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14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 08:38

 

Francesco Fontebasso L'Adoration des bergers

Francesco Fontebasso (Venise, 1707-1769),
L'Adoration des bergers, milieu du XVIIIe siècle
Huile sur toile, 58,8 x 44,9 cm, Houston, Museum of Fine Arts
[image en très haute définition ici]

 

Je vous ai déjà parlé ici de la passionnante série Musique à Prague au XVIIIesiècle réalisée par le label tchèque Supraphon, à laquelle les mélomanes curieux doivent, depuis quelques années, de très intéressantes découvertes. Le Collegium Marianum, qui nous a offert récemment une belle version des Lamentations de Zelenka, nous propose, comme il y a cinq dans le programme Rorate Cœli, une anthologie de musiques pour le temps de Noël qui est bien plus qu'un disque de pure circonstance puisqu'il permet également de documenter pour la première fois au disque des œuvres de Josef Antonín Sehling.

On sait finalement encore peu de choses sur ce compositeur né au début de janvier 1710 à Toužim, une petite ville à une centaine de kilomètres à l'ouest de Prague, et on ignore notamment tout de son milieu d'origine et de son apprentissage. Tout au plus les archives nous apprennent-elles, sans plus de précision, qu'il étudia à Vienne où il ne put – mais c'était le cas de bien des musiciens à l'époque, qu'ils fussent ou non actifs dans la cité du Danube – échapper à l'emprise de l'omnipotent Johann Joseph Fux, quand ce qui nous est dévoilé de sa production avoue une proximité avec un autre maître, l'italien Antonio Caldara qui marqua d'une forte empreinte la vie musicale viennoise de son installation au service des Habsbourg en 1717 à sa mort en 1736. Si les contacts de Sehling avec ces deux illustres figures demeurent de l'ordre de la conjecture, on sait en revanche de façon certaine qu'une fois formé, il rejoignit un ensemble dont la fréquentation allait avoir sur son style une influence déterminante : l'orchestre que le comte Václav Morzin entretenait à Prague. Cette formation privée était un véritable foyer d'italianisme en Bohême, à tel point d'ailleurs que Vivaldi dédia au comte son Opus 8, ce Cimento dell' armonia e dell' invenzione qui renferme les fameuses Quatre saisons. Malgré sa connaissance du langage musical le plus à la mode de son temps et, on peut l'imaginer, quelques solides recommandations, Sehling ne parvint pas à décrocher le poste de maître de chapelle de la cathédrale Saint-Guy qu'il brigua en mars 1737 ; il devait y servir durant toute sa carrière en qualité de second violon, le poste de chef de pupitre lui ayant également échappé en 1739. Giambattista Pittoni La Sainte FamilleMalgré le succès de sa pièce Judith, représentée devant l'impératrice Marie-Thérèse en 1743, notre musicien continua à cachetonner dans diverses institutions praguoises pour compléter ses revenus et mourut le 19 septembre 1756, deux ans après avoir composé une pantomime, Die Liebe-Raserey der Colombina, créée au Divadlo v Kotcích, un important théâtre de Prague.

L'essentiel du legs du Sehling est aujourd'hui préservé dans les archives de la cathédrale Saint-Guy, dans un manuscrit où le compositeur avait rassemblé, à la manière d'un Sébastien de Brossard aux ambitions plus modestes, 93 pièces de sa plume ainsi qu'une vaste anthologie de partitions d'autres auteurs, pour un total respectable de 591 œuvres. Comme on pouvait s'y attendre, les pages proposées dans ce disque, qui donne aussi à entendre, en guise d'interlude, une des charmantes Sonates pastorales de Fux, attestent toutes d'une profonde empreinte de la manière italienne, d'autant plus franche que Sehling ne se contente pas d'appliquer des recettes toutes faites en saupoudrant quelques tournures au petit bonheur, mais fait véritablement sien le langage lyrique ultramontain (le Duetto Vis ingens est favori n'est, ni plus, ni moins, qu'une scénette d'opéra revêtue d'un texte en latin d'inspiration religieuse, sur le thème de l'amour qui plus est), qui laisse tout de même furtivement percer, ça et là, quelques traits plus germaniques (les harmonies de l'Offertoire Ecce magi veniunt semblent ainsi sorties de l'imagination de Bach). Ce style fluide et lumineux qui fait la part belle au caractère chantant s'harmonise de façon parfaitement naturelle avec la douceur jubilante qui signe les compositions pour le temps de Noël : le Motet Dormi nate, mi mellite est sans conteste une berceuse attendrie, tandis que les quatre très belles Pastorales exploitent avec bonheur la veine populaire avec une fraîcheur toute de franchise et d'allant. Outre le charme qu'elle exhale, il est très intéressant de voir que la musique de Sehling, en faisant primer la mélodie sur la complexité contrapuntique et en simplifiant l'harmonie regarde déjà clairement vers le style préclassique, tel qu'on l'observe, par exemple, dans certaines pages sacrées du jeune Haydn, qui fut lui aussi sensible à la modernité représentée alors par la manière napolitaine que lui avait transmise son maître Porpora.

On a toujours un rien d'appréhension en posant sur sa platine un disque dont l'affiche semble prometteuse mais lorsque le pari est, comme dans celui-ci, largement tenu, la satisfaction n'en est que plus grande. Le Collegium Marianum a, en effet, su trouver le ton et les moyens adéquats pour rendre justice à la musique de l'obscur Sehling dont il livre une interprétation aussi bien équilibrée qu'idiomatique. Bien sûr, tout n'est pas parfait dans cette réalisation – l'allemand de Tomáš Král, baryton fort bien chantant par ailleurs, dans l'aria pour l'Avent Donner und Hagel est assez exotique et ce manque de maîtrise linguistique bride l'expressivité, l'alto Markéta Cukrová présente quelques regrettables tensions vocales dans l'Aria Vos stellæ preclaræ –, Collegium Marianum Sehling (c) Matouš Vlcinský Supraphonmais elle est globalement de très bonne tenue, grâce à des chanteurs de qualité habitués aux projets de l'ensemble – une mention particulière pour Hana Blažíková, au timbre tendre et lumineux, et pour la sobriété et les nuances de Tomáš Král – , ce qui renforce la cohérence globale de l'interprétation, et à des instrumentistes dont j'ai une nouvelle fois plaisir à souligner l'excellence, tant en termes de propreté technique que de netteté d'articulation et de sens du coloris. Il me semble que, dans leur ensemble, les musiciens du Collegium Marianum ont parfaitement bien saisi les enjeux de ces compositions, tant du point de vue du style que de l'esprit, et ils en restituent avec un plaisir palpable et communicatif les courbes et les grâces, sans jamais tomber ni dans l'excès de fioritures, ni dans la fadeur. Tout est ici justement pesé et pensé et conséquemment fort bien tenu, avec une pulsation qui respecte les carrures inspirées de l'univers de la danse et une finesse de caractérisation qui fait percevoir combien nombre de ces pièces se situent à la frontière, guère étanche à l'époque, entre sacré et profane. On rend donc rapidement les armes devant ce programme pour le temps de Noël composé avec goût et interprété avec autant d'enthousiasme que d'intelligence et qui transmet en beauté la ferveur simple qui s'attachait autrefois à cette fête. D'autres pièces de Sehling présentent sans doute autant d'intérêt que celles-ci et on espère donc, compte tenu de cette première réussite, que le Collegium Marianum aura la volonté et les moyens de les ressusciter.

 

Sehling Collegium MarianumNoël à la cathédrale de Prague, œuvres de Josef Antonín Sehling (1710-1756) et Sonata pastorale a tre de Johann Joseph Fux (1660-1741)

 

Hana Blažíková, soprano
Markéta Cukrová & Marta Fadljevičová, altos
Václav Čížek, ténor
Tomáš Král, baryton
Jaroslav Nosek, basse
Collegium Marianum
Jana Semerádová, flûte traversière & direction

 

1 CD [durée totale : 71'19"] Supraphon SU 4174-2. Ce disque peut être acheté chez votre disquaire ou en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Deponite metum, motet pour la Nativité : Chœur « Deponite metum »

 

2. Vis ingens est favori, Duetto (Hana Blažíková, Tomáš Král)

 

3. Eia, læti properemus, Pastorale (Hana Blažíková, Markéta Cukrová)

 

Illustrations complémentaires :

 

Giambattista Pittoni (Venise, 1687-1767), La Sainte Famille, c.1735. Huile sur bois, 82 x 64 cm, New York, Metropolitan Museum

 

La photographie du Collegium Marianum durant les sessions d'enregistrement du disque Sehling est de Matouš Vlcinský pour Supraphon.

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16 novembre 2014 7 16 /11 /novembre /2014 09:19

 

Francesco Trevisani Le Christ mort soutenu par les anges

Francesco Trevisani (Capodistria, 1656-Rome, 1746),
Le Christ mort soutenu par deux anges, c.1710
Huile sur toile, 130,8 x 97,2 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art
[image en haute définition ici]

 

Depuis qu'elle a retrouvé la faveur des interprètes, la musique de Jan Dismas Zelenka ne cesse de conquérir les audiences, au disque comme au concert, à tel point que certains ensembles tchèques se sont presque spécialisés dans son interprétation, comme le Collegium 1704 et surtout le remarquable et trop peu connu, en grande partie à cause d'une distribution déficiente, Ensemble Inégal. Les Lamentationes Jeremiæ Prophetæ ZWV 53 font sans doute partie de ses partitions les plus fréquemment enregistrées sans qu'aucune version ne soit réellement parvenue à s'imposer ; c'est aujourd'hui au Collegium Marianum, lui aussi basé à Prague, de nous en livrer sa vision.

