disque donneront l’envie à d’autres jeunes ensembles de s’y pencher à leur tour, tant les découvertes qui restent à y faire sont nombreuses.

 

antonio vivaldi vespro a san marco choeur chambre namur lesAntonio Vivaldi (1678-1741), Vespro a San Marco. Domine ad adjuvandum, RV593, Dixit Dominus, RV807, Confitebor, RV596, Beatus vir, RV795, Laudate pueri, RV600, Lauda Jerusalem, RV609, Magnificat, RV610, Laetatus sum, RV607.

 

Maria Soledad de la Rosa, Mariana Flores, Caroline Weynants, sopranos. Joëlle Charlier, Evelyn Ramirez, altos. Fabián Schofrin, contre-ténor. Valerio Contaldo, Fernando Guimarães, ténors. Alejandro Meerapfel, basse.
Chœur de Chambre de Namur
Les Agrémens
Leonardo García Alarcón, direction

 

2 CD [69’51” et 47’56”] Éditions Ambronay AMY029. Ce coffret peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Domine ad adjuvandum, RV593 : Domine ad adjuvandum

2. Dixit Dominus, RV807 : De torrente
Evelyn Ramirez

3. Confitebor, RV596 : Memoriam fecit
Fabián Schofrin, Fernando Guimarães, Alejandro Meerapfel

4. Lauda Jerusalem, RV609
Mariana Flores, Maria Soledad de la Rosa

 

Illustrations complémentaires :

Pier Leone Ghezzi (Comunanza, 1674-Rome, 1755), Antonio Vivaldi, c.1723. Encre sur papier, Bibliothèque Vaticane.

La photographie de Leonardo García Alarcón est de Jacques Verrees, extraite du site du CAV&MA.

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10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 10:23

 

jan de bray roi david jouant de la harpe

Jan de Bray (Haarlem, c.1627-1697),
David jouant de la harpe
, 1670.

Huile sur toile, 142 x 154 cm, collection privée.

 

Bien que souvent éclipsé par l’attention portée par les interprètes au répertoire italien de la même époque, celui créé dans l’Allemagne du XVIIe siècle regorge de richesses, dont beaucoup doivent leur renaissance au remarquable travail entrepris, entre autres, par Jérôme Lejeune dans le cadre de sa série « Deutsche barock Kantaten » (Ricercar) dès la fin des années 1980. S’il a ponctuellement collaboré à cette entreprise, notamment dans un remarquable disque Scheidt (1999), l’ensemble La Fenice, dirigé par le cornettiste Jean Tubéry, s’est plutôt fait une spécialité des compositeurs ultramontains. C’est cependant vers le septentrion qu’il nous entraîne aujourd’hui, en compagnie du ténor Hans Jörg Mammel, dans Jauchzet dem Herren, un programme publié par Alpha proposant essentiellement des compositions sur les Psaumes de David.

 

Les cités du nord de l’Allemagne et, en particulier, celles de la ligue hanséatique, telles Hambourg, Brême ou Lübeck, ont été, grâce à des échanges commerciaux redevenus florissants entre la Paix d’Augsbourg (1555) et le début de la guerre de Trente Ans (1618), précocement en contact avec les nouveautés musicales élaborées en Italie, ainsi qu’en attestent, par exemple, les œuvres de Hieronymus Praetorius (1560-1629) publiées à Hambourg au tout début du XVIIe siècle, avant même que des compositeurs comme Heinrich Schütz aillent se familiariser avec elles in situ et en assurent une diffusion plus large encore. La générosité mélodique et expressive, le goût de la sensualité sonore propres aux compositeurs italiens vont donc venir féconder très tôt, contrairement aux assertions du livret assez approximatif accompagnant le disque, une musique luthérienne jusqu’alors marquée par une grande sobriété, sans qu’elle renie pour autant l’exigence de lisibilité née de sa fonction première de soutien des textes dont le Sola Scriptura de Luther fit, rappelons-le, des piliers essentiels de la Réforme.

