Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 08:42

 

François Boucher Le déjeuner

François Boucher (Paris, 1703-1770),
Le Déjeuner, 1739
Huile sur toile, 81,5 x 61,5, Paris, Musée du Louvre

 

Il ne vous aura pas échappé que 2014 est une année anniversaire pour Jean-Philippe Rameau, dont on entend un peu plus les œuvres qu'à l'accoutumée, même si on peut juger que l'effort consenti demeure encore insuffisant puisque, par un curieux paradoxe, l'un des compositeurs les plus inventifs de son temps ne parvient toujours pas à être prophète en son pays, en dépit de l'énergie que ses zélateurs déploient pour assurer sa promotion. Même s'il est principalement fêté pour sa production lyrique, c'est du côté de sa musique instrumentale que je souhaite vous entraîner aujourd'hui, à l'occasion de la parution d'une nouvelle lecture de ses Pièces de clavecin en concerts par le jeune ensemble Les Timbres.

 

En mars 1741, le Mercure de France annonça la publication d'un « nouvel Ouvrage de Musique intitulé : Pièces de Clavecin en Concerts avec un Violon ou une Flûte, & une Viole, ou un deuxième Violon par M. Rameau ». Le compositeur, qui avait enchaîné les réussites à la scène depuis la création rien moins que fracassante d'Hippolyte et Aricie (1733) mais s'était également vu attaqué pour son traité de musique publié en 1737, Génération harmonique, s'offrait avec ce recueil, l'unique qu'il composera jamais pour une formation que l'on dirait aujourd'hui de chambre, un répit bienvenu dans ses activités trépidantes.

Très probablement encouragé par l'immense succès des Pièces de clavecin en sonates opus 3 publiées en 1734 par Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), Rameau enrichit considérablement la formule popularisée par son prédécesseur avec un art supérieur de la couleur instrumentale et de l'animation théâtrale. Composé de cinq Concerts de trois pièces chacun, à l'exception du Deuxième qui en compte quatre, le recueil ne comporte que peu de morceaux d'essence purement chorégraphique, les Premier et Second Menuets du Deuxième Concert ainsi que les célèbres et entraînants Premier et Second Tambourins du Troisième Concert. Les quatorze autres sont des pièces de genre qui évoquent soit un lieu, soit un personnage, soit un caractère. On croisera donc, dans le Premier Concert, un roi de Perse évoqué sur un ton martial (La Coulicam, inspirée par l'Histoire de Thamas Kouli-Kan, ouvrage publié en 1740 par André de Claustre), puis une évocation empreinte d'une belle noblesse du comte de Livry, que Rameau connut grâce à son librettiste Alexis Piron et qui devait mourir quelques mois plus tard (La Livri), et enfin celle, cette fois d'une joie toute agreste, d'un hameau champêtre proche de Paris (Le Vézinet). Le Deuxième Concert voit, lui, se succéder le portrait malicieux d'un élève de Rameau, à propos duquel il aurait ensuite déclaré qu'il n'avait « ni génie, ni talent » (La Laborde), Rameau Pièces de clavecin en concertscelui, d'une grande subtilité poétique, d'une claveciniste que l'on disait, au contraire, particulièrement douée (La Boucon) et qui devint, le 26 juillet 1747, madame Mondonville, et l'évocation amusée d'une séductrice demeurée anonyme mais sachant parfaitement faire des mines pour parvenir à ses fins (L’Agaçante). On ne saurait imaginer plus de contrastes entre les deux pièces de genre du Troisième Concert : d'un côté, l'image d'un opulent et généreux fermier général, le fort bien nommé Alexandre Le Riche de La Pouplinère (1693-1762), mécène éclairé protecteur de Rameau (La Lapoplinière), de l'autre La Timide, où alternent une retenue à laquelle la forme répétitive donne un caractère embarrassé et de brèves tentatives de s'en extraire. Avec La Pantomime, qui ouvre le Quatrième Concert, nous voici sur la scène de l'opéra, où nous demeurons le temps de la babillarde et fugace Indiscrète (la pièce la plus brève de toutes celles qui composent les Concerts) et de l'autoportrait que brosse le compositeur dans La Rameau, dont l'esprit italianisant se rapproche de celui d'un concerto. Le Cinquième et dernier Concert est entièrement dédié à des artistes, deux célèbres familles musiciennes étant évoquées par la fugue d'une sévérité tempérée de La Forqueray et la jovialité pleine d'agrément de La Marais, et une danseuse, Marie-Anne de Cupis de Camargo (1710-1770), immortalisée dans un célèbre tableau de Nicolas Lancret largement diffusé à l'époque et qui fit justement son retour sur scène en 1741, se voyant honorée d'une rêveuse Cupis. Manifestation du talent qu'avait Rameau pour camper, avec une grande économie de moyens et un coup de pinceau très sûr, une atmosphère ou un personnage, les Pièces de clavecin en concerts s'imposent comme une des très belles inspirations de leur auteur par la variété de leurs climats et de leurs couleurs, ainsi que par leur habileté à mêler en un tout cohérent la fluidité mélodique venue d'Italie à une élégance toute française, dynamisées toutes deux par un sens du piquant et du pittoresque qui n'appartient qu'à leur auteur.

 

Pour son premier disque, l'ensemble Les Timbres a choisi de se conformer strictement à l'effectif précisé sur le frontispice de l'édition de 1741 – on connaît aussi des lectures plus fournies, comme l'adaptation « en simphonies », d'ailleurs tout à fait recommandable, de Hugo Reyne (Musiques à la Chabotterie) – et de jouer sans détour la carte de la proximité qu'offre ce dispositif. Cette option se révèle payante, car elle est défendue par un trio de musiciens qui, non content de nous apporter la fraîcheur du regard et l'investissement que l'on est en droit d'attendre de la part de jeunes interprètes, nous étonne par sa maîtrise et sa déjà tangible maturité. Les Timbres © Diego SalamancaTout, dans cette réalisation, semble avoir été soigneusement pesé et pensé, et c'est en confidence, au sens ancien de confiance intime de ce mot, qu'elle nous est offerte ; sans une once d'arrogance et nulle de ces poses déjà ringardes à vouloir paraître trop branchées adoptées par certains de leurs confrères trop soucieux de leur apparence, les trois compères nous prennent par la main en toute simplicité et nous entraînent dans une galerie de portraits à la fois fantasques et familiers que l'on parcourt à leurs côtés avec un plaisir qui ne s'effiloche pas au fil des écoutes. Le violon charmeur avec juste ce qu'il faut de mordant de Yoko Kawakubo, la viole moirée et chaleureuse de Myriam Rignol, le clavecin précis et pétillant de Julien Wolfs méritent certes des éloges individuellement, mais on a surtout envie de saluer la belle entente qui règne entre eux et leur permet de trouver en permanence le ton juste et de dialoguer de façon naturelle, nous rappelant au passage que dans la France de Rameau, la conversation était un art. Si elle ne néglige en aucune façon les contrastes et la théâtralité inhérente à ces Concerts, j'avoue qu'une des choses qui m'aura le plus retenu dans l'interprétation proposée par Les Timbres est sa douceur sans mièvrerie qui entre de si évidente façon en résonance avec celle des œuvres picturales de la même époque, laquelle voit l'émergence de la notion de goût comme critère de jugement esthétique.

De goût, l'ensemble Les Timbres n'en manque pas et l'on sait gré à Philippe Pierlot de l'avoir repéré et accueilli sur son propre label. Même si l'on sait qu'après ce Rameau fort réussi, les trois musiciens prévoient de remonter un peu le cours du temps pour faire escale en Italie, on espère vivement que leur incursion dans le répertoire français, envers lequel il semble nourrir de vraies affinités, ne restera pas sans lendemain.

 

Jean-Philippe Rameau Pièces de clavecin en concerts Les TiJean-Philippe Rameau (1683-1764), Pièces de clavecin en concerts

 

Les Timbres
Yoko Kawakubo, violon
Myriam Rignol, viole de gambe
Julien Wolfs, clavecin

 

1 CD [durée totale : 69'35"] Flora 3113. Ce disque peut être acheté sous forme physique chez votre disquaire ou en suivant ce lien, et au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Fugue La Forqueray

 

2. La Boucon, Air gracieux

 

3. Premier Tambourin, deuxième Tambourin en Rondeau

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Frontispice des Pièces de clavecin en concerts, Paris, Bibliothèque nationale de France, département Musique, VM7-5309, consultable en suivant ce lien.

 

La photographie de l'ensemble Les Timbres est de Diego Salamanca, utilisée avec autorisation.

 

 

Un amical merci à Frédéric Degroote, auteur du blog Sprezzatura E Glosas.

Partager cet article
Repost0
15 septembre 2014 1 15 /09 /septembre /2014 07:28

 

Achille-Etna Michallon Une cascade au Mont-Dore

Achille-Etna Michallon (Paris, 1796-1822),
Une cascade au Mont-Dore, 1818
Huile sur toile, 41,3 x 56,2 cm, New-York, Metropolitan Museum

 

Il semble bien que la réhabilitation de George Onslow soit aujourd'hui une chose acquise si l'on en juge par les parutions discographiques qui lui sont assez régulièrement consacrées et par le festival en forme de consécration que lui dédiera le Palazzetto Bru Zane du 11 avril au 21 mai 2015. L'institution vénitienne vouée à la musique romantique française, qui a joué un rôle majeur dans ce retour en grâce d'un compositeur dont la redécouverte remonte aux années 1970, a apporté son soutien au disque documentant, sous les doigts d'Emmanuel Jacques et de Maude Gratton, ses Sonates opus 16 dans leur distribution originale pour violoncelle et piano.

 

Les grandes lignes de la biographie de ce fils d'un immigré anglais fixé en Auvergne au début des années 1780, ayant pris à Hambourg des cours de piano auprès de Jan Ladislav Dussek, puis de composition auprès d'Anton Reicha à Paris, sont maintenant bien connues. George Onslow fit une carrière originale, partageant son temps entre ses terres clermontoises à la belle saison et la capitale l'hiver, et se vouant presque exclusivement à la musique instrumentale, en particulier de chambre dont il laisse un catalogue conséquent, à une époque où l'opéra monopolisait l'attention des compositeurs, un succès dans le genre lyrique étant le seul à pouvoir adouber une carrière. Le fait qu'Onslow n'avait pas à composer pour assurer sa subsistance joua, bien entendu, un rôle déterminant dans l'orientation qu'il donna à sa production, mais il ne faudrait pas sous-estimer le goût qu'il pouvait avoir pour les domaines qu'il privilégia. N'apprit-il pas le violoncelle pour pouvoir pratiquer plus aisément la musique de chambre ?