 

Zelenka composa son principal cycle de Lamentations en 1722 (il existe également trois leçons pour le Samedi saint, ZWV 54, écrites un an plus tard pour alto, ténor, basse et basse continue, d'une grande sobriété et très liées au chant grégorien) pour la cour catholique de Dresde, cité dans laquelle il s'était installé depuis une dizaine d'années en qualité de joueur de violone et où il devait connaître une carrière en demi-teintes, le plus clair symbole de la difficulté qu'il eut à s'imposer étant son échec, malgré l'énergie qu'il déploya pour y parvenir notamment en s'illustrant par ses capacités de compositeur, à se faire nommer Kapellmeister de la Chapelle royale à la mort de Johann David Heinichen en 1729, ce poste échéant finalement en 1733 à Johann Adolf Hasse, sur lequel le roi Friedrich August I et son successeur fondaient les espoirs de rayonnement opératique de leur ville. Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, que Zelenka soit, sans jamais rompre avec la cour de Dresde, allé chercher meilleure reconnaissance ailleurs, à Prague en particulier, où on sut lui faire bon accueil, comme le démontrent, entre autres, le succès de son Melodrama de Sancto Wenceslao ZWV 175 qui y fut créé en 1723 ou la présence d'un manuscrit attestant d'une exécution de sa Missa nativitatis Domini ZWV 8 en 1736.

Telles qu'elles nous ont été transmises, les Lamentationes Jeremiæ Prophetæ de Zelenka sont incomplètes puisque seules deux des trois leçons pour chaque jour ont été mises en musique. Bellotto Canaletto Dresde vue de la rive droite de l'Elbe dElles emploient trois solistes vocaux (alto, ténor, basse) et un orchestre réduit, pour les Mercredi et Jeudi saints, à une paire de hautbois, cordes et basse continue, qui s'élargit, pour le Vendredi saint, à deux flûtes et deux violoncelles dans la première leçon, et à un violon soliste, chalumeau et basson dans la seconde, cet ensemble instrumental qui, littéralement, reprend des couleurs pouvant sans doute se lire comme un symbole de la Résurrection qui va bientôt survenir, cette certitude, pour le croyant, étant encore soulignée par l'emploi de tonalités douces comme la majeur et fa majeur, cette dernière refermant le cycle sur une atmosphère où la voix d'alto (symbolisant souvent celle de l'âme) fait souffler un apaisement confiant, encore souligné par les sonorités chaleureuses du chalumeau. Les quatre leçons précédentes présentaient plus de gravité, et ce n'est certainement pas complètement par hasard que Zelenka débute et clôt ce que la similarité de sa distribution conduit à percevoir comme un ensemble à part entière avec la voix de basse et des tonalités mineures, respectivement ut et sol, comme s'il souhaitait sertir les leçons « centrales » en majeur, pour alto en fa et pour ténor en si, empreintes d'une résignation presque douce dont les larmes ruissellent suavement, dans un cadre plus sombre et dramatique. Tout au long de ces Lamentations, le compositeur fait montre de l'habileté de coloriste, y compris lorsqu'il se cantonne à une palette relativement restreinte, mais aussi de la théâtralité qui le rendent aujourd'hui si prisé ; les lettres hébraïques se voient ainsi enluminées avec science et volubilité (deux exemples saisissants sont Jod, dans la Première leçon du Jeudi, qui fait songer au début d'une aria, et Samech, dans la Deuxième leçon du même jour, avec son hautbois obligé), tel mot est illustré par un madrigalisme (sur amaratudine, par exemple, dans la Première leçon du Mercredi), telle modulation vient subitement apporter sa touche de dolorisme ou de lumière. Ce qui, enfin, retient particulièrement l'attention dans cette œuvre est qu'en observant la relative retenue qui sied à sa destination sacrée, elle fait une belle place au style galant qui renforce considérablement son pouvoir de séduction ; si les quatre premières leçons ne s'en privent pas à l'occasion, les deux dernières regardent, elles, souvent et résolument du côté du monde profane avec une ligne vocale parfois clairement opératique qui dialogue sans complexe avec les instruments obligés, ces derniers multipliant, de leur côté, les passages ornés ou concertants. On a donc ici une démonstration supplémentaire de la perméabilité permanente entre deux univers que nos sensibilités modernes nous portent à considérer comme distincts alors qu'ils étaient plus étroitement mêlés par le passé.

Le Collegium Marianum, dirigé par la flûtiste Jana Semerádová, a mis les petits plats dans les grands pour enregistrer les Lamentations de Zelenka, en convoquant trois chanteurs bien connus dans le monde de la musique baroque avec lesquels l'ensemble a déjà collaboré par le passé, au disque comme au concert. S'il est globalement de bon niveau, le résultat n'est toutefois pas entièrement convaincant. En effet, si on ne trouve pas grand chose à reprocher à la basse Tomáš Král, dont la légèreté de timbre et la souplesse vocale trouvent ici un terrain idéal pour s'exprimer, et surtout au contre-ténor Damien Guillon dont les interventions exemptes de maniérisme, la netteté du phrasé et la voix chaleureuse doivent être saluées, le ténor Daniel Johannsen m'a semblé assez souvent en difficulté face aux exigences de la partition, avec pour conséquence des inégalités de registre et des crispations, en particulier dans les aigus, Collegium Marianum (c) Lukáš Kaderábek Supraphonce qui est d'autant plus dommage que ses bonnes intentions et son investissement dans ce projet sont, comme ceux de ses partenaires, patentes. La prestation de l'orchestre est, elle, de très bon niveau, avec toute la fermeté souhaitable dans l'articulation, des contrastes bien ménagés sans être exagérément surlignés et des couleurs séduisantes. Il me semble que Jana Semerádová et ses musiciens ont trouvé la bonne pulsation, un peu plus soutenue que celle de la déjà ancienne version de René Jacobs (DHM, 1983), et la juste densité pour rendre compte du caractère à la fois dramatique et galant de cette œuvre. Avec un plateau vocal plus équilibré, il ne fait guère de doute que leur lecture intelligente – l'idée de proposer chaque leçon manquante en plain-chant est judicieuse, car outre la respiration qu'elle ménage, elle rappelle l'univers des chronologiquement toutes proches Leçons pour le Samedi saint ZWV 54 mais aussi des Responsoria ZWV 55 – et incarnée se serait imposée en tête de la discographie. J'engage cependant le mélomane curieux de ce répertoire à ne pas négliger de prêter une oreille attentive à cette réalisation, car le plaisir qu'elle procure demeure nettement supérieur à la frustration qu'elle engendre parfois.

 

Zelenka Lamentations Collegium MarianumJan Dismas Zelenka (1679-1745), Lamentationes Jeremiæ Prophetæ ZWV 53

 

Damien Guillon, contre-ténor
Daniel Johannsen, ténor
Tomáš Král, basse

 

Collegium Marianum
Jana Semerádová, direction & flûte traversière

 

1 CD [durée totale : 74'15"] Supraphon SU 4173-2. Ce disque peut être acheté chez votre disquaire ou en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Seconde Lamentation pour le Mercredi Saint
(fa majeur, contre-ténor, deux hautbois ripieno, cordes & basse continue)

 

2. Seconde Lamentation pour le Jeudi Saint
(sol mineur, basse, deux hautbois, cordes & basse continue)

 

Illustrations complémentaires :

 

Bernardo Bellotto, dit Canaletto (Venise, 1721-Varsovie, 1780), Dresde vue de la rive droite de l'Elbe, 1748 (détail). Huile sur toile, 133 x 237 cm, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister (tableau complet et en haute définition en cliquant sur l'image ou en suivant ce lien)

 

La photographie du Collegium Marianum est de Lukáš Kaderábek pour Supraphon.

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6 novembre 2014 4 06 /11 /novembre /2014 08:57

 

Pieter Isaacz Allégorie d'Amsterdam comme centre du commer

Pieter Isaacz. (Helsingør, 1569- Amsterdam, 1625),
Allégorie d'Amsterdam comme centre du commerce international 
(détail), c.1604-07
Huile sur bois (couvercle d'un clavecin de Hans Ruckers le Jeune),
79,4 x 165 x 3 cm, Amsterdam, Rijksmuseum
[image intégralement visible ici]

 

Il est des retrouvailles que rien ne laissait prévoir et qui nous comblent lorsqu'elles adviennent. Les fidèles lecteurs du blog se souviennent peut-être de la chronique que j'avais consacrée, en mai 2013, à un fort beau concert donné par l'Ensemble Consonance au Musée des Beaux-Arts de Tours, dans laquelle je mentionnais le plaisir que j'avais eu d'entendre, malgré un médiocre instrument, quelques pièces de Louis Couperin sonner sous les doigts de Sébastien Wonner. Un peu plus d'une année plus tard ce musicien, dont le nom n'est pas inconnu à ceux qui ont suivi la carrière d'ensembles comme la Chapelle Rhénane ou les Witches, nous offre son premier disque en soliste, entièrement consacré à Jan Pieterszoon Sweelinck.