jan de bray roi david jouant de la harpe detailParmi ceux-ci, les Psaumes de David, au cœur de cet enregistrement, ont particulièrement inspiré les musiciens, par le fantastique déploiement d’images qu’ils proposent. Des pièces très concentrées des aujourd’hui obscurs Johann Sommer (c.1570-1627), organiste et cornettiste actif à Brême, ou Julius Johann Weiland (c.1605-1663), chanteur et claviériste actif, lui, à Wolfenbüttel en Basse Saxe, à celles du célèbre Dietrich Buxtehude, représenté dans cette anthologie par le brillant concert spirituel Dixit Dominus et le très émouvant Klag-Lied, dont seule la seconde partie (BuxWV 76/2, « Muss der Tod », trois strophes enregistrées ici sur les sept qu’il comprend), contrairement à ce que prétend le livret, a été composée par Buxtehude à l’occasion de la mort de son père en 1674, la première, « Mit Fried und Freud » (BuxWV 76/1), étant antérieure de trois ans et se rapportant à la cérémonie funèbre du surintendant de Lübeck Meno Hanneken avec lequel le musicien était très lié, Jauchzet dem Herren propose un panorama assez complet des expressions du sacré jusqu’au début du XVIIIe siècle. Outre les contrastes dramatiques très accentués du virtuose Aus der Tiefe de Christoph Bernhard, élève de Schütz à Dresde et successeur de Selle à Hambourg, et l’intensité contenue de la mise en musique riche en figuralismes de Johann Philipp Förtsch, actif lui aussi principalement à Hambourg, sur le même texte, ce disque propose également le très coloré et exigeant Jauchzet dem Herren, dont la fluidité mélodique annonce Bach, ainsi que l’impressionnant Prélude et Fugue en mi mineur pour orgue de Nikolaus Bruhns, un élève remarquablement doué de Buxtehude qui aurait été sans doute été un immense compositeur s’il n’était prématurément mort à 32 ans. Les différentes pièces vocales sont judicieusement accompagnées d’œuvres instrumentales qui rappellent opportunément que si elle reste bien moins connue que celle de sa cousine ultramontaine, la contribution de l’Allemagne dans ce domaine est loin d’être négligeable, comme le démontrent la vigueur colorée et les trésors d’inventivité des deux Canzone et de la Sonata signées respectivement par Samuel Scheidt, Johann Sommer et Matthias Weckmann.

hans jorg mammelL’anthologie que proposent Hans Jörg Mammel (photographie ci-contre) et La Fenice est d’un très bon niveau, un peu en retrait, cependant, au regard des espoirs qu’une telle affiche pouvait faire naître. Les neuf musiciens, chef-cornettiste compris, font cependant montre des qualités qu’on leur connaît habituellement ; le discours est souple, bien articulé et parfaitement tenu, la pâte sonore légère, mais très lumineuse et colorée. Offrant à la voix un accompagnement et une repartie également somptueux, l’ensemble vivifie les œuvres purement instrumentales avec une vivacité et un brio qui n’excluent pas de vrais moments de poésie, comme au tout début de la Sonata a 4 de Weckmann. La prestation du ténor laisse, en revanche, quelquefois perplexe, spécialement dans les trois premières pièces du disque où sa voix est affectée de fragilités touchant les registres extrêmes de la tessiture, perceptibles, en particulier, dans des aigus assez tendus. Le chanteur parvient néanmoins à estomper ces difficultés passagères en usant d’un métier très sûr et d’une remarquable sensibilité musicale, ainsi que l’atteste sa très belle interprétation du Klaglied de Buxtehude, auquel il confère un caractère de prière chuchotée à mi-voix qui tranche sur le dolorisme plus théâtralisé des réalisations avec voix de contre-ténor, aussi pertinentes et réussies soient-elles, comme celle, par exemple, d’Andreas Scholl (Harmonia Mundi, 1998). ensemble la fenice jean tuberyAbordant avec une autorité certaine les morceaux plus festifs, comme le Jauchzet dem Herren de Bruhns qui clôt le disque et soutient la comparaison avec la version enregistrée, dans le cadre d’une remarquable intégrale des cantates de ce compositeur (Ricercar, 1989), par Guy de Mey, Hans Jörg Mammel semble avoir fait le choix délibéré d’apporter à cette musique une dimension très incarnée, mais sans lourdeur, la clarté et la légèreté de son timbre s’harmonisant parfaitement, en outre, avec la texture instrumentale transparente tissée par La Fenice (photographie ci-dessus). Comme très souvent avec Jean Tubéry, cet enregistrement se signale donc par la cohérence de sa conception et l’intelligence de sa réalisation qui mettent en lumière le caractère à la fois intime et brillant de la musique d’Allemagne du Nord au XVIIe siècle tout en faisant nettement sentir la dimension humaine de louanges qui, si elles s’adressent au Ciel, n’en demeurent pas moins solidement ancrées dans une réalité toute terrestre.