Publiées par Pleyel en 1820, les Sonates pour violoncelle – cette partie pouvant également se jouer à l'alto – et piano opus 16 furent, comme bien des œuvres de leur auteur, accueillies avec beaucoup d'enthousiasme... en Allemagne, faisant même l'objet d'un élogieux compte rendu sur quatre colonnes dans l'Allgemeine musikalische Zeitung du 21 mars 1821 henri grevedon george onslowqui proclame en Onslow le digne héritier du classicisme et le désigne « parmi les maîtres de la musique instrumentale contemporaine vers lesquels se tourne la plus grande attention » comme celui à qui « doit revenir le premier et le plus haut rang. » De fait, c'est bien vers l'univers de Haydn et parfois de Mozart que semblent regarder la Sonate n°1 en fa majeur et la n°3 en la majeur, avec leur écriture transparente, leur netteté de trait et leur souci d'équilibre dans l'expression des passions, mais aussi un humour que n'aurait pas renié le maître d'Esterháza. L'ambitieuse Sonate n°2 en ut mineur choisit, pour sa part, de mettre résolument ses pas dans ceux de Beethoven, ne serait-ce que par le choix d'une tonalité dont on sait qu'elle était dotée pour ce dernier d'une énergie et d'une portée particulières, mais aussi par l'élan passionné, authentiquement romantique, qui la traverse en s'exprimant avec force dès les premières mesures abruptes qui ouvrent son Allegro espressivo liminaire, sans doute la page la plus impressionnante de tout le recueil par sa fougue, ses assombrissements et ses foucades. L'effusion n'est pas en reste dans ce trio d'œuvres et c'est peut-être, de manière assez inattendue, dans les deux sonates les plus « classiques » qu'elle est la plus perceptible. Les échappées rêveuses qui font volontiers songer à l'univers de Schubert dont l'ombre semble planer sur le magnifique Andante central en ré mineur de la Sonate n°1, subtilement chaloupé et à l'atmosphère toute de demi-teintes troublantes, ou le lyrisme contenu (mais pas corseté) qui baigne le bref Adagio de la Sonate n°3 sont deux très belles inspirations dans lesquelles s'exprime « un cœur qui éprouve de profonds sentiments » pour citer une nouvelle fois l'article de l'Allgemeine musikalische Zeitung, tandis que le tendre Adagio cantabile de la Sonate n°2 nous rappelle la capacité qu'avait Onslow à trouver des mélodies à la simplicité et à la fluidité immédiatement évocatrices.

Première, sauf erreur de ma part, sur instruments anciens, la lecture que livrent Emmanuel Jacques et Maude Gratton de l'opus 16 original est une indiscutable réussite, et ce à plus d'un titre. Le point le plus immédiatement perceptible est la maîtrise technique dont font preuve ces deux musiciens de la jeune génération des interprètes rodés à la pratique historique ; ils ont les moyens d'affronter sans frémir les exigences des partitions, en particulier la virtuosité de la Sonate n°2, et cette confiance justifiée en leurs capacités leur permet de se libérer complètement d'un point de vue expressif. Vous pensiez encore que la musique d'Onslow est une aimable bluette d'un classicisme un peu délavé et pas très intéressant ? Laissez donc ces deux interprètes qui en ont pris la pleine mesure vous démontrer à quel point ce n'est pas le cas. Ils vous feront entendre tout ce qu'elle a de palpitant, tout en n'oubliant pas de rendre justice à la qualité de sa constructionEmmanuel Jacques et Maude Gratton – rendez-vous, pour ceux qui en douteraient, à l'Allegro espressivo de la Sonate n°2, tendu et mené de main de maître de la première à la dernière note –, et vous démontreront qu'elle n'est pas digne de la routine ennuyeuse dans laquelle certains ensembles qui, en dépit de leur talent, n'ont rien à y dire (le Quatuor Diotima, par exemple), parviennent à l'enfermer. Rien de tout ceci dans ce disque souvent enthousiasmant où les deux protagonistes, unis dans un véritable esprit chambriste fait d'écoute et de complicité et touchant des instruments aussi somptueux que parfaitement captés par Hugues Deschaux, avancent avec conviction, soufflant sur les braises des moments passionnés, n'hésitant pas à s'abandonner dans ceux de tendresse, soulignant chaque nuance avec précision et raffinement. Le violoncelle d'Emmanuel Jacques chante avec naturel et sensibilité, le pianoforte de Maude Gratton déploie autorité et ardeur, et tous deux s'entendent pour livrer une vision pleine de lyrisme, d'audace mais aussi d'intelligence de ces sonates d'Onslow qui y gagnent une telle allure qu'on se surprend à se demander pourquoi elles ne figurent pas plus régulièrement au programme des concerts.

 

En attendant qu'elles y gagnent la place qu'elles méritent, je vous recommande sans hésitation de leur faire bon accueil dans votre discothèque et je suis prêt à parier qu'elles s'imposeront rapidement dans vos écoutes et votre cœur. Puisse maintenant le duo formé par Emmanuel Jacques et Maude Gratton continuer à travailler ensemble pour nous offrir d'autre joyaux du répertoire romantique français — les sonates d'Alkan, de Chopin, de Lalo ou de Saint-Saëns n'attendent que lui.

 

George Onslow Sonates pour violoncelle et pianoforte op 16George Onslow (1784-1853), Sonates pour violoncelle et piano opus 16, n°1 en fa majeur, n°2 en ut mineur, n°3 en la majeur

 

Emmanuel Jacques, violoncelle Jacques Boquay 1726
Maude Gratton, pianoforte John Broadwood & sons 1822

 

incontournable passee des arts1 CD [durée totale : 62'47"] Mirare MIR 192. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Sonate opus 16 n°1 : [II] Andante

 

2. Sonate opus 16 n°2 : [IV] Finale : Allegretto

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Pierre Louis Henri Grévedon (Paris, 1776-1860), George Onslow, 1830. Lithographie, 32 x 24 cm, Paris, Bibliothèque Nationale de France

 

La photographie d'Emmanuel Jacques et Maude Gratton (août 2010) est de Guillaume Mousson (http://gmbook.canalblog.com/)

Partager cet article
Repost0
31 août 2014 7 31 /08 /août /2014 17:38

 

Nicolas Poussin L'Institution de l'Eucharistie

Nicolas Poussin (Les Andelys, 1594-Rome, 1665),
L'Institution de l'Eucharistie, 1647
Huile sur toile, 117 x 178 cm, National Gallery of Scotland

 

Sébastien Daucé est un musicien dont la ténacité ne peut que susciter l'admiration ; il n'a ainsi jamais caché le profond intérêt qu'il porte à la musique d'Étienne Moulinié et sa volonté de lui consacrer un enregistrement dès que l'occasion lui en serait donnée. Fort du succès fracassant de son premier disque pour Harmonia Mundi dédié à Charpentier, l'Ensemble Correspondances nous propose donc de découvrir le pan sacré de la production du compositeur de Gaston d'Orléans, finalement peu régulièrement servie au disque, dans une anthologie intitulée Meslanges pour la Chapelle d'un Prince.

 

L'art de Mouliné, né en 1599 dans une famille languedocienne, se nourrit à plusieurs sources entre lesquelles ses Meslanges de sujets chrestiens..., sortis des presses de Jacques de Senlecque le 7 décembre 1657, opèrent une synthèse absolument passionnante. Le soin méticuleux apporté à la présentation matérielle d'un recueil qui comporte nombre de jolies initiales ornées, voire historiées, le rattachant à la grande tradition des manuscrits musicaux Anton Van Dyck Gaston de France Duc d'Orléanset pour lequel l'imprimeur fondit certains caractères nouveaux, constitue un des indices de l'importance qu'il revêtait aux yeux de son auteur, entré en 1627 au service de Gaston d'Orléans, frère du roi, en qualité de chef de sa Musique. S'il avait reçu une formation tout ce qu'il y a de plus traditionnel à la maîtrise de la cathédrale de Narbonne, c'est dans un tout autre domaine qu'il s'illustra à son arrivée à Paris où son frère aîné Antoine, chantre de la Musique de la Chambre du roi, le fit venir au début des années 1620 : l'air de cour. La renommée qu'il y gagna favorisa grandement son élévation et il continua d'ailleurs à fréquenter le genre jusque fort tard dans sa carrière, sa dernière contribution datant de 1668, alors que la mort de son protecteur, en 1660, l'avait conduit à quitter la capitale pour devenir maître de musique des états de Languedoc, un poste qu'il conserva jusqu'à sa mort en 1676. Jusque vers 1650, date à laquelle Moulinié acheva la composition de ses Meslanges puisqu'il obtint pour eux un privilège royal en 1651, la Musique de Monsieur se devait naturellement d'être le reflet de la magnificence de ce prince et comportait deux pages, huit chanteurs adultes, un violiste et deux luthistes. Après cette date, l'effectif de cet ordinaire, qui pouvait, selon les occasions, se trouver substantiellement étoffé, fut réduit à un chanteur par partie, sans doute par la nécessité de restreindre un train que l'engagement hasardeux d'un duc qui se rêvait roi et n'hésitait pas, pour flatter ses ambitions, à se faire conspirateur, dans les tumultes de la Fronde imposait.

Sébastien Daucé inscrit fort judicieusement son interprétation des Meslanges dans la période la plus florissante de cette Chapelle en proposant une lecture qui évoque, par l'ensemble vocal et instrumental fourni qu'elle convoque, l'opulence de la cour de Gaston d'Orléans. Outre les pièces de Moulinié, le chef a eu l'excellente idée d'inclure dans son programme des œuvres de compositeurs que ce dernier a immanquablement côtoyé, qu'il s'agisse d'Antoine Boësset – superbes Popule meus et Pie Jesu, pleins d'une contrition dont la suavité ponctuée d'accents théâtraux (sur « responde », « flagellavi »/« flagellatum », par exemple) Marguerite de Lorraine van Dyck Schelte Adams Bolswertpénètre l'âme – ou de François de Chancy et de Louis Constantin, tous deux représentés par des pièces instrumentales dont l'humeur épanouie n'est jamais sans s'accompagner de quelques clairs-obscurs qui leur permettent de demeurer dans le ton de ce programme sacré. Les motets de Moulinié, s'ils respectent, par la netteté et l'absence de grandiloquence de leur composition, la volonté de leur auteur, exprimée dans la préface du recueil, de « purifier la musique et la rendre toute chaste » comme la piété de sa dédicataire, Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, se ressentent du double héritage dont ils sont le fruit et font entendre, sur le terreau d'une polyphonie « à l'ancienne » parfaitement maîtrisée, des ornements et des madrigalismes directement issus de l'air de cour dont l'emploi vise à renforcer l'expression, tout comme les alternances entre solistes, eux-même diversement regroupés, et tutti, contribuent, pour leur part, à dynamiser considérablement le discours. En tournant le dos, grâce à ces éléments d'un langage « moderne », à un style par trop sévère, Moulinié parvient, sans jamais hypothéquer la portée spirituelle de textes méticuleusement choisis et agencés par ses soins – car ce recueil peut aussi, de ce point de vue, être envisagé comme un acte de foi personnel –, et fidèle en ceci aux préceptes de la contre-Réforme, à parer ses motets de couleurs séduisantes propres, par l'intercession de la beauté, à exciter la dévotion de l'auditeur, d'hier et peut-être d'aujourd'hui.