Pour définir la destinée de celui que l'on nommait l'Orphée d'Amsterdam ou l'organistenmaker (le faiseur d'organistes) tant était grande sa renommée de compositeur et de pédagogue, on est tenté d'emprunter à L'Œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar et de la nommer La vie immobile. En effet, si l'on excepte sa naissance à Deventer en 1562, toute son existence se déroula à Amsterdam, à l'ombre de la Oude Kerk (L'Église Vieille) dont son père tint l'orgue de 1564 à 1573 et à la tribune de laquelle Jan lui succéda, sans doute dès 1577 s'il faut en croire le témoignage de son élève et ami Cornelis Plemp, dédicataire des Cantiones sacræ publiées en 1619, qui déclare qu'il y exerça ses talents durant quarante-quatre ans, jusqu'à sa mort en 1621. Une aussi longue et brillante carrière peut surprendre lorsque l'on sait qu'une des conséquences de la conversion de la cité hollandaise au calvinisme en 1578, au moment même, donc, où Sweelinck entrait en fonctions, Emanuel de Witte Intérieur de la Oude Kerk d'Amsterdamfut justement le rejet de l'usage de l'orgue, considéré comme profane, lors des offices. C'était sans compter sur le pragmatisme des autorités d'Amsterdam qui surent trouver d'autres biais pour valoriser des instruments dont ils étaient les fiers propriétaires, en particulier les deux de la Oude Kerk. Une des charges principales de Sweelinck fut donc d'y jouer de l'orgue deux heures par jour en dehors des offices, une le matin et une le soir, et si l'on en croit l'augmentation régulière de son salaire de 100 florins en 1580 à 360 en 1607, ses services donnèrent satisfaction ; c'est donc en toute confiance, d'autant que sa réputation d'expert en matière d'orgues était déjà grande et l'avait conduit à examiner ceux de Haarlem (1594) ou de Middelburg (1603), une activité qui se poursuivra jusqu'à la fin de sa carrière en le conduisant, entre autres, à Nijmegen (1605), Rotterdam, Delft (1610) ou Dordrecht (1614), que les édiles amstellodamois se tournèrent vers lui lorsqu'ils souhaitèrent acquérir un clavecin pour leur hôtel de ville. En 1604, Sweelinck fit donc le plus long voyage de sa vie pour commander cet instrument de prestige, dont le couvercle peint par Pieter Isaacz. est aujourd'hui conservé au Rijksmuseum, auprès des ateliers de Hans Ruckers le Jeune.

Cette existence à peu près dénuée d'événements saillants n'est pour autant synonyme ni d'ennui, ni de sclérose, bien au contraire. Les nombreux élèves de l'organistenmaker, parmi lesquels Samuel Scheidt, Jacob Praetorius et Heinrich Scheidemann, qui tous contribuèrent à fonder l'École d'orgue d'Allemagne du Nord qui, via Böhm et Buxtehude, conduit à Johann Sebastian Bach, ses contacts avec certains de ses confères tels Peter Philips et John Bull, et, bien entendu, sa musique témoignent de son ouverture aux multiples influences qui parvinrent jusqu'à lui et qu'il sut rassembler en une sorte de Kamer Europa, un « cabinet de l'Europe » où se concentrait tout ce qui avait su aiguiser son imagination et retenir sa curiosité. Ses pièces pour clavier, souvent jouées à l'orgue mais que l'on peut également supposer destinées à l'usage privé Jan Harmensz Muller Jan Pieterszoon Sweelinckauquel le calvinisme cantonnait largement la pratique musicale, sont parfaitement représentatives de ce brassage. Demeurées manuscrites, elles se répartissent en trois groupes, celui des œuvres de forme libre (Fantasia et Toccata, dans ce disque) et ceux des variations sur un thème profane (tel Mein junges Leben hat ein Endt) ou sacré (comme Puer nobis nascitur). Toutes révèlent une indiscutable maîtrise contrapuntique et parfois le goût pour une vertigineuse mais, paradoxalement, jamais tapageuse virtuosité, mais ce qui frappe, dans les premières, est la rigueur de leur construction qui nous rappelle le pédagogue respecté et le polyphoniste subtil qu'était Sweelinck ; si cette exigence de cohérence est également présente dans les différentes variations, ces dernières se révèlent souvent plus colorées et plus « détendues » dans la mesure où elles accueillent volontiers des éléments populaires et des rythmes de danse. Ces pièces variées sont celles qui dévoilent de la plus éloquente façon l'inspiration européenne de leur auteur : Engelse Fortuijn nous entraîne en Angleterre, terre des virginalistes envers lesquels la dette de Sweelinck est patente, tout comme la Paduana Lachrymæ et la Pavan Philippi, hommages l'une à John Dowland, l'autre à l'exilé Peter Philips, la Pavana Hispanica est construite sur un thème d'Antonio de Cabezón, Mein junges Leben hat ein Endt regarde vers les contrées germaniques et on trouve même une Poolse almande — une Allemande polonaise. Si l'empreinte française, enfin, est à chercher du côté des Chansons et des Psaumes, les Toccate auraient été inenvisageables sans une solide connaissance, de la part du musicien amstellodamois, des apports de Claudio Merulo ou d'Andrea Gabrieli.

Sébastien Wonner aurait pu choisir, pour son premier récital soliste, de procéder comme certains de ses plus jeunes collègues en tentant d'attirer sur lui la lumière médiatique avec quelques poses étudiées et un répertoire rebattu. Cet élève d'Aline Zylberajch pour le clavecin et de Martin Gester pour la basse continue et la musique de chambre a préféré adopter une attitude résolument inverse, en mûrissant sans hâte son projet et en arpentant des terres moins exposées. Je le dis tout net, son Sweelinck est un des meilleurs disques de clavecin qu'il m'ait été donné d'écouter cette année, avec les Bach de Christophe Rousset et de Pierre Hantaï. Il n'y a absolument rien d'ostentatoire dans l'approche de Sébastien Wonner, mais sa concentration, sa maîtrise de la polyphonie, Sébastien Wonner (c) Jean-Pierre Rosenkranzla fluidité et l'autorité de sa conduite du discours valent toutes les paillettes dérisoires que d'aucuns nous balancent à pleines poignées. Le plus surprenant est qu'en proposant une lecture que l'on sent extrêmement pensée et construite, le musicien n'est jamais austère, pesant ou ennuyeux ; son Sweelinck déborde, au contraire, d'une vie palpitante, il ose être sensuel, danser, se troubler sans pour autant jamais perdre son fil conducteur. Touchant avec un raffinement sans préciosité qui n'obère ni la puissance, ni le brio, une fort belle copie d'un Ruckers de 1612, enregistrée de façon précise et chaleureuse par Jean-Michel Olivares, Sébastien Wonner démontre sa capacité à varier les climats, à insuffler énergie et souffle à la musique, mais aussi, ce qui n'est pas si fréquent dans ce répertoire, à la faire chanter. Au fond, ce récital, au-delà de l'intérêt et de la beauté des pièces choisies comme de l'interprétation proposée, est d'une indiscutable justesse, en ce qu'il nous restitue la pensée et la sensibilité de Sweelinck dans toutes leurs dimensions, à la croisée de la claire conscience de leur ancrage dans la tradition renaissante et du souci d'une ouverture la plus large possible aux différents langages d'une époque riche en mutations.

 

Je vous recommande donc sans hésiter ce disque de Sébastien Wonner que ses richesses sans cesse renouvelées pourraient bien vous attacher comme un fidèle compagnon. Il installe d'emblée son interprète, tout juste âgé de quarante ans, parmi les talents à suivre avec la plus grande attention. On espère qu'il va continuer à cultiver paisiblement sa différence et que sa probité attirera sur ce projet et ceux qu'il ne manque certainement pas de nourrir pour l'avenir toute la reconnaissance qu'ils méritent.

 

Sweelinck Ma jeune vie a une fin Sébastien WonnerJan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621), Ma jeune vie a une fin, pièces de clavecin

 

Sébastien Wonner, clavecin Émile Jobin d'après Ruckers, 1612 (Amiens, musée de Picardie)

 

incontournable passee des arts1 CD [durée totale : 75'24"] K617 7247. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Puer nobis nascitur

 

2. Mein junges Leben hat ein Endt

 

3. Fantasia (à 3, g2)

 

Illustrations complémentaires :

 

Emanuel de Witte (Alkmaar, 1617-Amsterdam, 1692), Intérieur de la Oude Kerk, 1661. Huile sur toile, 101,5 x 121 cm, Amsterdam, Museum Amsterdam

 

Jan Harmenz. Muller (Amsterdam, 1571-1628), Jan Pieterszoon Sweelinck, 1624. Gravure sur papier, 22,3 x 14,1 cm, Amsterdam, Rijksmuseum

 

La photographie de Sébastien Wonner est de Jean-Pierre Rosenkranz, utilisée avec autorisation.