 

En dépit de ses quelques limites vocales, nul amateur de musique baroque allemande ne saurait ignorer ce disque qui propose, aux côtés de partitions aujourd’hui bien connues, des œuvres plus rares (Förtsch) voire, sauf erreur, inédites (Weiland, Sommer). Même si la musique italienne est au cœur du parcours artistique de La Fenice, on ne peut qu’espérer d’autres escapades en terres septentrionales pour Jean Tubéry et ses troupes, que leur finesse d’approche désigne comme d’excellents serviteurs de ce répertoire.

 

jauchzet dem herren hans jorg mammel la fenice jean tuberyJauchzet dem Herren, les Psaumes de David au XVIIe siècle en Allemagne du Nord.
Œuvres de Dietrich Buxtehude (c.1637-1707), Samuel Scheidt (1587-1654), Johann Philipp Förtsch (1652-1732), Julius Johann Weiland (c.1605-1663), Matthias Weckmann (1616-1674), Nikolaus Bruhns (1665-1697), Christoph Bernhard (1628-1692), Johann Sommer (c.1570-1627).

 

Hans Jörg Mammel, ténor
La Fenice
Jean Tubéry, cornet à bouquin & direction

 

1 CD [durée totale : 68’24”] Alpha 179. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Johann Sommer :
Canzon a 4
(2 violons, 2 cornets à bouquin, basse continue)

2. Dietrich Buxtehude :
Mit Fried und Freud ich fahr dahin
Klaglied (extrait), BuxWV 76/1 & 76/2

 

Illustrations complémentaires :

La photographie de l’ensemble La Fenice, extraite de son site, est de Raynald Henry.

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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 16:39

 

matthias stom ecce homo

Matthias Stom (ou Stomer, Amersfoort, c.1600-Sicile ?, après 1649),
Ecce homo
, sans date.

Huile sur toile, 134,5 x 113 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.

 

Les deux Passions conservées de Johann Sebastian Bach sont des arbres immenses qui cachent une forêt d’une incroyable richesse, non seulement parce qu’elles représentent un pôle d’attraction irrésistible pour des interprètes désireux d’ajouter leur nom à une liste regorgeant de signatures prestigieuses, mais aussi en ce qu’elles constituent l’aune à laquelle toute œuvre relevant du même genre est impitoyablement mesurée, et généralement dépréciée. Pourtant, des chefs comme Charles Medlam, Philippe Pierlot ou Martin Gester, en exhumant les Passions-oratorios respectivement de Johann Theile, de Johann Sebastiani ou d’un manuscrit anonyme conservé à Uppsala, ont démontré qu’un nombre important de partitions captivantes attendait résurrection. Le disque consacré par Michael Alexander Willens, à la tête de cinq solistes et de sa Kölner Akademie, à la Passion-oratorio selon Saint Matthieu de l’obscur Johann Valentin Meder, courageusement publié par Raumklang, en apporte une nouvelle preuve.