 

Tout nouvel enregistrement de Correspondances suscite, chez ceux qui goûtent la manière toute de raffinement et de retenue de cet ensemble, une attente que la réussite de ses précédentes réalisations ne fait que renforcer. On sait donc infiniment gré à Sébastien Daucé et à ses musiciens de ne pas nous décevoir avec ces Meslanges dont on sent, dès la première écoute, à quel point le projet de les servir leur tenait à cœur. Ceux qui reprochent aux lectures de Correspondances d'être fâchées avec la théâtralité, voire avec l'expressivité, en seront ici pour leurs frais – outre les deux pièces de Boësset déjà citées, les Litanies de la Vierge sont, entre autres, un grand moment de ce point de vue –, car il n'est pas un instant de cette anthologie qui ne soit profondément investi par les chanteurs comme par les instrumentistes avec autant de ferveur que de maîtrise. Correspondances Sébastien DaucéMême si on relève très ponctuellement, comme dans Ego flos campi, quelques minimes scories de mise en place (coexistence, dans la même phrase, de la prononciation gallicane et romaine du latin), elles sont bien vite oubliées devant la clarté des lignes, soulignée par une prise de son bien équilibrée, la fluidité globale et l'éloquence du chant ainsi que par l'efficace discrétion des ornements. L'avantage procuré par la stabilité de l'effectif dirigé par Sébastien Daucé est plus que jamais perceptible dans ces pièces dont la dimension intimiste exige de grandes qualités de cohésion et d'écoute mutuelle ; elles sont patentes ici, et les musiciens, sans rien renier de leur individualité, vont tous dans la même direction, ce qui permet à leur prestation de gagner une densité et une force qui serait peut-être plus difficile à obtenir avec une troupe plus disparate. Il faut dire que cette dernière est menée par un chef qui a pris le temps de mûrir son projet et conduit ses troupes avec une intelligence et une sensibilité indéniables qui trouvent leur aboutissement dans une attention envers les mots tout à fait remarquable.

Correspondances confirme donc une nouvelle fois, avec ce disque consacré aux Meslanges de Moulinié, qu'il est aujourd'hui un ambassadeur de tout premier plan pour le répertoire sacré du XVIIe siècle français dont il sait comme bien peu retrouver les couleurs et le ton justes, loin de la fadeur comme de l'outrance. On espère que le public saura faire à cette anthologie l'excellent accueil que ses qualités méritent afin que la courageuse aventure de ses musiciens puisse se poursuivre longtemps encore.

 

Etienne Moulinié Meslanges Correspondances Sébastien DaucÉtienne Moulinié (1599-1676), Meslanges pour la Chapelle d'un Prince, Antoine Boësset (1586-1643), Jesu nostra redemptio, Popule meus, Pie Jesu, François de Chancy (c.1600-1656), deux Allemandes, Louis Constantin (c.1585-1657), La Pacifique

 

incontournable passee des arts1 CD [durée totale : 66'02"] Harmonia Mundi HMC 902194. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Cantate Domino, motet. A cinq

 

2. Veni sponsa mea, motet de la Vierge. A cinq

 

3. O dulce nomen, motet du nom de Jésus. A cinq

 

Illustrations complémentaires :

 

Anton Van Dyck (Anvers, 1599-Londres, 1641), Gaston de France, duc d’Orléans, 1634. Huile sur toile, 194 x 118 cm, Chantilly, musée Condé © RMN-GP/Harry Bréjat

 

Schelte Adams Bolswert (Bolsward, c.1586-Anvers, 1659) d'après Anton Van Dyck, Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans, après 1634. Burin et eau-forte, 24,5 x 18 cm, Versailles, Château de Versailles et de Trianon

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

Partager cet article
Repost0
27 avril 2014 7 27 /04 /avril /2014 08:56

 

Marc Chagall Bouquet aux amoureux volants

Marc Chagall (Vitebsk, 1887-Saint-Paul de Vence,1985),
Bouquet aux amoureux volants
, c.1934-47

Huile sur toile, 130,5 x 97,5 cm, Londres, Tate Gallery
© ADAGP, Paris & DACS, London

 

2013 a marqué le cinquantenaire de la mort de Francis Poulenc, événement qui a été fêté au disque comme à la scène avec plus ou moins de bonheur. Harmonia Mundi nous offre, en ce printemps, deux enregistrements consacrés à ce compositeur dont la cote auprès du public ne semble pas devoir se dévaluer, ce qui ne peut que réjouir ceux qui, comme votre serviteur, nourrissent pour lui quelque tendresse : le premier, réunissant les Sept Répons de Ténèbres et le Stabat Mater dans une très belle lecture dirigée par Daniel Reuss devrait être chroniquée d'ici peu par le blog ami Sprezzatura e Glosas, auquel je vous renvoie, le second, dont il va être question ci-après, est une anthologie de mélodies intitulée Les anges musiciens, qui réunit la soprano Sophie Karthäuser et le pianiste Eugene Asti.

Avec un catalogue de près de deux cents œuvres, la mélodie occupe une place privilégiée dans la production de Francis Poulenc, qui va pratiquer ce genre de 1913, date de Viens ! Une flûte invisible, composée pour le mariage de sa sœur, à l'ultime Nos souvenirs qui chantent en 1962. Le compositeur y trouve un moyen idéal pour exprimer toutes les facettes d'une personnalité multiforme et complexe, en abordant les thèmes qui lui sont chers tout en se mettant au service d'un art qu'il goûtait particulièrement : la poésie. Il faut souligner que s'il mit en musique des auteurs anciens, comme Pierre de Ronsard dont il offrit Àsa guitare à Yvonne Printemps en 1935, sa préférence allait principalement à ses contemporains avec la plupart desquels il était en relation, qu'il s'agisse, entre autres, de Paul Éluard, de Guillaume Apollinaire qu'il eut le temps de côtoyer brièvement avant que la grippe espagnole l'emporte en 1918, de Louis Aragon ou de Louise de Vilmorin.

Si l'amour est très présent et constitue, non sans y semer son lot de doutes et d'angoisses, la ligne de force des deux cycles majeurs présents dans cette anthologie que sont Tel jour telle nuit (1937), empreint d'un recueillement qui souvent s'ouvre sur une gravité frémissante, et Fiançailles pour rire (1939), Francis Poulencaux teintes plus claires mais dont l'humeur légère n'exclut pas des recoins d'ombre inquiète (« Dans l'herbe », « Mon cadavre est doux comme un gant »), l'enfance pointe également le bout d'un nez à la fois candide et moqueur, ouvertement dans La courte paille, un cycle sur des poèmes de Maurice Carême (1960, créé l'année suivante) dans lequel l'espièglerie poussée parfois jusqu'au plus complet surréalisme (« Quelle aventure ! », « Le carafon ») le dispute à une tendresse rêveuse et nostalgique (« La reine de cœur », « Les anges musiciens »), ou, cette fois de façon plus diffuse, dans l'inventaire à la Prévert de « Fêtes galantes », second volet des Deux poèmes de Louis Aragon (1943). Cet humour volatil et volontiers goguenard côtoie sans hiatus l'expression de visions plus tragiques, dont les poignants « C. », pendant de « Fêtes galantes », où résonne l'écho des atrocités de la Seconde guerre mondiale, et Bleuet (1939) qui évoque, sur un poème posthume de Guillaume Apollinaire, qui savait de quoi il parlait, la destinée des jeunes hommes fauchés par la Grande guerre, ou encore Main dominée par le cœur (1946) dont le tempo noté « très allant » ne doit pas faire oublier qu'il y passe le souffle haletant d'un inéluctable qui bée sur le vide. On aurait pu souhaiter, pour qu'il ne manque rien au portrait de Poulenc qu'il dessine en filigrane, que ce récital propose également une mélodie d'inspiration plus clairement religieuse – pourquoi pas l'émouvante simplicité de Priez pour paix ? –, mais l'essentiel est là, entre le bon rire qui croque la vie et la mélancolie des heures de solitude, bercés par les élans du cœur dont les oscillations permanentes entre élan et nostalgie trouvent une de leurs plus parfaites expressions dans les célébrissimes Chemins de l'amour (1940) où passent, sur un rythme de valse, autant de sourires que de larmes.

De ces univers contrastés, Sophie Karthäuser et Eugene Asti, deux musiciens habitués à travailler ensemble, nous livrent une vision d'une poésie et d'une élégance raffinées souvent assez irrésistibles. Soulignons tout d'abord la qualité de la ligne de chant, merveilleusement souple et lumineuse, mais qui ne se cantonne jamais à cette joliesse décorative qui, par l'ennui qu'elle finit immanquablement par distiller, est un des plus sûrs ennemis du répertoire de la mélodie française. Sophie Karthauser Alvaro YanezIci, rien n'est jamais anodin ou gratuit, l'attention portée aux mots est permanente et elle se manifeste tant dans la recherche permanente d’éloquence que dans celle d'une lisibilité maximale, ce que la comparaison avec des enregistrements considérés comme des références, en particulier ceux de Felicity Lott (Decca, 1996), confirme largement. Si elle se montre très à l'aise et totalement convaincante dans les pièces à l'humeur tendre ou mélancolique – j'ai ainsi tout particulièrement goûté sa lecture de Tel jour telle nuit dont la gravité sans pesanteur et les touches d'espoir judicieusement déposées tout au long des neuf mélodies me semblent fort bien rendre justice à ce cycle aux éclairages sans cesse mouvants –, il manque, à mon goût et sans que cette lacune soit rédhibitoire, à Sophie Karthäuser ce petit soupçon de drôlerie supplémentaire qui rend les interprétations de son aînée inoubliables dans les pages plus humoristiques ou légères. Eugene Asti se montre un accompagnateur tout à fait en phase avec les choix esthétiques de la chanteuse à laquelle il offre un soutien d'une grande minutie dont l'équilibre et le sens de la couleur sont bien souvent remarquables. Il se dégage de ce duo une complicité et une sensibilité évidentes qui rend leur disque attachant et donne l'envie de s'y replonger fréquemment pour y retrouver le riche bouquet d'émotions qui s'y épanouit et dont on respire à chaque reprise des parfums insoupçonnés.

Je vous recommande donc ce récital très maîtrisé qui constitue un bel hommage aux différents visages de la muse de Poulenc et, au-delà, à la mélodie française, un genre envers lequel Sophie Karthäuser dit nourrir de réelles affinités et qui lui convient visiblement tout à fait. On espère la voir y revenir fréquemment à l'avenir en la remerciant, ainsi qu'Eugene Asti, de nous avoir offert aujourd'hui une bouffée de cette mélancolie qui donne du bonheur, celle que Victor Hugo définissait comme la « joie d'être triste. »

 

Francis Poulenc Les anges musiciens Mélodies Karthäuser AFrancis Poulenc (1899-1963), Les anges musiciens..., mélodies

 

Sophie Karthäuser, soprano
Eugene Asti, piano

 

1 CD [durée : 66'12"] Harmonia Mundi HMC 902179. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com

 

Extraits proposés :

 

1. « Quelle aventure ! » extrait de La courte paille FP 178
Texte de Maurice Carême

 

2. « C. » extrait de Deux poèmes de Louis Aragon FP 122

 

3. « Il vole » extrait de Fiançailles pour rire FP 101
Texte de Louise de Vilmorin

 

4. « Nous avons fait la nuit » extrait de Tel jour telle nuit FP 86
Texte de Paul Éluard

 

5. Les chemins de l'amour, FP 106
Texte de Jean Anouilh

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Un entretien avec Sophie Karthäuser à propos de ce projet Poulenc et de l'univers de la mélodie :

 

Illustrations complémentaires :

 

La photographie de Francis Poulenc est de Denis Manceaux.