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 08:47

 

Carl Blechen Tempête en mer avec un phare

Carl Blechen (Cottbus, 1798-Berlin, 1840),
Phare dans une mer tempétueuse, c. 1826
Huile sur toile, 72 x 119 cm, Hambourg, Kunsthalle
[image en très haute définition ici]

 

Lorsque l'on évoque le nom de Louis Spohr, ce qui, avouons-le, n'arrive pas très souvent en France, c'est plutôt l'image d'un compositeur de musique instrumentale ou d'un virtuose du violon qui s'impose à l'esprit. Il n'en fut pas moins actif dans d'autres domaines, comme celui de l'oratorio dans lequel il connut quelques éclatants succès, notamment avec Die letzten Dinge (Les ultimes choses) que Frieder Bernius vient de graver pour Carus.

 

Lorsqu'il se lança dans l'écriture de cette œuvre, à l'automne 1825, Spohr était installé à Kassel depuis plus de trois ans ; il y avait obtenu, grâce à l'entremise de Carl Maria von Weber, le poste de Kapellmeister de la Cour qui lui permettait, entre autres, d'avoir la haute main sur les activités de l'opéra qui assura, en 1823, la création de sa Jessonda dont le triomphe lui valut d'être considéré comme un des plus importants compositeurs germaniques de son temps. Spohr n'en était pas à son coup d'essai en matière d'oratorio, un genre que la distance qu'il avait prise avec la religion et l'intérêt grandissant que lui accordait une bourgeoisie dont le poids ne cessait de croître au sein de la société avaient conduit à entamer une profonde mutation dès la fin du XVIIIe siècle, comme en attestent la Création (1797) mais surtout les Saisons (1800) de Joseph Haydn qui, pour être pétries de spiritualité, n'ont aucun caractère spécifiquement liturgique ; il avait donné en 1812, alors qu'il était en service à Gotha, Das jüngste Gericht (Le Jugement dernier), une œuvre de commande créée pour les célébrations de l'anniversaire de Napoléon sur laquelle il porta ensuite un regard sévère, la jugeant inégale et d'un style peu approprié à son sujet. Peut-être encouragé par le succès fracassant, en 1820, de Das Weltgericht (Le Jugement du monde), un oratorio de Friedrich Schneider (1786-1853) qu'il serait sans doute opportun d'enregistrer tant son influence sur le genre, en Allemagne, est patente, Spohr se mit au travail avec conviction et en étroite collaboration avec Friedrich Rochlitz (1769-1842), auteur du livret d'après l'Apocalypse selon saint Jean, mais dont l'influence réelle sur la partition va bien au-delà, car il conseilla, par exemple, au compositeur d'y privilégier les chœurs et les récitatifs accompagnés plutôt que les arias. Il n'est pas inutile de citer ici, à ce propos, ce que ce dernier écrivait après l'audition de la première partie de l'œuvre en novembre 1825Peter von Cornelius Le Jugement dernier : « je n'ai pas ménagé ma peine pour être réellement simple, respectueux et vrai dans l'expression et ai soigneusement évité toutes les affectations, la pompe et les difficultés. L'avantage est une immédiate praticabilité pour les sociétés d'amateurs, pour lesquelles l'œuvre est principalement pensée, et une meilleure compréhension de mes idées par le public » (Clive Brown, Louis Spohr, a critical biography, p. 174). La création en l'église luthérienne de Kassel, le vendredi saint 1826, fut un triomphe.

Une des caractéristiques de chacune des deux parties de Die letzten Dinge est le peu de place que chacune accorde à la virtuosité vocale, les solos, modestes techniquement mais exigeant une grande justesse dans l'expression, étant, en outre, intégrés à un flux musical continu qui, à l'instar de ce que l'on l'observe dans le Lazarus inachevé de Schubert (1820), confère à l'oratorio une grande impression d'unité, encore renforcée par l'emploi de motifs musicaux récurrents. Si les interventions chorales sont nombreuses, la poids accordé à l'orchestre est également important et nous rappelle que Spohr est l'auteur de dix symphonies qui méritent assurément mieux que l'oubli ; outre des passages plus ou moins développés qui prennent place dans le déroulement de l’œuvre, ses deux parties sont chacune introduites par une longue page instrumentale finement ouvragée dans laquelle le musicien fait montre de son goût habituel pour la modulation et le chromatisme, ce travail orchestral représentant assurément, avec le très sensible duetto pour soprano et ténor « Sei mir nicht schrecklich », seule véritable concession du compositeur, ici, au style opératique, la part la plus ouvertement romantique de la partition. Spohr et Rochlitz ont délibérément choisi de ne pas peindre les aspects dévastateurs du Jugement dernier, dont la description se trouve cantonnée à deux numéros, le récitatif du ténor « Die Stunde des Gerichts, sie ist gekommen » (« L'heure du jugement est arrivée ») et le tempétueux chœur « Gefallen ist Babylon » (« Babylone est tombée »), tandis que tout le reste de l'oratorio proclame la bonté de Dieu, la justesse de Ses œuvres et, bien entendu, l'espoir des fidèles qui se sont endormis dans l'espoir de la résurrection. Du fait de cette optique particulière, Die letzten Dinge entre tout naturellement en résonance avec deux tendances bien distinctes de l'art de son temps, d'une part le frisson qui parcourt la peinture de paysage laquelle tire d'une topographie transcendée le sentiment d'une nature mystique (Caspar David Friedrich, Carl Blechen, Johann Christian Dahl) et de l'autre la volonté de sobriété de l'école nazaréenne (Franz Pforr, Johann Friedrich Overbeck, Peter von Cornelius — soulignons, au passage, que le choix d'un tableau de Ludwig Ferdinand Schnorr von Carolsfeld pour la pochette du disque est parfait) qui entendait, en se référant aux artistes ayant précédé Raphaël, retrouver une certaine pureté dans la représentation des sujets religieux.

Die letzten Dinge est une œuvre qui a été plutôt gâtée par le disque puisque, avec la nouvelle venue, ce ne sont pas moins de trois versions récentes qui s'offrent au mélomane, sans parler d'une plus ancienne dirigée par Gustav Kuhn (Philips, 1987) qui relève d'une esthétique chorale et surtout orchestrale datée mais peut se prévaloir d'un excellent quatuor de solistes. Si la lecture de Bruno Weil (Capriccio, 2007) ne manque pas de qualités, notamment grâce aux couleurs des instruments anciens de la Cappella Coloniensis et à un ténor d'une belle éloquence, force est de constater que la lourdeur de la battue dessert toute la première partie qui, à vouloir être trop solennelle, finit par faire du surplace, la seconde étant plus dynamique. Paru presque en même temps que celui de Frieder Bernius, l'enregistrement signé par Ivor Bolton à la tête des forces du Mozarteumorchester Salzburg et du Salzburger Bachchor (Oehms classics) possède de nombreux atouts, avec un chœur bien préparé et réactif, un orchestre aux sonorités très « droites » mais conservant une véritable densité, un très bon plateau vocal hélas terni par une soprano au vibrato envahissant qui gâche un peu la fête, Frieder Bernius Gudrun Bublitzet la direction d'un chef soucieux d'impact dramatique qui fait parfois songer à Nikolaus Harnoncourt y compris, malheureusement, dans ses accès de brutalité. Il me semble que l'interprétation défendue par Frieder Bernius réalise une heureuse synthèse de celles qui l'ont précédée en proposant une vision superbement équilibrée de cet oratorio de Spohr. Les solistes ne sont sans doute pas aussi flamboyants que ceux de Gustav Kuhn, mais ils sont parfaitement bien chantants, tant du point de vue du plaisir que donne leur prestation que de sa rectitude stylistique, la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen n'a pas d'instruments anciens comme chez Bruno Weil, mais elle joue avec un vibrato très contrôlé, une légèreté de touche et un évident souci de la couleur et de l'articulation – elle surpasse, sur ce point, le Mozarteumorchester Salzburg, et je soupçonne que le fait que le premier violon ne soit autre que celui de l'Akademie für alte Musik Berlin n'y est pas étranger – qui ne les font pas regretter outre mesure, le Kammerchor Stuttgart ne fait pas mentir son excellente réputation de discipline, d'investissement et de lisibilité. Si Ivor Bolton a choisi de tirer Die letzten Dinge du côté de l'opéra, une option qui, pour stimulante qu'elle soit, d'autant qu'elle est assumée avec brio, ne me paraît pas correspondre exactement à ce que l'on sait des souhaits de Spohr, Frieder Bernius adopte une optique différente qui, tout en préservant le dynamisme et l'engagement indispensables, laisse un peu plus de place à l'intériorité, à la ferveur, voire à une certaine solennité sans qu'elles se muent pour autant en pesanteur. En ne faisant jamais l'impasse sur le raffinement et la richesse de l'écriture que la précision de sa direction met particulièrement bien en valeur, le chef parvient à obtenir de ses troupes l'absence d'afféterie que visait le compositeur ainsi qu'une luminosité qui rendent sa musique profondément éloquente et émouvante, parfois presque réconfortante.