 

S’il n’avait côtoyé Buxtehude en 1674, il est fort probable que le nom de Johann Valentin Meder serait encore plus obscur qu’il l’est aujourd’hui. Baptisé à Wasungen, en Thuringe, en mai 1649, issu d’une famille de musiciens, il fait des études de théologie à Leipzig puis à Iena, mais se tourne rapidement vers une carrière de chanteur et d’organiste qui va le conduire, outre à Gotha et Copenhague, dans différentes cités hanséatiques telles Brême, Hambourg, Lübeck, où Buxtehude note qu’il « fait de la musique avec nous à notre tribune d’orgue au jour de la fête de la Visitation de Marie » et lui dédie un canon (BuxWV 123) dont la complexité montre que Meder devait déjà posséder une solide science musicale, puis Reval (l’actuelle Tallinn) où il exerce les fonctions de Cantor de 1674 à 1683, avant de succéder, en 1687, à Balthasar Erben (1626-1686) en qualité de maître de chapelle de la Marienkirche de Danzig (aujourd’hui Gdańsk). Dans cette dernière ville, il tâte également de l’opéra, produisant Nero, premier ouvrage lyrique à y être représenté en 1695, puis Die wiederverehligte Coelia en 1698 qui lui vaut les foudres des autorités locales et la perte de son poste. En 1700, il en obtient néanmoins un similaire à Riga, qu’il conserve jusqu’à sa mort, en juillet 1719.

wilhelm barth vue rigaSi une grande partie de sa production est perdue, ce qui en subsiste permet d’accorder foi aux dires de Johann Mattheson, qui prétend que Meder connaissait la musique italienne, en particulier celle de Carissimi et de Cesti. Ceci n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait à quel point, dès le milieu du XVIe siècle, les nouveautés expérimentées par les musiciens ultramontains étaient diffusées en Allemagne, particulièrement dans le Nord où les réseaux commerciaux de la Hanse avaient favorisé leur propagation, avant que les compositions d’Heinrich Schütz puis de ses élèves leur assurent un rayonnement plus intense encore dans de nombreuses provinces du pays. Meder, sans doute familiarisé avec ces innovations lors de son apprentissage, ne manqua sans doute pas de les approfondir au contact de Buxtehude qui les avait parfaitement intégrées. Sa Passion-oratorio selon Saint Matthieu, probablement composée à Riga en 1701, se situe à la fois dans le droit fil d’un genre né vers 1630-1640 et illustré, entre autres, par Selle (1641-42), Sebastiani (1672) ou Theile (1673), les trois Passions de Schütz (1665-66), strictement vocales, représentant, elles, l’achèvement de la tradition renaissante, ne serait-ce que par sa tonalité dominante de fa majeur, par l’utilisation de mélodies de choral pour structurer les airs ou du violon pour souligner les interventions du Christ (un procédé également repris par Bach), tout en s’en démarquant par une foule de détails. Meder introduit, en effet, de nouvelles couleurs instrumentales en abandonnant les habituelles violes de gambe et en employant des hautbois et des flûtes à bec, ce qui a pour effet immédiat d’éclaircir les textures, mais surtout il met à profit son expérience de compositeur d’opéras et de chanteur pour caractériser plus nettement les Sinfonias qui émaillent le texte (on trouve même un Sommeil – Somnus discipulorum – comme dans la tragédie lyrique française), introduire des passages plus virtuoses dans la partie de l’Évangéliste ou dans les airs et ariosos, qui font preuve, si on les compare aux Passions-oratorios antérieures, d’une fluidité mélodique et d’une séduction immédiate accrues. Meder se détache, peut-être plus clairement que ses prédécesseurs, d’une esthétique essentiellement fondée sur la contemplation pour faire porter son effort principal sur une dramatisation accrue et une approche plus affective des épisodes de la Passion du Christ, développant ainsi une manière qui contient en germe les développements à venir au XVIIIe siècle, lesquels conduiront à une dimension sensible de plus en plus exacerbée, comme on peut l’observer dans les œuvres de Telemann, Bach ou Graun.