 

La photographie de Sophie Karthäuser est d'Alvaro Yanez © Orfeo artist management

Partager cet article
Repost0
30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 08:56

 

« Je vois maintenant qu'en choisissant la carrière de musicien, je ne me suis pas trompé de route. »
Théodore Gouvy

 

Jean Baptiste Camille Corot La forêt de CoubronJean-Baptiste Camille Corot (Paris, 1796-1875),
La forêt de Coubron
, 1872
Huile sur toile, 96 x 77,8 cm, Washington, National Gallery of Art

 

centre musique romantique francaise palazzetto bru zaneLe Palazzetto Bru Zane est une institution qui déborde d'idées et sait se donner les moyens de les réaliser. Après avoir inauguré une première série d'enregistrements consacrée aux cantates du prix de Rome, qui devrait s'enrichir d'un cinquième volume à l'automne prochain, puis une deuxième intitulée Opéra français, dont la récente parution du Dimitri de Victorin Joncières, sixième étape d'une collection inaugurée en 2012, atteste de la vitalité, le Centre de musique romantique française lance, toujours en collaboration avec Ediciones Singulares, un nouveau projet, intitulé Portraits, destiné à donner un panorama aussi complet et varié que possible de la production d'un compositeur méconnu.

Le premier à être mis à l'honneur est Théodore Gouvy, dont j'ai déjà eu l'opportunité de vous entretenir en tout début d'année, à l'occasion de la recension du disque proposant trois de ses Trios avec piano par Voces Intimæ. Je renvoie donc le lecteur curieux d'en apprendre un peu plus sur la trajectoire de ce musicien souvent partagé entre France et Allemagne aux éléments que je donnais alors et à ceux qu'ils pourront glaner sur le site de l'Institut Théodore Gouvy qui, depuis la villa de Hombourg-Haut où il vécut à partir de 1868, veille à favoriser une meilleure connaissance et une plus large diffusion de l'œuvre du compositeur.

Grand contempteur du goût parisien pour l'opéra – il en composera néanmoins deux, Le Cid et Fortunato, achevés respectivement en 1863 et 1897, qu'il n'entendra jamais – et la frivolité, Gouvy se voua essentiellement à ce qu'il nommait lui-même la « musique sérieuse. » Son legs fait ainsi une large place aux compositions instrumentales (de chambre et symphoniques), mais aussi vocales, avec des cantates et des scènes dramatiques aux sujets marqués par son goût de la culture classique, sans oublier des mélodies, avec un net penchant pour les textes des poètes de la Renaissance, Pierre Gouvy Goffontaine 1956et des pages sacrées, parmi lesquelles on signalera le Requiem et le Stabat Mater datant tous deux de 1874, deux domaines dont on aurait aimé que ce Portrait proposât de découvrir au moins un aperçu. Gouvy ne fut cependant pas que le musicien un rien distant qui déclarait que « son ambition [n'était] pas de devenir professeur ou pianiste de profession » car il « [regardait] la musique de plus haut que cela », et c'est ce que prouve avec beaucoup de pertinence cette anthologie en proposant six extraits des Sérénades pour piano, des pièces de caractère composées au fil de la plume entre 1855 et 1875 où l'on peut percevoir des échos de Schubert comme de Mendelssohn et Chopin. Ces miniatures sont interprétées avec un goût très sûr, fait de raffinement et d'élégance, mais sans aucune mièvrerie, par Emmanuelle Swiercz qui, sans les solliciter à outrance, en les laissant simplement respirer, chanter et être ce qu'elles sont et qui est parfois plus complexe qu'en apparence, tire le meilleur de ce qu'elles ont à offrir.

Le volet orchestral a été confié à deux phalanges à la personnalité assez différente dont les propositions, loin de s'exclure, se complètent parfaitement en donnant à entendre toutes les couleurs de Gouvy. À l'Orchestre philharmonique royal de Liège qui, sous la direction de son chef, Christian Arming, effectue un travail tout à fait intéressant sur la musique française, a été confiée la magnifique Sinfonietta op.80 (1885). Il s'agit d'une œuvre concentrée, aux proportions extrêmement équilibrées, qui opère une synthèse tout à fait séduisante entre classicisme et romantisme, comme un tour d'horizon qui irait de Beethoven à Brahms en passant par Schubert, Mendelssohn et Schumann, tout ceci dans une atmosphère aux teintes de pastorale (Allegro liminaire) empreinte, en dépit de l'humeur assombrie du mouvement lent, de joie sereine. La phalange belge y livre une version de grande classe en y déployant une pâte orchestrale qui associe une rondeur et une sensualité Théodore Gouvy 1890 Copyright Institut Gouvymises au service d'un souffle plutôt ample (l'Andante est une très belle réussite) et d'un romantisme assumé qui, s'il alourdit quelquefois légèrement la scansion (Finale), ne perd cependant jamais en chemin son sens aigu de la pulsation. Les musiciens font montre des mêmes qualités, que l'on dira, faute de meilleur qualificatif, « germaniques », dans les deux autres pages où ils accompagnent un soliste, instrumental dans la Fantaisie pastorale (1875), page pleine d'un charme bucolique qui représente une des rares concessions de Gouvy à la virtuosité (tempérée), où le violon solaire, mais au vibrato, à mon goût, un peu trop présent, de Tedi Papavrami s'harmonise parfaitement avec le splendide nuancier de l'orchestre, vocal dans La Religieuse, scène dramatique créée en 1876, chantée avec un engagement bienvenu par une Clémentine Margaine capiteuse mais que l'on aurait juste souhaité, par moments, un peu plus lisible.

Trois ouvertures de concert, Jeanne d'Arc d'après Schiller (1851), Le Festival (1852) et Le Giaour d'après Byron (1878) qui toutes illustrent, par leur absence totale de dessein programmatique, la précellence accordée par le compositeur au climat sur l'anecdote et à la musique « pure », sont interprétées avec finesse et brio par l'Orchestre national de Lorraine placé sous la direction de Jacques Mercier, une équipe qui connaît parfaitement la musique de Gouvy pour avoir signé, pour le label allemand CPO, la première et très aboutie intégrale de ses symphonies. On retrouve ici ce qui faisait le prix de cette dernière, avec une préférence marquée et, pour le coup, très « française », pour une ligne claire, une certaine légèreté de touche, la recherche permanente du rebond et de la netteté d'articulation. Sans manquer, pour autant, de chair ou de sentiment, l'esthétique défendue me semble regarder vers le classicisme, ce qui est loin d'être un contresens ici.

Finissons cette rapide revue par le volet chambriste, globalement très convaincant lui aussi et qui donne à entendre, avec la même intelligence que l'orchestral, deux ensembles au style bien différencié. D'un côté, le jeune Quatuor Cambini-Paris, dont le travail sur Hyacinthe Jadin et Félicien David a été salué dans ces pages, propose, sur instruments anciens, une lecture pleine de contrastes, menée avec une verve spirituelle et une vigueur roboratives, du Quatuor en la mineur op.56 n°2 (1872), Paul Flandrin La solitudeà laquelle ne manque qu'un soupçon d'épanouissement acoustique pour emporter complètement, tandis que, de l'autre, le plus installé Quatuor Parisii s'illustre dans une interprétation du Quatuor en ut mineur op.68 (1874), sur instruments modernes mais avec un vibrato assez contrôlé, dont la fluidité et l'ardeur ont constitué pour moi une bonne surprise. Ces deux formations montrent, s'il en était besoin, la belle vitalité des quatuors français et l'on se dit que le Palazzetto Bru Zane serait bien inspiré de poursuivre en leur compagnie l'exploration du répertoire écrit pour cette formation au XIXe siècle, lequel n'a probablement pas livré tous ses trésors. Je suis un peu plus réservé sur la présence du Trio avec piano n°4 (1858) : l’œuvre est indubitablement belle, mais force est de constater que la version qu'en livre le Trio Arcadis, qui est pourtant loin de démériter et fait montre d'une excellente cohésion, pâlit face à celle de Voces Intimæ, nettement plus idiomatique. Plutôt que cette redite, peut-être aurait-il été plus intéressant de lui confier le Trio avec piano n°5, sauf erreur inédit au disque ?

Voici donc, malgré quelques minimes réserves, un projet tout à fait passionnant qui permet de faire connaissance, dans d'excellentes conditions, avec une large palette de l'art de Théodore Gouvy et que je recommande donc sans hésiter à tous ceux qui souhaiteraient découvrir ce compositeur ou parfaire la connaissance qu'ils en ont, puisque cette anthologie offre pas moins de sept inédits au disque. Par la qualité globale des interprétations musicales qu'il regroupe comme par celle de ses textes de présentation qui, avec une pédagogie bien comprise, conjuguent précision et accessibilité, ce premier volume, dont il faut une nouvelle fois saluer le soin éditorial qui y préside, est une nouvelle très belle réussite à mettre à l'actif du Palazzetto Bru Zane et l'on espère maintenant que cette série va adopter un rythme de publication régulier afin de mettre à la portée du plus grand nombre d'autres pépites du patrimoine musical romantique français.

 

Théodore Gouvy Portrait Palazzetto Bru Zane Ediciones SingThéodore Gouvy (1819-1898), Portrait

 

Disque I [durée totale : 71'52"] : Sinfonietta en ré majeur op.80, Fantaisie pastorale pour violon et orchestre en fa majeur*, La Religieuse, scène dramatique pour mezzo-soprano et orchestre**, Sérénades pour piano+

 

Orchestre philharmonique royal de Liège
*Tedi Papavrami, violon
**Clémentine Margaine, mezzo-soprano
Christian Arming, direction

 

+ Emmanuelle Swiercz, piano

 

Extraits proposés :

 

1. Sinfonietta op.80 : [I] AdagioAllegro

 

2. Sérénade pour piano n°11 : Larghetto

 

Disque II [durée totale : 65'23"] : Le Giaour, ouverture en la mineur, Jeanne d'Arc, ouverture en ré mineur op.13, Le Festival, ouverture de concert en mi mineur op.14, Quatuor à cordes en la mineur op.56 n°2*

 

Orchestre national de Lorraine
Jacques Mercier, direction

 

*Quatuor Cambini-Paris

 

Extraits proposés :

 

3. Jeanne d'Arc op.13

 

4. Quatuor op.56 n°2 : [III] Tempo di minuetto. Allegro moderato

 

Disque III [durée totale : 55'45"] : Trio avec piano n°4 en sol majeur op.22, Quatuor à cordes n°5 en ut mineur op.68*

 

Trio Arcadis

 

*Quatuor Parisii

 

Extrait proposé :

 

5. Quatuor n°5 op.68 : [IV] Allegretto agitato

 

3 disques et un livre de 112 pages, Ediciones Singulares/Palazzetto Bru Zane ES 1014. Ce livre-disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Un extrait de chaque plage des trois disques peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Pierre Gouvy, Goffontaine et la maison natale de Théodore Gouvy (aujourd'hui disparue), 1956. Aquarelle sur papier, collection particulière (fonds Gouvy-Durteste, cliché © A. Simon)


Théodore Gouvy en 1890. Photographie © Institut Théodore Gouvy, que je remercie pour son aide précieuse

 

Paul Flandrin (Lyon, 1811-Paris, 1902), La solitude, c.1861. Huile sur toile, 62 x 52 cm, Paris Musée du Louvre (cliché © RMN-GP/T. Querrec)

Partager cet article
Repost0
9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 09:02

 

 

« Dans les bras l'un de l'autre, oublions l'univers. »
Anne Bignan, Velléda

 

Anne Louis Girodet-Trioson Pygmalion et Galatée

Anne-Louis Girodet-Trioson (Montargis, 1767-Paris, 1824),
Pygmalion et Galatée
, Salon de 1819

Huile sur toile, 253 x 202 cm, Paris, Musée du Louvre

 

centre musique romantique francaise palazzetto bru zaneDe toutes les formes musicales ayant traversé le XIXe siècle, la cantate est sans doute celle qui a le plus retenu l'attention du Palazzetto Bru Zane qui s'est lancé dans l'exploration, au disque (5 volumes, tous passionnants, parus à ce jour chez Glossa et Ediciones Singulares) comme au livre, avec une somme publiée en 2011 aux Éditions Symétrie, de celles composées pour le prix de Rome. Le Centre de musique romantique française continue aujourd'hui à creuser ce sillon, tout en élargissant légèrement son horizon, avec un nouvel enregistrement confié à la mezzo-soprano Karine Deshayes et à Opera Fuoco.