 

À ceux d'entre vous qui ont des affinités avec ce répertoire comme aux curieux qui sentent qu'ils pourraient en avoir, je recommande ce splendide enregistrement de Die letzten Dinge qui propose une partition peu connue en France, mais passionnante et dont les écoutes successives n'épuisent pas les beautés. Puisse Frieder Bernius ne pas s'arrêter en si bon chemin dans son parcours au cœur de l'oratorio romantique allemand ; Spohr, dont on aimerait entendre Des Heilands letzte Stunden, écrit dans le sillage de la redécouverte de la Passion selon saint Matthieu de Bach, Schneider et sans doute bien d'autres nous réservent encore de bien belles découvertes.

 

Louis Spohr Die letzten Dinge Frieder BerniusLouis Spohr (1784-1859), Die letzten Dinge WoO 61

 

Johanna Winkel, soprano
Sophie Harmsen, mezzo-soprano
Andreas Weller, ténor
Konstantin Wolff, basse
Kammerchor Stuttgart
Deutsche Kammerphilharmonie Bremen
Frieder Bernius, direction

 

incontournable passee des arts1 CD [durée totale : 74'55"] Carus 83.294. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Première partie : Ouverture

 

2. Deuxième partie : Coro « Gefallen ist Babylon »

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Peter von Cornelius (Düsseldorf, 1783-Berlin, 1867), Le Jugement dernier, 1836-39. Fresque, 18,3 x 11,3 m, Munich, Ludwigskirche

 

La photographie de Frieder Bernius est de Gudrun Bublitz, utilisée avec autorisation.

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12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 08:49

 

Caspar David Friedrich Paysage d'hiver avec une église Lon

Caspar David Friedrich (Greifswald, 1774-Dresde, 1840),
Paysage d'hiver, probablement 1811
Huile sur toile, 32,5 x 45 cm, Londres, National Gallery

 

Lorsque l'on pense à Franz Schubert, c'est naturellement le compositeur de Lieder ou de musique pour clavier et, plus largement, de chambre qui s'impose à l'esprit, puis le symphoniste, son Inachevée jouissant auprès du public d'un succès qui ne se dément pas. Malgré la popularité de son Ave Maria et celle, plus relative, de deux de ses messes (en la bémol majeur D 678, 1822, et en mi bémol majeur D 950, 1828), il est rare que l'on songe instinctivement à sa production dans le domaine sacré, qui compte tout de même une quarantaine de pièces, dont six messes et un unique oratorio inachevé, Lazarus.

 

La genèse de cette partition qui occupa Schubert dès le mois de février 1820 demeure un mystère, tout comme sa destination et les raisons de son inachèvement. Le fait que l'on en conserve une copie autographe très soignée semble constituer un indice à peu près certain qu'une exécution était envisagée et certains chercheurs ont avancé que l’œuvre aurait pu être conçue pour l'inauguration d'une faculté protestante de théologie de Vienne, la Protestantisch-theologische Lehranstalt, prévue à Pâques 1820 mais qui fut reportée d'un an, sans l'autorisation, cette fois-ci, qu'elle se tienne en public. Schubert entretenait des liens avec cette institution, tout comme l'auteur du livret de Lazarus et si aucun élément ne vient étayer de manière irréfutable l'hypothèse de cette commande, elle est indiscutablement séduisante. Autre étrangeté, le texte que le musicien retint pour son oratorio était, pour le moins, une vieillerie ; écrit par le poète et théologien originaire de Halle, August Hermann Niemeyer (1754-1828), d'après l'Évangile selon Saint Jean (11, 1-45), il avait, en effet, déjà été mis en musique par Johann Heinrich Rolle (1716-1785) l'année même de sa parution, en 1778, et n'était parvenu à Vienne qu'à la faveur d'une visite de son auteur en 1811. On peut gager qu'outre le renommée de ce dernier, la volonté du ou des commanditaires ne fut pas totalement étrangère à ce choix assez particulier.

Des trois « actes » qui composent Lazarus, Schubert ne mit en musique que les deux premiers, sa partition s'interrompant brusquement après quelques mesures d'une aria de Marthe (« Hebt mich der Stürme Flügel » : « que l'aile des tempêtes m'emporte ») dans le second. Carl Theodor Demiani August Hermann Niemeyer 1828Chacun des actes possède sa propre unité d'action. Le premier dépeint les derniers instants de Lazare dans un jardin où le veillent ses deux sœurs, Marie et Marthe, rejointes par Nathanaël qui, se faisant le messager de celui que les deux hommes nomment le « professeur », délivre à l'agonisant des paroles de réconfort et de foi, que renouvelle Jemina, son pendant féminin. Le second décrit ses funérailles, avec l'intervention d'un nouveau personnage, Simon, tout bouleversé par l'horreur que lui inspire la mort – ce qui nous vaut une scène de cimetière parfaitement romantique (« Wo bin ich ? Wo bin ich? ») – et que seules les paroles de Nathanaël parviennent à dissiper, et une présence plus grande du chœur personnifiant le cortège funèbre du défunt. Le troisième, manquant, aurait bien entendu été consacré à l'arrivée de Jésus et à la résurrection de Lazare. L'effectif orchestral retenu par Schubert est classique – cordes, bois par deux, une paire de cors, auxquels s'ajoutent trois trombones – mais l'usage qu'il en fait, notamment en le divisant ponctuellement en petits groupes, donne le sentiment d'entendre de la musique d'inspiration baroque (avec un concertino) ou chambriste. Toute aussi frappante est l'utilisation des vents pour apporter, avec autant de parcimonie que d'efficacité, des touches de couleur, deux cors discrètement combatifs soulignant le mot « Kampf » (combat) avant de se faire nostalgiques (ils sont souvent le vecteur de l'idée de lointain ou de souvenir chez les Romantiques) dans le premier air de Marie, des flûtes et des clarinettes à la fois berceurs et générateurs d'une impression d'immatérialité presque inquiétante dans la magnifique aria de Jemina (« So schlummert auf Rosen »), l'éclat assourdi et menaçant des trombones pour souligner l'angoisse de Marthe ou la solennité de l'intervention du chœur dans l'acte II, entre autres exemples. Si le rôle de ce dernier est réduit, le compositeur s'est, en revanche, attaché à mettre en valeur les solistes d'une manière presque opératique, en dépit du fait que l'action est souvent plus contemplative que dramatique, en particulier dans le premier acte. En gommant, autant que possible, les différences entre airs et récitatifs accompagnés et en permettant au chant de se déployer avec beaucoup de liberté, ce qui aboutit fugitivement à des passages qui relèvent d'un Sprechgesang embryonnaire, Schubert parvient à obtenir une impression de narration continue qui contribue à maintenir et à entretenir la tension de façon tout à fait convaincante. Malgré son état fragmentaire, cet oratorio où passent le souvenir de Bach, de Gluck mais aussi quelques lueurs beethovéniennes, se révèle donc un laboratoire passionnant dont l'écho se retrouvera aussi bien dans la Messe en la bémol majeur que dans le Gesang der Geister über den Wassern (D 714, 1821).

 

Serviteur très inspiré du répertoire romantique allemand, en particulier de Mendelssohn pour lequel ses enregistrements font autorité, Frieder Bernius a choisi d'aborder Lazarus à la tête des deux ensembles qu'il a fondés, le Kammerchor et la Hofkapelle de Stuttgart, ce dernier jouant sur instruments anciens, une option qui fait immédiatement la différence entre cette version et les autres (on pense, par exemple, à celle de Helmuth Rilling), le travail sur la couleur auquel s'est livré Schubert acquérant immédiatement ici toute sa portée et toute sa saveur. Contrairement à Rilling, Bernius a également décidé de s'en tenir strictement à la partition existante sans recourir à la complétion due à Edison Denisov, une démarche cohérente avec l'optique « historiquement informée » qu'il défend. Le résultat est de très haute tenue et l'on est encore plus admiratif en constatant qu'il s'agit d'une captation en concert, car qu'il s'agisse des solistes, du chœur ou de l'orchestre, tout y est impeccablement en place et d'un engagement constant qui ne fait pour autant jamais l'impasse sur la précision. Hofkapelle StuttgartLes chanteurs sont globalement excellents d'un point de vue technique et ont tous le souci de bien caractériser leur personnage, Sarah Wegener donnant corps à la résilience confiante de Marie comme Johanna Winkel à l'abattement passionné de Marthe, tandis que la brève apparition de Sophie Harmsen en Jemina nous vaut l'une des plus belles arias de toute cette réalisation. Les messieurs ne sont pas en reste et Andreas Weller sait trouver les accents d'abandon d'un croyant qui, comme le Lazare qu'il campe, s'éteint l'espérance au cœur, cette foi dont le Nathanaël de Tilman Lichdi dit parfaitement le rayonnement serein et le Simon de Tobias Berndt l'alternance d'alarmes et de confiance. Même si ses interventions sont peu nombreuses, le Kammerchor Stuttgart se montre à chaque reprise irréprochable du point de vue de la lisibilité comme de la souplesse, et très investi dans son rôle à la fois d'acteur et de commentateur du drame. La prestation de la Hofkapelle Stuttgart n'appelle, elle aussi, que des éloges, en termes de justesse, d'implication et de soin apporté aux détails ; ces musiciens ont tout compris de la plus-value apportée par l'utilisation des instruments « d'époque » dans le répertoire romantique qu'ils appréhendent avec le souci constant de la fluidité, de la transparence, mais aussi de la sensualité sonore. On sait gré à Frieder Bernius de diriger ses talentueuses troupes avec autant d'intelligence et de trouver toujours le juste équilibre entre inspirations religieuse et opératique. Sa vision de Lazarus, tout en ne négligeant à aucun moment de mettre en lumière les subtilités d'écriture et le raffinement des textures, ne manque jamais de souffle et tient l'auditeur en haleine de la première à la dernière note.