L’interprétation de la Passion-oratorio selon Saint Matthieu que livre la petite équipe, composée de cinq chanteurs et sept instrumentistes, réunie par Michael Willens est magistrale. Mus par la conviction d’être en présence d’une partition historiquement importante ou, plus simplement, par le plaisir de servir une musique ouvragée avec un indéniable talent, les interprètes délivrent une prestation brillante où la fougue se conjugue avec une mise en place parfaitement millimétrée qui ne laisse rien ignorer des intentions de Meder. kolner akademieLes chanteurs sont excellents, avec une mention particulière pour l’Évangéliste parfait de style et d’implication de Gerd Türk, et insufflent à leurs rôles (chacun en endossant plusieurs) comme aux chœurs, interprétés à une voix par partie, la caractérisation qui convient sans jamais jouer une surenchère déplacée ; tout est ici à la fois expressif et retenu, avec un soin remarquable apporté à la lisibilité du texte, élément central, on ne le rappellera jamais assez, de la liturgie luthérienne. La sensibilité déployée tout au long des 76 numéros qui composent l’œuvre permet à sa rhétorique musicale d’être réellement agissante et aux affects véhiculés par le drame sacré de toucher profondément l’auditeur. Les instrumentistes de la Kölner Akademie (photo ci-dessus) participent pleinement, eux aussi, à la réussite de cette réalisation, par la souplesse et la vivacité de leur jeu, la variété des couleurs qu’ils proposent (magnifiques hautbois et flûtes à bec), la subtilité et l’efficacité avec lesquelles ils réalisent le continuo qui offre au discours une assise solide tout en assurant son avancée. Toutes ces qualités seraient vaines sans le travail de Michael Willens, qui galvanise ses troupes grâce à une direction conjuguant un bel allant, un sens aigu des contrastes et une attention de tous les instants aux moindres détails de la partition, scrutés avec minutie sans que jamais la dynamique globale de l’œuvre, portée de la première à la dernière note par une tension dramatique que n’interrompt aucun temps mort, en souffre pour autant. Cet équilibre entre la théâtralisation exigée par l’écriture et le recueillement inhérent au sujet, maintenu de bout en bout, signe une lecture superbement aboutie, jamais univoque ou lassante, toujours fervente et d’une grande intelligence.

incontournable passee des artsJe vous recommande donc tout particulièrement cette très belle Passion-oratorio selon Saint Matthieu qui, à mes yeux, s’impose comme un jalon incontournable dans la connaissance de ce genre avant les Passions de Bach, dont elle contribue à frayer le chemin. Puissent d’autres éditeurs avoir autant de courage que Raumklang et confier à la Kölner Akademie et à Michael Willens de nouveaux projets aussi passionnants que celui-ci, car il est, à mes yeux, évident qu’ils possèdent toutes les qualités requises pour les faire revivre et les offrir à l’auditeur d’aujourd’hui dans les meilleures conditions possibles.

 

johann valentin meder passionsoratorium nach matthaus kolneJohann Valentin Meder (1649-1719), Passion-oratorio selon Saint Matthieu

 

Nicki Kennedy, soprano I. Hannah Morrison, soprano II. Dorothee Merkel, alto. Gerd Türk, ténor. Christian Hilz, basse.
Die Kölner Akademie
Michael Alexander Willens, direction

 

1 CD [durée totale : 74’58”] Raumklang RK 2506. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

1. Nos 17 à 20 : Jésus aux Mont des Oliviers
Récitatif « Und da sie den Lobgesang » – Sinfonia – Récitatif « Und nahm zu sich Petrus » – Sinfonia (Somnus discipulorum)

2. Nos 48 à 51 : Couronnement d’épines et dérision de Jésus
Récitatif « Da gab er ihnen Barrabam los » – Sinfonia/Aria « Ach mein Jesu » (soprano) – Récitatif « Da nahmen die Kriegsknechte » – Chœur « Gegrüßet seist du »

3. N° 72 :
Sinfonia
/Aria « O Traurigkeit, o Herzeleid ! » (soprano, ténor, basse)

 

Illustration complémentaire :

Wilhelm Barth (Magdebourg, 1779-Rheinsberg, 1852), Vue de Riga, 1810. Gouache sur papier, 62,5 x 81,5 cm, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage.

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