 

Sobrement intitulé Cantates romantiques françaises, ce projet donnant à entendre des pages majoritairement inédites – à ma connaissance, seuls ont été enregistrés l'Ouverture de la Sémiramis de Catel et l'air de Néris « Ah ! nos peines seront communes » tiré de la Médée de Cherubini, l'Ouverture de ce même opéra étant proposée, pour la première fois au disque, dans une version réorchestrée vers 1820 en vue d'une reprise qui n'eut jamais lieu – est passionnant à plus d'un titre, et il me semble qu'on le perçoit encore mieux en programmant les œuvres dans l'ordre chronologique (ce qui donne la séquence 6, 1, 4, 5, 3, 2) et en ayant présent à l'esprit quelques tableaux afin de permettre de concrétiser visuellement l'évolution stylistique décrite par les musiques, ces dernières parlant évidemment le même langage que les images qui leur sont contemporaines.

Des trois cantates proposées, la plus ancienne est Circé de Luigi Cherubini (1760-1842), composée en 1789 pour le Concert de la Loge olympique, commanditaire, en 1785, des symphonies dites « Parisiennes » de Joseph Haydn. Par le savant équilibre qu'elle ménage entre la révérence au passé, matérialisée, entre autres, par la précellence accordée au récit sur les airs, et la modernité d'un coloris orchestral qui a assimilé les leçons de Gluck, l’œuvre, d'un dramatisme contrôlé qui n'exclut toutefois pas quelques effets spectaculaires (second récit), fait immédiatement songer au néoclassicisme d'un Joseph-Marie Vien (1716-1809), qui sut nourrir son inspiration antiquisante, mode dont il fut un des principaux instigateurs dès le début des années 1760, avec l'esprit des galanteries des peintres de la période Pompadour, Boucher en tête. Joseph Marie Vien L'Amour fuyant l'esclavageLe Cherubini qui, en 1797, donne sa célèbre Médée, demeure à la fois le même tout en évoluant vers une veine d'un lyrisme plus chaleureux et des frémissements encore plus nettement préromantiques tels qu'on les trouve, exactement à la même époque, chez un François-André Vincent (1746-1816). Avec Charles-Simon Catel (1773-1840) et sa Sémiramis de 1801 (que l'on peut écouter en intégralité sous la direction d'Hervé Niquet dans un disque hélas décevant paru chez Glossa), on glisse immédiatement vers une veine plus héroïque, dont le souci est visiblement d'impressionner, comme le soulignent les trois trombones de l'Ouverture ; comment ne pas songer alors au « grand style » de Jacques-Louis David (1748-1825), entre Les Sabines de 1799 et les différentes versions (1800-1803) du Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard ?

Louis-Ferdinand Hérold avait vingt ans lorsque son maître, Étienne-Nicolas Méhul, décida de le faire travailler sur le livret proposé quelques mois plus tôt aux candidats du prix de Rome, millésime 1811, l'Ariane de Jacques Bins de Saint-Victor. Cet essai dénote déjà, chez celui qui devait l'année suivante, remporter ce prestigieux trophée, des prédispositions évidentes pour la scène où il connaîtra des succès retentissants — on serait, à ce propos, reconnaissant au Palazzetto Bru Zane de nous offrir quelque jour au disque Zampa ou le Pré aux Clercs. La structure de son Ariane respecte celle de la cantate française telle qu'elle existait au début du XVIIIe siècle, avec ses trois récitatifs et ses trois airs alternés, et la place de choix faite aux premiers, porteurs ici de l'essentiel de la charge dramatique, mais, en dépit d'un Air conclusif qui avoue sa dette envers celui de l'Armide de Gluck, le style, par l'importance allouée au sentiment (la Cavatine en est tout à fait représentative) et à la couleur (très beau Prélude), est déjà nettement romantique, tout comme le dernier Girodet-Trioson, qui, tout en utilisant le vocabulaire néoclassique, parle déjà un langage différent, cette dichotomie étant parfaitement illustrée par son Pygmalion et Galatée, une toile que l'on peut également lire comme l'union (le petit Amour, au centre de la composition) du néoclassicisme (Pygmalion) et du romantisme (Galatée).

Le montpelliérain Xavier Boisselot est né l'année même où Hérold composa son Ariane, mais c'est en mettant en musique les amours contrariées d'une héroïne moins connue, la druidesse Velléda, avec le romain christianisé Eudore, qu'il remporta le prix de Rome en 1836. Eugène Delacroix Médée furieuseSa cantate (la partition est intégralement disponible sur le site de la BnF), de coupe classique, constitue indiscutablement la révélation de cet enregistrement et Berlioz ne s'y trompa pas en louant les qualités d'un « ouvrage remarquable sous plus d'un rapport. » Dès le Prélude, tissé avec une science très sûre des effets d'atmosphère, on se laisse happer par le souffle puissant qui traverse l’œuvre et culmine avec le « bruit de guerre » entendu au début du dernier récitatif. C'est bien, à l'instar de la peinture d'un Eugène Delacroix (1797-1863), toute l'exaltation du romantisme qui s'exprime ici, tout de frémissements amoureux (Cantabile), de défis jetés à la face du destin (deuxième récitatif), de presque extases (Cavatine) en visions d'épouvante (dernier récitatif) qui se résolvent dans le suicide de Velléda aux accents nettement mystiques (Air final). Boisselot déploie, durant ces presque vingt minutes, une orchestration proprement somptueuse, dont les teintes font parfois songer à Berlioz et même à Wagner, et qui se montre d'une efficacité souvent foudroyante, de quoi remettre à leur place un certain nombre de préjugés sur la musique française du XIXe siècle en général et sur les cantates du prix de Rome en particulier.

 

Il faut dire que Karine Deshayes et Opera Fuoco se sont si bien trouvés que rien ne semble plus compter pour eux que servir ce répertoire en lui offrant le meilleur de leur art ; Karine Deshayes par Aymeric Giraudelils forment un couple fusionnel qui avive tout ce que ces œuvres peuvent avoir d'exaltant en leur apportant beaucoup de vie et d'émotion. Les réserves, parfois un peu sévères, que j'ai pu formuler par le passé au sujet de la netteté de la diction de la mezzo-soprano s'envolent complètement à l'écoute de cet enregistrement que l'on peut parfaitement suivre sans l'aide du livret ; son timbre me semble avoir encore gagné en richesse et en sensualité, et elle fait preuve d'un engagement dramatique de tous les instants qui emporte d'autant plus l'adhésion qu'il ne se fait jamais au détriment de la fluidité et de la nuance, y compris dans Circé, qui ménage peu la tessiture, ou dans Velléda, où l'opulence orchestrale a parfois tendance à couvrir la voix. D'une cantate à l'autre, mais également dans l'air extrait de Médée, Karine Deshayes sait trouver le ton juste pour incarner, en les individualisant autant que la musique le permet, les différentes héroïnes, se montrant aussi convaincante dans la peinture de l'abattement que dans celle de l'amour, de la colère ou de l'effroi halluciné. Elle trouve en Opera Fuoco plus qu'un soutien, un véritable égal qui, non seulement, lui offre un écrin de sonorités somptueuses – et, avouons-le, sans doute quelque peu flattées, en termes de rondeur et de densité, par l'acoustique généreuse de l'église parisienne Notre-Dame du Liban –, mais surtout prend, tout comme elle, la musique à bras-le-corps pour lui faire exprimer toute son intensité. Galvanisés par la direction très énergique de David Stern, Opera fuocoles musiciens offrent une lecture pleine de contrastes et d'alacrité, mais qui n'oublie ni de prendre le temps de respirer, ni celui de s'émouvoir. Un des points qui retient le plus durablement l'attention et qui démontre, si besoin était, la pertinence de l'emploi d'instruments d'époque dans ces œuvres de la première moitié du XIXe siècle, sous réserve qu'il ne se contente pas d'être une simple démonstration d'archéologie organologique, est la profusion de couleurs qui accompagne l'auditeur tout au long de son écoute. Cette touche à la fois raffinée et vive est un enchantement permanent.

 

Ces Cantates romantiques françaises signées par Karine Deshayes et Opera Fuoco constituent donc indubitablement une excellente surprise de ce début d'année 2014 incontournable passee des artset une trouvaille de choix à mettre à l'actif du Palazzetto Bru Zane, commanditaire de ce programme dans le cadre de son festival « Antiquité, mythologie et romantisme » de 2012. Devant une telle réussite, on ose espérer une suite à ce projet, qui pourrait permettre à Caïn maudit d'Onslow, Macbeth de Saint-Saëns, Asiéga de Gouvy, La Mort de Proserpine de Dubois ou La Naissance de Vénus de Fauré (dont la seule version un tant soit peu idiomatique est inaccessible), pour reprendre quelques-uns des titres qui défilent dans le livret comme un alléchant générique, de nous être révélés dans toute leur splendeur.

 

Cantates romantiques françaises Deshayes Opera FuocoCantates romantiques françaises : Luigi Cherubini (1760-1842), Circé, deux extraits de Médée (Ouverture et air de Néris « Ah ! nos peines seront communes »), Charles-Simon Catel (1773-1830), Ouverture de Sémiramis, Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833), Ariane, Xavier Boisselot (1811-1893), Velléda

 

Karine Deshayes, mezzo-soprano
Opera Fuoco
David Stern, direction

 

1 CD [durée totale : 77'15"] Zig-Zag Territoires ZZT 337. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :

 

Xavier Boisselot, Velléda

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Joseph-Marie Vien (Montpellier, 1716-Paris, 1809), L'Amour fuyant l'esclavage, 1789. Huile sur toile, 160 x 130, Toulouse, Musée des Augustins

 

Eugène Delacroix (Saint-Maurice, 1797-Paris, 1863), Médée furieuse, Salon de 1838. Huile sur toile, 260 x 165 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts (cliché © RMN-Grand Palais/Stéphane Maréchalle)

 

La photographie de Karine Deshayes est d'Aymeric Giraudel.

 

La photographie d'Opera Fuoco, sans mention d'auteur, est tirée du site Internet de l'Ensemble.

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2014 4 16 /01 /janvier /2014 16:16

 

Carl Spitzweg Sur les hauteurs

Carl Spitzweg (Unterpfaffenhofen, 1808-Munich, 1885),
Sur les hauteurs
, c.1870

Huile sur panneau, 31,1 x 53,5 cm, Collection privée

 

centre musique romantique francaise palazzetto bru zaneAu printemps dernier, le Palazzetto Bru Zane a consacré un festival complet à un musicien assez largement méconnu, du moins d'une large partie du grand public : Théodore Gouvy. Comme toujours, les entreprises de réhabilitation que mène ce centre qui, depuis Venise, déploie d'inlassables efforts pour une meilleure connaissance de la musique romantique française, s'accompagnent d'une documentation discographique permettant à ceux qui n'ont pas la possibilité de se rendre aux concerts de découvrir les trésors ignorés de notre patrimoine qui y sont souvent révélés.