Il me semble donc que l'on peut parler, avec cet enregistrement, d'une lecture magistrale qui distance assez nettement, malgré leurs qualités propres, celles qui l'ont précédée et à l'aune de laquelle il faudra désormais apprécier celles qui viendront. Si vous désirez découvrir un pan assez peu fréquenté de la production de Schubert, je vous recommande sans hésitation ce Lazarus aussi soigné que vivant après l'écoute duquel vous souhaiterez peut-être, comme moi, que Frieder Bernius se penche maintenant sur les messes du compositeur viennois.

 

Franz Schubert Lazarus Frieder BerniusFranz Schubert (1797-1828), Lazarus oder Die Feier der Auferstehung D 689

 

Sarah Wegener (Marie) & Johanna Winkel (Marthe), sopranos
Sophie Harmsen (Jemina), mezzo-soprano
Andreas Weller (Lazare) & Tilman Lichdi (Nathanaël), ténors
Tobias Berndt (Simon), basse
Kammerchor Stuttgart
Hofkapelle Stuttgart
Frieder Bernius, direction

 

incontournable passee des arts1 CD [durée totale : 71'50"] Carus 83.293. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et sous forme numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Aria (Nathanaël) : « Wenn ich ihm nachgerungen habe »

 

2. Aria (Jemina) : « So schlummert auf Rosen »

 

3. « Wo bin ich » (Simon)

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Carl Theodor Demiani (Dresde, 1801-Hambourg, 1869), August Hermann Niemeyer, 1828 (détail). Huile sur toile, dimensions et localisation non précisées

 

La photographie de la Hofkapelle Stuttgart avec Frieder Bernius à sa tête est de Giacinto Carlucci.

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28 août 2014 4 28 /08 /août /2014 08:58

 

Louis Boilly L'incroyable parade

Louis Boilly (La Bassée, 1761-Paris, 1845),
L'Incroyable parade, 1797
Huile sur bois, 41 x 54 cm, collection particulière

 

Hyperion est un label dont la démarche s'inscrit assez profondément au rebours des tendances majoritaires du marché de la musique classique : alors que ce dernier mise principalement sur des produits que les trépidations de l'actualité rendent encore plus éphémères, l'éditeur britannique cultive l'ancrage dans le temps long notamment au travers des séries à caractère encyclopédique dont il s'est fait une spécialité. Après le succès, autrefois, de The English Orpheus, et ceux, plus récents, de The romantic piano concerto ou The romantic violin concerto, il inaugure une nouvelle collection intitulée The classical piano concerto destinée à explorer l'histoire du concerto pour piano entre environ 1770 et 1820.

 

Pour cette entrée en matière, le choix de Jan Ladislav Dussek est, pour diverses raisons, excellent. Je subodore que la présence en Angleterre, entre 1789 et 1799, de ce musicien très voyageur né en 1760 à Čáslav, en Bohême, n'est pas complètement étrangère à cette décision, mais il faut dire que ce séjour provoqué par sa fuite devant la Révolution française dont la survenue pouvait se révéler périlleuse pour celui qui, arrivé à Paris en 1786, avait su entrer dans les bonnes grâces de Marie-Antoinette, s'est révélé important à plus d'un titre ; Dussek a, en effet, contribué à faire évoluer les claviers de son temps en poussant le facteur Broadwood à en augmenter l'étendue, tout en se trouvant directement en contact avec l'école de piano anglaise et son chef de file, Muzio Clementi, dont les élans préromantiques (qui trouvent un parfait écho dans les œuvres picturales produites à la même époque outre-Manche), auxquels ses séjours en Europe du Nord, en particulier à Hambourg au début des années 1780 où il étudia peut-être auprès de Carl Philipp Emanuel Bach, l'avaient déjà sensibilisé, finirent par colorer ses œuvres. S'il fut surtout connu pour ses capacités de virtuose qui suscitaient encore l'admiration à Paris, où il s'était réinstallé, après avoir travaillé principalement en Prusse, en septembre 1807 et où il devait mourir, intempérant, obèse et goutteux le 20 mars 1812, Dussek est loin d'être un compositeur négligeable. Jan Ladislav DussekSes sonates et concertos pour piano, remis à l'honneur par Andreas Staier dans trois enregistrements mémorables (DHM en 1993 et 1995 pour les sonates, Capriccio en 1995, avec le Concerto Köln, pour les concertos et le Tableau « Marie-Antoinette »), permettent de voir s'opérer la transition du classicisme aux débuts du romantisme et d'apprécier un musicien dont les intuitions anticipent parfois Weber, Mendelssohn ou Chopin.

La programmation intelligente du disque met parfaitement en lumière ces deux points en proposant des concertos de trois périodes différentes. En deux mouvements, un Allegro brillant et un Rondo d'humeur enjouée, le Concerto en sol majeur op. 1 n°3 a été composé avant 1783. Il avoue, dès ses premières mesures, une grande proximité avec Mozart, dont on peut gager que Dussek connaissait la production, tout en s'en démarquant par l'absence de cadence. Une autre originalité se fait entendre, cette fois dans la page de la maturité qu'est le Concerto en ut majeur op. 29 (1795), dont le mouvement liminaire débute, à la manière d'une symphonie, par une introduction lente marquée Larghetto. Peut-être faut-il y voir un hommage à Haydn, qui connaissait alors le succès que l'on sait à Londres et qui avait eu envers Dussek des propos tout à fait bienveillants, d'autant que le Rondo final fait parfois entendre un lointain écho de celui Concerto en ré majeur Hob. XVIII.11 (publié en 1784) de son glorieux aîné ; quoi qu'il en soit, le langage du compositeur a ici gagné en richesse et en expressivité, comme le démontre la tendresse du Larghetto central dans un sol majeur à la luminosité caressante. Datant de 1810, le Concerto en mi bémol majeur op. 70 s'éloigne encore un peu plus du classicisme pour porter ses regards vers le romantisme. Avec son Allegro brillante ma non troppo de vastes dimensions, l’œuvre affiche d'emblée ses ambitions au travers, notamment, du soin apporté à l'écriture orchestrale, en termes de conduite et de couleurs ; les dialogues entre le soliste et les différents pupitres sont particulièrement soignés et le poids des deux protagonistes tend à s'équilibrer en termes de narration. Le concerto s'achève sur un Rondo dont le tempo assez inhabituel d'Allegretto moderatissimo permet de goûter pleinement l'esprit et le piquant qui toujours savent demeurer d'un bon goût parfait.

 

Cette expression est sans doute celle qui définit le mieux l'interprétation de l'Ulster Orchestra que dirige, du piano, Howard Shelley. Disons-le d'emblée, on aurait préféré que ce disque fût confié à des instruments anciens qui lui auraient sans nul doute apporté la netteté de lignes et la palette de couleurs qui font souvent défaut ici, malgré la connaissance qu'a le soliste et chef du style classique qu'il joue depuis des décennies, parfois même au pianoforte. Malheureusement, il semble que la frilosité ou la paresse d'ensembles « à l'ancienne » qui seraient d'excellents serviteurs de ce répertoire doivent, pour longtemps encore, Howard Shelleylaisser la porte largement ouverte à des approches plus « traditionnelles. » Ceci posé, cette réalisation est de fort bonne tenue, techniquement irréprochable et animée d'un très louable souci de faire vivre des concertos dont la qualité fait se demander pourquoi ils ne sont pas plus fréquentés. L'Ulster Orchestra fait de son mieux pour alléger le plus possible sa sonorité et si les fins de phrases alourdies par un vibrato superflu ne font guère illusion, le rendu global possède suffisamment de transparence et de dynamisme pour demeurer séduisant, en particulier dans les mouvements lents qui prennent parfois de délicieuses teintes chambristes. Les musiciens sont dirigés avec finesse et intelligence par Howard Shelley qui a la bonne idée de pas jouer la carte d'un « grand piano » qui aurait été ici quelque peu hors-sujet, mais fait montre, au contraire, d'une légèreté et d'une fluidité plus conformes à l'esprit des œuvres. Notons également que sa virtuosité tempérée, jamais outrancière, n'est pas le moindre atout de son approche, dont la recherche d'un équilibre serein semble avoir été un des moteurs essentiels.

Sous réserve de ne pas être trop rétif aux instruments modernes dans la musique du XVIIIe siècle, voici un disque tout à fait intéressant à connaître aux côtés de ceux, prioritaires, d'Andreas Staier, et qui permet d'affiner la connaissance que nous pouvions avoir du style et de l'apport de Dussek au genre du concerto pour piano. Si l'on espère, sans néanmoins se faire trop d'illusions, qu'Hyperion fera appel à des interprètes plus spécialisés dans la pratique d'exécution historique pour la suite de cette nouvelle collection, ce premier volume laisse bien augurer d'une entreprise que l'on suivra avec beaucoup d'intérêt.

 

Jan Ladislav Dussek Piano Concertos Howard ShelleyJan Ladislav Dussek (1760-1812), Concertos pour piano en sol majeur op. 1 n°3, en ut majeur op. 29, en mi bémol majeur op. 70

 

Ulster Orchestra
Howard Shelley, piano & direction

 

1 CD [durée totale : 68'23"] Hyperion CDA 68027. Ce disque peut être acheté sous forme physique sur le site de l'éditeur (frais de port : 2£87) en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Concerto en sol majeur op. 1 n°3 : [I] Allegro

 

2. Concerto en mi bémol majeur op. 70 : [II] Adagio ma non troppo lento

 

Illustrations complémentaires :

 

Artiste anonyme, publié par John Bland (c.1750-c.1840), Jan Ladislav Dussek, 1793. Mezzotinte, 35,8 x 25,4 cm, Londres, British Museum © The Trustees of the British Museum

 

La photographie de Howard Shelley est d'Eric Richmond.

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18 mai 2014 7 18 /05 /mai /2014 08:29

 

Jean-Honoré Fragonard L'orage

Jean-Honoré Fragonard (Grasse, 1732-Paris, 1806),
L'orage
, c.1759

Huile sur toile, 73 x 97 cm, Paris, Musée du Louvre
(photographie © RMN-GP/Daniel Arnaudet)

 

Ses trois Concertos pour violoncelle font sans doute partie des pages de Carl Philipp Emanuel Bach les plus régulièrement servies par le disque et il est fort probable que cette année anniversaire nous apportera son lot de lectures nouvelles. Il revient à Ophélie Gaillard, à la tête de son orchestre Pulcinella, d'être la première à nous en proposer non pas l'intégralité, mais deux, enchâssés dans un programme que l'on peut aborder comme l'esquisse d'un portrait du compositeur.

 

Trois des œuvres enregistrées ici ont été composées autour de l'année 1750, alors qu'Emanuel Bach était employé en qualité de premier claveciniste de l'orchestre de la cour de Frédéric II à Berlin, un poste qui, s'il lui assurait un revenu, n'était guère exaltant, le style assez ébouriffé et parfois déconcertant de la musique du cadet des fils du Cantor de Leipzig ne trouvant que très modérément grâce aux yeux d'un roi de Prusse aux penchants affirmés pour la fluidité galante et l'opéra italien. Cette sous-exploitation de ses capacités par un employeur qui montrait plus d'intérêt pour ses talents de virtuose et d'improvisateur que pour ses aptitudes créatrices, l'incita rapidement à déployer une activité débordante en dehors de ses fonctions officielles, tant sur le plan de la composition que sur celui de la théorie. Composée en 1749, la Sonate en trio en ut mineur Wq. 161 (H.579) est la seule œuvre ouvertement programmatique de son auteur, qui y présente la confrontation entre un Sanguineus et un Melancholicus, deux caractères tout droit issus de la théorie des humeurs et représentés musicalement, pour le Mélancolique, par la sombre tonalité d'ut mineur et des phrases souvent plaintives, le Sanguin héritant naturellement de son relatif majeur, mi bémol, et de passages débordants d'énergie. Tels Héraclite et Démocrite, sujet très en vogue dans la peinture septentrionale du XVIIe siècle, les deux personnages s'affrontent durant tout le premier mouvement et une partie du deuxième pour finir par s'accorder dans le dernier, un peu comme, chez Händel, Heinrich von Winter Carl Philipp Emanuel BachIl Moderato vient montrer le chemin du juste équilibre à L'Allegro et à Il Penseroso qui s'étaient opposés durant la majeure de cette ode pastorale, qui demeure une des partitions les plus singulières et les plus inspirées du compositeur, écrite moins de dix ans avant la sonate d'Emanuel Bach. En 1750, ce dernier adapta, en conservant la tonalité d'origine, son Concerto pour clavier en la mineur (Wq. 26/H.430) pour le violoncelle (Wq. 170/H.432), et reprit le même procédé pour les deux suivants, en si bémol majeur (Wq. 28/H.434 engendrant Wq.171/H.436, 1751, non gravé sur ce disque) et en la majeur (Wq. 29/H.437 devenant Wq.172/H.439), daté de 1753. On ignore pour quel virtuose de l'instrument il produisit ces transcriptions, mais on peut avancer le nom de Christian Friedrich Schale (1713-1800), violoncelliste avec lequel il travailla au sein de l'orchestre de Frédéric II et qui dirigeait, le lundi, une Musikalische Assemblée privée à Berlin. Complémentaires et reflétant parfaitement les recherches du compositeur dans le domaine de la traduction musicale des passions, les Concertos en la mineur et en la majeur mettent à rude épreuve tant les capacités techniques que celles de caractérisation du soliste et de l'orchestre, la première œuvre sur un mode orageux, passionné, irréductiblement préromantique, la seconde d'une façon plus enjouée voire conquérante qui n'exclut pas des moments assombris, le plus étreignant étant le Largo central en la mineur, déploration à laquelle l'utilisation des sourdines aux cordes confère une atmosphère voilée encore plus prenante. Les foucades, l'inventivité débridée, l'art consommé des ruptures de ton et des silences sont aussi très présents dans la Sinfonia en si mineur Wq. 182/5 (H.661), cinquième de la série de six commandée en 1773 à Carl Philipp Emanuel Bach, alors installé à Hambourg depuis cinq ans, par le baron Gottfried van Swieten dont la seule consigne donnée au musicien était « de se laisser complètement aller. » Les attentes du commanditaire furent, comme on peut s'en douter, comblées par ce cycle fourmillant de surprises, tant du point de vue structurel qu'harmonique, dont les audaces font encore sursauter aujourd'hui et dont le Presto haletant, parfois presque brutal, qui conclut la Sinfonia offre un exemple aussi édifiant que détonant.

Ophélie Gaillard Caroline DoutreAlors qu'on ne les attendait pas forcément dans ce répertoire, la prestation d'Ophélie Gaillard et de Pulcinella y enthousiasme à chaque instant, à tel point que l'on déplorerait presque d'avoir eu à attendre le tricentenaire pour pouvoir en profiter. L'entente qui règne entre la soliste et ses musiciens est évidente à chaque instant et peut-être d'autant plus perceptible qu'elle trouve à s'illustrer aussi bien dans le domaine de la musique concertante que de chambre ; il est manifeste que tous ici s'écoutent avec la plus grande attention et le résultat est immédiat en termes de cohérence et d'impact. Il me semble qu'aucun des traits essentiels de l'art du cadet des fils Bach n'a été laissé de côté dans cette lecture qui conjugue à merveille rigueur – carrures nettes, intonations précises, lignes parfaitement tendues et articulées – et fantaisie, qu'il s'agisse des bondissements quelquefois hirsutes des mouvements les plus emportés ou de la poésie rêveuse de ceux où le temps semble suspendu, ainsi les mouvements lents des deux concertos, où la violoncelliste sait trouver une ligne de chant assez idéale, à la fois parfaitement phrasée et très à fleur de peau, qui fait que même après vingt écoutes du disque, on s'arrête toujours pour la suivre. En grand comme en petit effectif, Pulcinella se révèle un ensemble d'une discipline et d'une sensualité sonore remarquables ; il est particulièrement réjouissant d'entendre, entre autres, la Sinfonia Wq. 182/5 (H.661) interprétée avec un panache que l'on croyait réservé à certains orchestres d'outre-Rhin Francesco Corti Marco Borggreve(Akademie für Alte Musik Berlin, Freiburger Barockorchester), et par des musiciens qui ne confondent pas expressivité et hystérie gesticulante. Si la Sonate « Sanguineus & Melancholicus » permet à certaines des belles individualités qui le composent et, en particulier aux violonistes Thibault Noally et Nicolas Mazzoleni, de s'illustrer sur le plan de la virtuosité comme de l'éloquence, je tiens surtout à saluer la qualité des interventions de Francesco Corti qui, de son pianoforte, assure, tout au long de cet enregistrement, un continuo très vivant, à la fois discret et d'une réactivité de tous les instants, qui confère à cette réalisation un supplément de personnalité sans lequel je gage qu'il n'aurait probablement pas été aussi captivant. Voici un jeune claviériste dont on aura plaisir à suivre l'évolution.

 

Voici donc, à mon avis, un des meilleurs disques consacrés à Carl Philipp Emanuel Bach depuis le début de cette année commémorative, et c'est sans hésitation que je vous en recommande l'acquisition. S'il m'est permis d'exprimer un souhait, ce serait qu'Ophélie Gaillard et Pulcinella reviennent sans trop attendre à ce répertoire en nous donnant, pourquoi pas, le concerto pour violoncelle et les cinq autres symphonies de 1773 manquants ; il ne fait nul doute, pour peu que la même réussite soit au rendez-vous, que nous aurions ainsi un diptyque des plus séduisants à conseiller à tous les Kenner et à tous les Liebhaber de cette musique.