 

Ne nous trompons cependant pas, l'intérêt pour le compositeur lorrain n'est pas récent et il est bon de rappeler que l'on doit au label K617 et à l'Institut Théodore Gouvy d'avoir suscité, dès le mitan des années 1990, un premier frémissement d'intérêt à son endroit qu'il faut souhaiter voir se poursuivre jusqu'à ce que ses œuvres retrouvent, au disque et à l'affiche, la place que leurs qualités devraient leur valoir.

Cette postérité en demi-teintes correspond assez à la situation qui fut celle de Gouvy durant une large partie de son existence. Né Prussien par le caprice de frontières malmenées par les traités, il n'obtint la nationalité française qu'en 1851, à l'âge de 32 ans, l'année même où l'une de ses symphonies avait eu l'honneur d'être louée par Berlioz, dont on connaît l'exigence. Parti faire des études de droit à Paris où il était arrivé en 1836, il opta finalement, devant l'échec de ces dernières, pour la musique et suivit, dès 1839, les cours d'Antoine Elwart pour la théorie, de Carl Eckert pour le violon et de Pierre-Joseph Zimmermann pour le piano, avant de partir parfaire ses connaissances en Allemagne. A partir de 1873, un héritage mit définitivement ce fils d'industriels aisés à l'abri de la nécessité de devoir compter sur son art pour vivre. Il ne fait aucun doute que l'indépendance financière dont, à l'instar d'un Onslow ou d'un Reber, Gouvy jouit durant toute son existence n'est pas étrangère au fait qu'il ait pu cultiver les domaines Théodore Gouvy vers 1860 Copyright Institut Théodore Gouvers lesquels sa nature l'inclinaient et qui n'auraient pas pu lui assurer le succès dans la France du XIXe siècle, toute toquée d'opéra : la musique chorale et, surtout, instrumentale. À ces dispositions qui ne flattaient pas le goût du public, il faut ajouter un autre handicap, celui d'avoir été longtemps regardé comme un étranger et, de ce fait, privé du soutien des réseaux officiels, une situation qui devait céder devant sa naturalisation et le succès éclatant que rencontraient ses œuvres et, en particulier, ses symphonies, en Allemagne, pays alors le plus accueillant aux partitions « sérieuses » et où Gouvy devait s'éteindre en 1898, quelques années après avoir été nommé successivement correspondant de l'Institut des Beaux-Arts de Paris et membre de la Preussische Akademie der Künste de Berlin, comme un symbole de son appartenance à deux cultures que tout opposait alors mais dont son art personnifiait la réunion par-delà toutes les frontières.

De fait, les trois Trios avec piano que nous propose Voces Intimæ sont bien les fruits savoureux de cette double ascendance. L'influence germanique y est clairement perceptible, en particulier celle du romantisme tempéré de Mendelssohn, qui innerve tout le Trio n°2 (1847), lequel n'est également pas exempt d'une fougue toute beethovénienne (Allegro vivace liminaire), mais aussi celle de Schubert dans certaines échappées lyriques et rêveuses (Adagio du Trio n°3, 1855). Les traits français les plus immédiatement perceptibles se trouveront sans doute dans les finales des Trios n° 2 et 4 (1858) dont le caractère détendu regarde vers les divertissements mousseux et souriants des salons et des théâtres parisiens — une musique faite pour l'agrément, certes, mais, comme toujours chez Gouvy, impeccablement construite et jamais déboutonnée. Le musicien possède indubitablement un don pour tisser des mélodies qui, par le charme qu'elles dégagent, restent en mémoire (premier thème de l'Allegro moderato du Trio n°3) mais aussi pour créer des atmosphères d'une grande subtilité qui, par instants, anticipent curieusement celles du premier Fauré. Tour à tour espiègles, flamboyants, passionnés ou graves, ces Trios se révèlent rapidement, outre leurs qualités intrinsèques d'écriture, évidentes dans le soin apporté à l'animation du discours et aux équilibres entre les trois parties, des œuvres extrêmement attachantes.

 

Le mérite en revient également au trio italien Voces Intimæ, composé du violoniste Luigi De Filippi, du violoncelliste Sandro Meo et du pianiste Riccardo Cecchetti qui joue ici un superbe Pleyel de 1848, cet enregistrement faisant appel à des instruments anciens. Les trois compères ont exploré le répertoire germanique, en particulier Hummel, Schubert, Mendelssohn et Schumann, Trio Voces Intimæavant de se pencher sur Gouvy qu'ils abordent donc avec une expérience solide de certaines des sources qui nourrissent son inspiration ; ils me pardonneront de dire que jamais ils n'ont été aussi convaincants que dans ce disque dédié à un compositeur français, dans lequel les réserves que l'on pouvait formuler sur la relative timidité expressive dont ils avaient pu faire preuve par le passé s'évanouissent complètement. Ils nous livrent une lecture de grande classe, complètement maîtrisée mais très vivante, avec des contrastes creusés tout en étant toujours dosés avec une grande finesse, où l'écoute mutuelle et la complicité font mouche à chaque instant. Tout est ici chaleureux, fruité, la musique sait aussi bien avancer d'un pas conquérant que s'émouvoir et frémir, on sent une véritable envie de servir ces pièces en y mettant le meilleur de soi-même et cette jubilation qui n'a rien de tapageur finit par se révéler puissamment communicative pour l'auditeur. Ce qui aurait pu n'être qu'une réalisation de commande se révèle un accomplissement qui vous happe et vous entraîne à sa suite, tout émerveillé de la haute tenue des pièces proposées et de la ferveur avec laquelle elles vous sont offertes, et comme un bonheur n'arrive jamais seul, ce plaisir ne se dissipe pas au fil des écoutes, au contraire, la bonne trentaine que j'ai à mon actif peut en témoigner.

incontournable passee des artsVous l'aurez compris, je ne saurais trop vous recommander l'acquisition de ce disque qui vous permettra d'entendre des œuvres trop peu fréquentées et qui se place, aux côtés de l'intégrale des symphonies dirigée par Jacques Mercier (CPO, 2009-2013), au premier rang des réalisations consacrées à Gouvy, un musicien qui reste largement à réévaluer, ce à quoi on ne doute pas instant que le Palazzetto Bru Zane va continuer à s'employer. Il me reste à exprimer un regret, qui est celui que Voces Intimæ n'ait pas souhaité ou pu enregistrer une intégrale des cinq Trios avec piano qui aurait probablement été référentielle, et un espoir, celui de voir ces interprètes revenir très vite au répertoire français du XIXe siècle qui semble leur aller comme un gant. Se contenteraient-ils de nous offrir les Trios d'Onslow, de Saint-Saëns, voire, rêvons un peu, de Lalo, que notre reconnaissance leur serait assurée.

 

Théodore Gouvy Trios avec piano Voces IntimæThéodore Gouvy (1819-1898), Trios avec piano n°2 en la mineur op.18, n°3 en mi bémol majeur op.19, n°4 en fa majeur op.22

 

Trio Voces Intimæ

 

2 CD [durée totale : 59'36" et 29'46"] Challenge Classics CC72571. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Trio n°2 op.18 : [I] Allegro vivace

 

2. Trio n°3 op. 19 : [III] Adagio

 

3. Trio n°4 op.22 : [IV] Finale

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Théodore Gouvy vers 1860. Photographie © Institut Théodore Gouvy, que je remercie pour son aide précieuse.

 

La photographie de Voces Intimæ est de Georg Thum : wildundleise.de

Partager cet article
Repost0
13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 08:38

 

Eugène Boudin Personnages sur la plage effet de soleil cou

Eugène Boudin (Honfleur, 1824-Deauville, 1898),
Personnages sur la plage, effet de soleil couchant
, 1869

Huile sur panneau, 29 x 47 cm, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza

 

centre musique romantique francaise palazzetto bru zaneUn homme en tenue de ville, parapluie à la main, haut-de-forme sur la tête. Il tourne le dos à l'objectif, comme s'il souhaitait lui dérober son visage. On voit juste qu'il est brun et porte la barbe. Bien sûr, il existe bien d'autres clichés qui, eux, nous dévoilent les traits du visage de Charles-Valentin Alkan, mais celui-ci constitue, plus que les autres, un troublant symbole de ce que fut la trajectoire de ce musicien, dos tourné à la renommée de son vivant comme aujourd'hui. Le Palazzetto Bru Zane, toujours soucieux de rendre justice à des compositeurs injustement délaissés, lui consacre, depuis la fin de septembre, son festival d'automne et il a également eu l'excellente idée de soutenir l'enregistrement d'une anthologie de ses pièces pour piano confiée à Pascal Amoyel.

 

Alkan, fils d'un tailleur juif dont il reprit le prénom pour en faire son nom d'artiste, est né Charles-Valentin Morhange à Paris, dans le quartier du Marais, le 30 novembre 1813. Enfant prodige tout d'abord destiné au violon, il donna son premier concert sur cet instrument à sept ans et demi, alors qu'il avait été admis au Conservatoire l'année précédente, puis se produisit, en avril 1826, Charles-Valentin Alkan en tenue de ville vu de dossur celui qui devait devenir le médium privilégié de toute sa vie d'artiste : le piano. La période qui s'ouvrit alors devant le jeune homme fut la plus brillante de sa carrière ; de salons parisiens en tournées à l'étranger (Belgique et Angleterre), elle allait, malgré ses deux échecs au concours du prix de Rome, l'installer comme un des musiciens les mieux doués et les plus en vue de sa génération, dont la virtuosité se doublait, en outre, d'une solide érudition. Ce bel élan allait cependant se briser net en 1848, lorsque Alkan vit le poste que Pierre-Joseph Zimmerman, un de ses maîtres au Conservatoire, laissait vacant et qu'il espérait voir lui revenir échoir à Antoine Marmontel. Cette blessure d'amour-propre pesa d'un poids conséquent sur le destin du musicien, accroissant une distance avec la vie sociale à laquelle une nature assez réservée le prédisposait déjà. S'il demeura vingt-cinq ans sans donner de concert, il déploya néanmoins son activité pour faire connaître la musique de Bach, enseigna, écrivit, se passionna pour le piano-pédalier qui commençait à faire parler de lui vers le milieu du siècle. En 1873, Alkan fonda les Petits Concerts de musique classique qui se maintinrent quelques années, puis il entama une lente descente vers l'oubli qui fit écrire, à sa mort survenue le 29 mars 1888, qu'il fallut cette triste circonstance pour qu'on soupçonnât son existence.

« Les progrès qu'on rêve, hélas, toute sa vie sans jamais les atteindre — ombre qui s'évade aussitôt qu'on veut la saisir !... Néanmoins c'est peut-être toute l'espérance du peintre de courir après cette chose fugitive qui lui fait recommencer constamment la même course sans jamais se décourager. » Ces phrases extraites d'une lettre datée du 17 novembre 1889 adressée par Eugène Boudin à Pieter van der Velde illustrent une des nombreuses connivences qui me semblent unir l'univers du peintre et celui d'Alkan, sur le même mode que les correspondances que l'on peut observer entre les univers de Félix Vallotton (1865-1925) et d'Erik Satie (1866-1925). Il existe, chez les deux artistes, une indiscutable capacité à dépasser la sensibilité dominante de leur époque – le romantisme – par une connaissance intime de l'héritage artistique du passé, un ressenti très juste du langage de leurs contemporains et l'introduction d'éléments d'un langage nouveau exploitant avec une intuition et une science très sûres des climats diffus et sans cesse changeants. Ainsi la Grande Sonate op.33, partition aux proportions monumentales – 40 minutes de musique – Eugène Boudin Deauvillepubliée en cette si particulière année 1848 et qui constitue le cœur de ce disque, fait-elle songer à Chopin ou à Liszt, ce qui ne l'empêche pas de bousculer le schéma traditionnel de la sonate en faisant se succéder des mouvements de plus en plus lents et d'adopter une progression tonale assez déconcertante. Alkan y fait de la musique descriptive qui n'en est pas, comme Boudin, dans ses scènes de plage de la fin des années 1860, élimine tout élément mondain en offrant des figures qui ne peuvent être identifiées. Datant de 1861 mais regroupant des pièces écrites, pour certaines, quinze ans plus tôt, les Esquisses op.63 offrent un singulier mélange d'ancien et de « moderne », avec des révérences à Scarlatti ou à Rameau qui côtoient des échappées dont on nommera la touche, faute de termes plus appropriés, impressionniste comme ces Cloches dont la concision (la pièce dure une minute en tout et pour tout) parvient pourtant à susciter un vaste paysage. Des pièces comme le Nocturne en si majeur (1844) ou la Chanson de la folle au bord de la mer (1847) avouent, en revanche, leur dette envers l'imaginaire romantique, qu'il soit pétri de rêveries ou de fantômes, tout comme la Barcarolle op.65 n°6, tirée du troisième des cinq Recueils de chants (1857-débuts des années 1870), ouvrages dont l'économie générale doit beaucoup aux Lieder ohne Worte de Felix Mendelssohn ; il y a fort à parier qu'une écoute en aveugle de cette pièce d'une si parfaite fluidité mélodique réserverait quelques surprises quant au nom de son auteur.

Si son nom est aujourd'hui peu connu du grand public, la musique pour piano seul d'Alkan a déjà fait l'objet d'un certain nombre d'enregistrements, dont les plus remarquables sont sans nul doute ceux de Marc-André Hamelin (Hyperion, 1995, 2001 et 2007). Pascal Amoyel, qui ne fait pas mystère des affinités qu'il entretient avec l'univers du compositeur, signe une anthologie d'excellente qualité, dont il est immédiatement évident qu'elle ne doit rien à un quelconque « coup », mais procède, au contraire, d'un travail de réflexion patiemment construit et d'une envie véritable. Le pianiste, même s'il sait se montrer percutant et faire sentir la puissance de son instrument (il serait très intéressant d'entendre un jour ces mêmes pièces jouées sur un piano d'époque), joue globalement la carte d'une sobriété de bon aloi, oubliant heureusement de verser dans le clinquant d'une virtuosité tapageuse et dans la sensiblerie d'un romantisme de pacotille. Pascal Amoyel Jean-Baptiste MillotSon Alkan est tenu, retenu, délicieusement allusif souvent, toujours d'un goût parfait, plein de moments d'une poésie subtile mais jamais mièvre. Une des choses les plus frappantes est la volonté que semble avoir eu Pascal Amoyel de réduire le plus possible la distance entre le compositeur et l'auditeur, en ne s'enfermant pas dans une pure démonstration d'un brio technique dont il est, par ailleurs, évident qu'il a tout à fait les moyens. Son approche est étonnamment chaleureuse, presque sans façons, et cette absence de pose permet de goûter les inventions dont cette musique est pleine sans avoir le sentiment d'assister ni à un cours, ni à une dissection ; tout est fluide et naturel dans cette vision intimiste à laquelle certains reprocheront peut-être de manquer d'un rien d'angles et d'emportement, tout respire et avance, sans jamais que l'émotion soit laissée pour compte. Notons, pour finir, une prise de son parfaitement maîtrisée qui donne à entendre le piano avec le recul acoustique qui convient, sans rien faire perdre des belles couleurs et des nuances raffinées offertes par le musicien.

 

Voici donc un bien beau disque Alkan qui constitue, par la diversité des pièces retenues, lesquelles couvrent une large partie de la carrière du compositeur, comme par la qualité de leur interprétation, une introduction idéale à une production qui gagne à être découverte et régulièrement fréquentée. Je le recommande sans hésitation à ceux qui désireraient se familiariser avec cet univers, comme aux amateurs de piano romantique qui ne connaîtraient pas encore cette musique dont je gage que l'écoute les surprendra autant qu'elle les charmera.

 

Alkan Œuvres pour piano Pascal AmoyelCharles-Valentin Alkan (1813-1888), Œuvres pour piano : Nocturne en si majeur op.22, Barcarolle op.65 n°6, Chanson de la folle au bord de la mer op.31 n°8, Grande sonate « Les quatre âges » op.33, trois Esquisses (Les Cloches, La Vision, Les Soupirs) op.63

 

Pascal Amoyel, piano

 

1 CD [durée totale : 67'29"] La Dolce Volta LDV 11. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Barcarolle op.65 n°6

 

2. Sonate op.33 : I. 20 ans – Très vite
Décidément – gaiement – ridendo – palpitant – timidement – amoureusement – avec bonheur – toujours plus expressif – bravement – avec enthousiasme – victorieusement

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Anonyme, Charles-Henri-Valentin Morhange, dit Alkan, en tenue de ville, vu de dos, 1860. Photographie, 16,5 x 10,5 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

 

Eugène Boudin (Honfleur, 1824-Deauville, 1898), Deauville, 1888. Huile sur toile, 50,9 x 75,4 cm, Reims, Musée des Beaux-Arts

 

La photographie de Pascal Amoyel est de Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com

Partager cet article
Repost0
30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 07:57

 

Jean Béraud Scène de bal

Jean Béraud (Saint-Pétersbourg, 1849-Paris, 1935),
Scène de bal
, c. 1880

Huile sur toile, 27 x 35 cm, Collection privée

 

centre musique romantique francaise palazzetto bru zaneOn ne l'attendait pas vraiment – « on n'en attend pas grand chose » ajouteront les sceptiques –, mais le voici qui revient au détour de l'été, avec sa barbichette, son binocle et son air un peu pincé de premier du conservatoire. Lui, c'est Théodore Dubois, que les lecteurs de ce blog connaissent bien depuis que le Palazzetto Bru Zane a eu, n'en déplaise aux manieurs de doubles-décimètres propres, selon eux, à dresser des hiérarchies artistiques, l'excellente idée de se pencher sur lui et de faire connaître, avec une ténacité qui l'honore, une partie de sa production, remettant en question, au passage, des certitudes que d'aucuns croyaient pourtant solidement établies.

 

L'oubli presque total, que certains se sont empressés de trouver justifié, dans lequel étaient tombées ses œuvres nous ont valu, jusqu'ici, une belle moisson d'inédits ; le disque publié il y a quelques semaines par Hyperion dans sa très riche collection The romantic piano concerto fait, en quelque sorte, figure d'exception, puisque deux des pièces qu'il propose ont déjà eu les honneurs de l'enregistrement, cette redite pouvant laisser supposer qu'elles sont peut-être en train de retrouver une place au répertoire. La plus ancienne d'entre elles, le Concerto capriccioso en ut mineur de 1876, avoue sa dette envers les modèles germaniques de Weber et Schumann, avec ses trois mouvements fondus en un seul ensemble. Theodore Dubois 1896Créée par Jeanne Duvinage, l'épouse du compositeur, au piano, cette page au romantisme assumé concentre l'essentiel de l'attention de l'auditeur sur la partie soliste, traitée avec une belle virtuosité que met encore plus en relief la sobriété sans nul doute volontaire de l'écriture symphonique. Un peu plus de vingt ans plus tard, le 30 janvier 1898, c'est une œuvre nettement plus ambitieuse que Dubois fait créer à l'Opéra de Paris sous les doigts de Clotilde Kleeberg et la baguette de Paul Taffanel. Son Concerto pour piano n°2 offre un très habile mélange d'influences puisqu’il s'abreuve autant au Rhin qu'à la Seine, le premier baignant assez largement les deux premiers mouvements – le choix de la tonalité de fa mineur donne vraiment une couleur toute romantique à l'Allegro liminaire, tantôt farouche, tantôt tendre, mais toujours sans excès, et l'Adagio con sentimento profondissimo, page d'un lyrisme frémissant mais retenu – tandis que la seconde irrigue profondément les deux autres, qu'il s'agisse de l'Allegro vivo, scherzando plein de verve ou du Finale, noté Con molta fantasia : Allegro con fuoco, récapitulation brillante et parfois amusée des épisodes précédents, mouvements qui ne sont pas sans rappeler souvent les facéties de Saint-Saëns. Au travers de ce concerto à l'écriture très équilibrée dans lequel l'orchestre ne se contente plus d'accompagner mais est, au même titre que le soliste, un acteur à part entière, c'est l'image d'un Dubois moins académique qu'on veut bien le prétendre qui transparaît ; certes, la maîtrise du métier que possède l'homme est patente et imprègne fortement le discours, mais un soupir ici, un sourire là apportent, pour qui leur prête attention, un indéniable supplément de chaleur. Faisons un dernier bond d'une vingtaine d'années. Notre compositeur achève, selon son Journal, sa Suite pour piano et orchestre à cordes le jour même de son quatre-vingtième anniversaire, le 24 août 1917. Cédric TiberghienCette œuvre est du meilleur Dubois et probablement un des plus beaux inédits livrés par l'entreprise de réhabilitation dont sa musique a fait l'objet. Traversés de lueurs inquiètes (le musicien fut très affecté par les destructions de la Grande Guerre) qui ne se dissiperont vraiment qu'avec le Finale, les trois premiers mouvements sont, malgré tout, animés d'une indiscutable énergie et trouvent un équilibre parfait entre puissance et transparence. Toute la partition choisit l'option d'une ligne claire, y compris dans l'Andante dont la sensualité sonore n'est pas exempte de nostalgie, et d'une tension qui ne se relâche jamais, et offre partout de magnifiques couleurs que pimente la surprise d'un balancement un peu jazzy ici ou d'une bouffée néoclassique là, fugaces comme des mirages mais témoignant que l'auteur n'était pas si sourd qu'on a bien voulu le prétendre, lui le premier, aux nouveautés de son temps.

Cédric Tiberghien et le BBC Scottish Symphony Orchestra, placés sous la direction attentive et très aiguisée d'Andrew Manze, un chef qui, rappelons-le, signa en qualité de violoniste quelques flamboyants disques de musique baroque, savent trouver le ton juste pour servir ces trois œuvres de Dubois. Leur version brillante du Concerto capriccioso fait jeu égal avec celle de Jean-François Heisser et l'Orchestre Poitou-Charentes (Mirare, 2011, voir ici), mais leur lecture du Concerto pour piano n°2 surclasse complètement celle, bénéficiant pourtant des couleurs des instruments anciens mais hélas piètrement enregistrée et assez peu sentie, de Vanessa Wagner et des Siècles (Musicales Actes Sud, 2012), à tel point que cette page qui m'avait alors semblé un peu froide et mécanique et, pour tout dire, plutôt ennuyeuse, se révèle, avec les nouveaux venus, d'un indéniable intérêt et porteuse d'un vrai plaisir d'écoute. Andrew ManzeIl faut rendre grâce au soliste et à l'orchestre d'oser, dans une œuvre qui le demande, une approche à fleur de sensibilité sans s'autoriser pour autant le moindre débordement, et louer la capacité qu'ils ont de faire vivre leurs dialogues et d'apporter au Concerto une ample respiration. La Suite qui, disons-le tout net, justifierait presque à elle seule l'achat du disque et mériterait de retrouver une place au programme des concerts, ne fait que confirmer les qualités dont font preuve les interprètes, qu'il s'agisse du raffinement du toucher, de la netteté des carrures et de la musicalité sans afféterie de Cédric Tiberghien, de la discipline et du phrasé impeccable du BBC Scottish Symphony Orchestra, ou de l'intelligence de la direction d'Andrew Manze qui sait visiblement très précisément ce qu'il veut faire de cette musique et s'emploie à la faire sonner de la façon la plus séduisante possible, en lui donnant ce qu'il faut de densité et de limpidité. Toutes ces remarquables individualités sont soudées par une envie de servir au mieux ce répertoire et l'implication comme la finesse qu'ils y déploient font mouche, en insufflant à ces pages ce qu'il faut de caractère sans jamais tomber dans l'effet de manche facile.

 

incontournable passee des artsSi vous aimez la musique française et Théodore Dubois, ce disque est, avec celui dirigé par Jean-François Heisser mentionné ci-dessus, fait pour vous, et je gage qu'il vous prodiguera bien des joies, dont vous verrez qu'elles ont le bon goût de s'accroître au fil des écoutes. On espère vivement que le Palazzetto Bru Zane continuera à honorer de sa confiance les musiciens qui ont fait la réussite de cet enregistrement et que l'on retrouvera avec plaisir dans d'autres projets.

 

Théodore Dubois Romantic Piano Concerto Tiberghien ManzeThéodore Dubois (1837-1924), Concerto capriccioso en ut mineur, Concerto pour piano et orchestre n°2 en fa mineur, Suite pour piano et orchestre à cordes en fa mineur

 

Cédric Tiberghien, piano
BBC Scottish Symphony Orchestra
Andrew Manze, direction

 

1 CD [durée totale : 65'24"] Hyperion CDA67931. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Suite pour piano et orchestre à cordes en fa mineur :
[I.] Moderato

 

2. Concerto pour piano n°2 en fa mineur :
[II.] Adagio con sentimento profondissimo

 

Un extrait de chaque plage de ce disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Anonyme, Portrait de Théodore Dubois, 1896. Photographie, 46 x 34 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

 

La photographie d'Andrew Manze appartient au Helsingborgs Konserthus.

 

La photographie de Cédric Tiberghien est de Benjamin Ealovega.

Partager cet article
Repost0
16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 08:56

 

Juan de Valdes Leal L'Immaculée Conception avec deux donat

Juan de Valdés Leal (Séville, 1622-1690),
L’Immaculée Conception avec deux donateurs
, 1661

Huile sur toile, 189,7 x 204,5 cm, Londres, National Gallery

 

Sa renommée grandissante dans l'interprétation du répertoire français du XIXe siècle ne doit pas faire oublier qu'Hervé Niquet est un amoureux de celui du XVIIe siècle, ce dont sa discographie, de Lully à Charpentier aux moins connus Geoffroy ou Bouteiller, témoigne abondamment. Il exhume aujourd'hui, pour Glossa, l'inédite Missa Macula non est in te, unique œuvre identifiée à ce jour de Louis Le Prince, qu'il enchâsse dans un programme évoquant un office marial.

 

Les seuls renseignements dont on dispose concernant le compositeur sont contenus dans l'édition de sa Messe, publiée par Robert Ballard en 1663 ; elle nous apprend qu'il était prêtre et maître de chapelle à la cathédrale de Lisieux, tandis qu'une source du XIXe siècle, que je n'ai pas pu consulter et cite donc avec toutes les réserves d'usage, précise qu'il était originaire du Lieuvin et fut curé de Ferrières-Saint-Hilaire de 1668 à sa mort en 1677 (Jules Carlez, « Notice sur Nicolas Le Vavasseur, organiste-compositeur du XVIIe siècle », Société libre de l'Eure, section de l'arrondissement de Bernay ; séance du 27 mars 1892, Bernay, impr. de Mlle A. Lefèvre, 1892). Voici de quoi esquisser moins qu'un portrait, à peine quelques lignes imprécises d'un fragment de l'itinéraire d'un homme qui semble avoir étudié auprès d'assez bons maîtres – peut-être son prédécesseur à Saint-Pierre de Lisieux, Nicolas Le Vavasseur (c.1580-c.1658) ? – et avoir eu les capacités nécessaires pour tirer parti de leurs leçons et être en mesure de produire une œuvre d'aussi bonne facture que la Missa Macula non est in te. Lisieux Matthaus Merian Topographiae GalliaeÀ six voix et de style volontairement archaïsant, ce que fait oublier en partie l'option interprétative, au demeurant parfaitement défendable d'un point de vue historique, retenue par Hervé Niquet, lequel a choisi de doubler les voix par des instruments alors que la partition originale est écrite a cappella, cette messe peut être regardée comme totalement représentative de l'équilibre retrouvé de l’Église au début du règne personnel de Louis XIV, à la mort de Mazarin en 1661. Il s'agit d'une œuvre qui dégage un puissant sentiment d'équilibre, de solennité tranquille, et se révèle d'une esthétique très française par son refus de la fioriture et de l'excès, son architecture toute de lignes claires. De façon très judicieuse, les pièces qui complètent le programme appartiennent, elles, à la tendance italianisante qui n'a cessé de traverser et de nourrir la musique de la France du XVIIe siècle, bien qu'elle s'en soit quelquefois âprement défendue. Qu'il s'agisse du tendre O dulcissime Domine du Florentin Lully ou des motets de Charpentier, élève, rappelons-le, de Carissimi à Rome, le théâtre y est très présent, reléguant parfois la dimension contemplative au second plan. De la joie du Gaudete fideles, qui célèbre Saint Bernard sur un rythme de danse, à l'intimité chaleureuse d'O pretiosum, le goût du musicien de mademoiselle de Guise pour des contrastes dramatiques qui n'hypothèquent jamais le grand raffinement de l'écriture offrent un contrepoint passionnant à la relative régularité des structures de Le Prince, témoignant de l'évolution du goût dans la musique sacrée et de la diversité des pratiques lors des offices religieux où pouvaient se côtoyer des pièces de styles différents, pour ne pas dire opposés.

Hervé Niquet a choisi de restituer ces musiques en les confiant à des voix de femmes, faisant ainsi pendant à son disque consacré à la Missa pro defunctis de Pierre Bouteiller (Glossa, 2010), entièrement à voix d'hommes. Autant les inégalités de ce dernier pouvaient laisser dubitatif, autant cette réalisation dédiée à Louis Le Prince se solde par une absolue réussite. On connaît l'exigence quasi proverbiale du patron du Concert Spirituel, son sens dramatique toujours en éveil et très « agissant », sa capacité à porter avec enthousiasme les projets auxquels il croit ; toutes ces qualités trouvent ici à s'exprimer, mais également certaines autres qu'on ne lui accorde habituellement pas ou alors du bout des lèvres, comme la souplesse et, osons le mot, la tendresse. Le chef a su choisir, pour servir sa vision, dix chanteuses de très grande valeur, qui se montrent parfaites à la fois de tenue, de précision, de réactivité, mais aussi de générosité, offrant une prestation qui, y compris dans les tessitures les plus tendues, trouve un équilibre assez idéal entre épure et sensualité, recueillement et théâtralité, tout en demeurant toujours d'une plasticité et d'une luminosité indéniables. Hervé Niquet Eric ManasIl y a d'ailleurs fort à parier que cette volonté de viser la perfection d'une certaine idée du chant sacré à la française éveillera quelques souvenirs nostalgiques chez ceux qui, comme votre serviteur, ont suivi et aimé Les Demoiselles de Saint-Cyr et sont demeurés un peu orphelins lorsque ce valeureux ensemble a disparu en pleine gloire, faute de soutiens matériels pérennes. On adressera les mêmes louanges aux dix instrumentistes, techniquement irréprochables, dont la fermeté de l'articulation, la sonorité épanouie et les couleurs moirées sont particulièrement séduisantes, tant lorsqu'ils accompagnent que lorsqu'ils occupent le devant de la scène. L'excellence des interprètes est parfaitement mise en valeur par une prise de son conjuguant netteté et présence avec une réverbération justement dosée qui permet, sans induire pour autant de brouillage, à l'ensemble d'acquérir un supplément bienvenu d'ampleur acoustique. Outre d'être parvenu à fédérer tous ces talents avec autant de fermeté que d'intelligence musicale, on ne peut que savoir gré à Hervé Niquet d'avoir su composer un programme aussi intéressant et de lui avoir donné une cohérence qui ne semblait pas acquise d'avance ; on suit, en effet, la progression de cet office imaginé sans jamais éprouver de lassitude et avec la conscience que les différentes œuvres se répondent en s'éclairant mutuellement. Cette unité, qui découle de choix minutieusement pensés et réalisés, confère à cet enregistrement la véritable âme et l'indiscutable justesse qui sont la marque de ceux vers lesquels on revient toujours avec confiance et plaisir.

incontournable passee des artsHervé Niquet et son Concert Spirituel signent donc avec ce parcours avec et autour de la Missa Macula non est in te de Louis Le Prince un très grand disque, dont je n'hésite pas à dire qu'il est un des meilleurs consacrés par cet ensemble et son chef à la musique baroque française depuis bien longtemps. Souhaitons qu'une réalisation de si haute qualité trouve la place qu'elle mérite dans le plus de discothèques possible et que de nouveaux projets aussi passionnants soient en cours d'élaboration chez un musicien et un label dont on sait qu'ils n'oublient jamais, contrairement à beaucoup de leurs confrères, que l'audace peut être une des plus appréciables vertus.

 

Louis Le Prince Missa macula non est in te Concert SpiritueLouis Le Prince († 1677 ?), Missa Macula non est in te, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Gaudete fideles H. 306, Gratiarum actiones pro restituta Regis christianissimi sanitate H. 341, Ouverture pour le sacre d'un évêque H. 536, O pretiosum H. 245, Domine salvum fac Regem H. 299, Magnificat H. 306, Jean-Baptiste Lully (1632-1687), O dulcissime Domine

 

Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, direction

 

1 CD [durée totale : 63'48"] Glossa GCD 921627. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sur le site de l'éditeur en suivant ce lien ou ici.

 

Extraits proposés :

 

1. Marc-Antoine Charpentier, Gaudete fideles

 

2. Louis Le Prince, Missa : Gloria

 

3. Louis Le Prince, Missa : Agnus Dei

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Matthäus Merian (Bâle, 1593-Bad Schwalbach, 1650), Vue de Lisieux (détail) tirée de la Topographiæ Galliæ (1657). Eau-forte sur papier, 11 x 31 cm, localisation non précisée. L'image complète est disponible en suivant ce lien.

 

La photographie d'Hervé Niquet est d’Éric Manas, utilisée avec l'aimable autorisation de Glossa.

Partager cet article
Repost0