 

Carl Philipp Emanuel Bach Pulcinella Ophélie GaillardCarl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), Concertos pour violoncelle en la mineur Wq. 170 (H.432), et en la majeur Wq. 172 (H.439), Sinfonia en si mineur Wq. 182/5 (H.661), Sonate en trio en ut mineur « Sanguineus & Melancholicus » Wq. 161 (H.579)

 

Pulcinella Orchestra
Ophélie Gaillard, violoncelle & direction

 

incontournable passee des arts1 CD [durée : 71'58"] Aparté AP 080. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien ou au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. Concerto pour violoncelle en la mineur Wq. 170 (H.432) :
[I] Allegro assai

 

2. Sinfonia en si mineur Wq. 182/5 (H.661) :
[III] Presto

 

Une belle vidéo de présentation du projet réalisée par Colin Laurent :

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Heinrich Eduard von Winter (Munich, 1788-1825), Carl Philipp Emanuel Bach, 1816. Lithographie sur papier, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek

 

La photographie d'Ophélie Gaillard, tirée de son site Internet, est de Caroline Doutre.

 

La photographie de Francesco Corti, tirée de son site Internet, est de Marco Borggreve.

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4 mai 2014 7 04 /05 /mai /2014 08:47

 

Anonyme fin XVIe ou début XVIIe Portrait d'un gentilhomme

Peintre britannique anonyme,
Portrait d'un gentilhomme
, fin du XVIe ou début du XVIIe siècle

Huile sur carton collée sur bois, 7 x 5,4 cm (10,8 x 9,5 x 1,9 cm avec le cadre),
Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection

 

François Joubert-Caillet fait partie des jeunes violistes dont la réputation va grandissant auprès des amateurs de musique ancienne, ce qui lui a valu d'être repéré par le label Ricercar pour lequel il a signé, à la rentrée 2013, un disque consacré à Johannes Schenck aux côtés, excusez du peu, de Wieland Kuijken. Collaborateur régulier de Clematis ou de la Cappella Mediterranea, il endosse à son tour le rôle de chef d'ensemble et réalise, à la tête de son consort nommé L'Achéron, un premier enregistrement dédié à Anthony Holborne intitulé The Fruit of Love.

S'il appartient à la période extrêmement florissante que fut, pour l'Angleterre des arts, le règne d'Elizabeth Ière, si son contemporain John Dowland, en lui dédiant la chanson I saw my ladye weepe figurant dans son Second Booke of Songs (1600), pouvait le désigner comme « the most famous Anthony Holborne », la biographie de ce musicien est aujourd'hui particulièrement lacunaire. On ignore tout de sa formation, dont on peut juste déduire des indices disséminés dans ses écrits qu'elle fut soignée ; peut-être est-il le jeune homme qui s'inscrivit, en mai 1562, à l'université de Cambridge – il aurait alors été âgé d'environ 17 ans puisqu'on le suppose né vers 1545 –, et fut admis, en novembre 1565, à faire son droit au sein de l'Inner Temple de Londres ? Le nom semble concorder avec celui préservé par les registres, mais aucune preuve formelle n'est venue, à ce jour, étayer cette hypothèse. La première date qui soit certaine est celle de son mariage, le 14 juin 1584 à Westminster, avec Elizabeth Marten, dont il aura au moins quatre enfants entre 1586 et 1596. On retrouve trace de son activité de musicien dès le début des années 1580, puisqu'il compose une Walter Earle’s pavan dédiée à ce virginaliste mort en 1581, et The Countess of Pembroke’s Funerals probablement à l'occasion de la mort de cette dernière, en 1588, tandis qu'une lettre écrite à Anvers en 1594 atteste que sa réputation de joueur de luth, de bandore et de cistre avait largement franchi les frontières de l'Angleterre. Son legs le plus important demeure cependant ses deux recueils imprimés, The Cittharn Schoole et Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs..., Pavans Galliards Almains Anthony Holborne 1599publiés respectivement en 1597 et 1599 mais qui regroupent des pièces écrites sur une longue période, soit pour cordes pincées, soit pour consort. Entre les deux, en 1598, Holborne trouva le temps d'assurer une mission diplomatique aux Pays-Bas au profit de Sir Robert Cecil, l'influent ministre de la reine, auquel la femme du compositeur écrira à la fin de novembre 1602 pour lui faire part de ses inquiétudes concernant l'état de santé de son mari. Ses alarmes étaient justifiées puisque ce dernier rendit l'âme entre le 29 du même mois et le 1er décembre, des suites d'un refroidissement apparemment contracté lors d'une nouvelle ambassade.

Le recueil Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs..., qui fournit la matière de cette anthologie, se compose de 65 pièces, dont 53 pavanes et gaillardes formant généralement couple, et des allemandes. Nombre de ces morceaux portent un titre plus ou moins explicite, souvent évocateur : My Selfe est, bien sûr, un autoportrait, The Funerals renvoie, comme on l'a vu, à un événement précis, on voit assez bien ce que peuvent désigner Lullabie ou The Sighes, mais qu'est-ce qui peut bien se cacher, par exemple, derrière l'image de The Fruit of Love, The Choice ou The Honie-Suckle ? Dans le même ordre d'idées, on peut se poser la question de savoir si ces œuvres qui épousent la forme des danses de leur époque sans en porter le nom et se fondent sur des élaborations polyphoniques complexes étaient vraiment conçues pour être dansées ou pour être écoutées. Mystère. Ce qui est, en revanche, certain, c'est qu'elles offrent un reflet parfait de la société qui les a vues naître, par leur raffinement extrême et leur atmosphère volontiers rêveuse qui entrent naturellement en résonance avec la poésie – songez à la noblesse de Sir Philip Sidney ou aux extravagances de John Donne – ou la peinture de la même époque, comme en attestent, par exemple, les portraits qui nous sont parvenus et jouent avec subtilité sur les registres de la proximité et de la distance. Des pages comme The teares of the Muses ou The image of Melancholly ne nous parlent-elles pas merveilleusement de ce règne d'Elizabeth Ière, où la mélancolie, pas nécessairement envisagée sous son aspect sombre d'ailleurs, était cultivée comme une fleur rare ?

L'Achéron n'est évidemment pas le premier ensemble à s'aventurer sur ces terres et il doit même y affronter la concurrence d'une pointure, puisque Jordi Savall et Hespèrion XXI ont déjà puisé dans le recueil de 1599 pour constituer une magnifique anthologie intitulée The teares of the Muses, publiée en 2000 par Alia Vox, aux temps heureux où cet encore jeune label s'intéressait plus à la musique ancienne qu'aux anthologies métissées ou à vocation vaguement encyclopédique. On en sera peut-être surpris, mais les nouveaux venus tiennent tête à leurs glorieux aînés avec beaucoup de panache et livrent une vision tout à fait séduisante des compositions de Holborne. Dans les deux cas, c'est la formation en broken consort, incluant donc plusieurs familles d'instruments (ici violes, luths, bandore, cistre et claviers) qui a été retenue, L'Achéron Éric Larrayadieumais François Joubert-Caillet a cependant fait le choix, à mon avis judicieux, d'écarter les percussions adoptées par Savall, dont la plus-value dans ce type de répertoire me semble discutable. Parfaitement soudé et cohérent, L'Achéron déploie, au fil des pages de ce programme, des lignes souples et pourtant fermement articulées, souvent d'une très grande beauté dans l'expression d'un lyrisme à la fois prégnant et retenu tout à fait en phase avec l'esprit des œuvres. Les musiciens s'y entendent pour camper une atmosphère et n'hésitent pas à user, par exemple, de la lenteur dans une pièce comme The Funeralls qui apparaît sous leurs archets comme une méditation sur la mort quand Savall, de son côté, avait adopté l'optique plus descriptive d'une marche funèbre, les deux options étant, à mon avis, défendables et complémentaires. D'une manière générale, François Joubert-Caillet est plus « extrémiste » que son aîné pour ce qui est du choix des tempos, globalement plus lents dans les pièces introverties, à mon goût les plus abouties de cette anthologie, et plus rapides dans les extraverties qui, pour séduisantes qu'elles soient, manquent parfois d'un rien de tension pour convaincre complètement. Il n'en demeure pas moins qu'en termes d'intelligence du répertoire, de maîtrise instrumentale et de coloris, L'Achéron est à la hauteur des enjeux de ces pièces qui exigent de leurs interprètes autant de finesse, de poésie que de sens de la construction, autant de qualités que l'on retrouve dans son prometteur premier disque.

 

Je vous recommande donc de goûter à votre tour à ce Fruit of Love qui vous permettra de découvrir, si vous ne les connaissez pas encore, des musiques aussi intéressantes que belles, et si elles vous sont plus familières, de les envisager avec un regard renouvelé. Puisse ce premier essai de L'Achéron ne pas demeurer sans lendemain, car tout est loin d'avoir été dit et exploré dans le domaine du répertoire pour consort ; la distance prise aujourd'hui avec ce dernier par ceux qui, hier, furent certains de ses grands serviteurs, qu'il s'agisse d'Hespèrion XX/XXI ou du Ricercar Consort, laisse une absence qu'il ne faudrait pas laisser s'installer trop durablement.

 

Anthony Holborne The Fruit of Love L'Achéron François JouAnthony Holborne (c.1545-1602), The Fruit of Love, pièces tirées de Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs... (1599)

 

L'Achéron
François Joubert-Caillet, viole de gambe soprano & direction

 

1 CD [durée totale : 69'11"] Ricercar RIC 339. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.

 

Extraits proposés :

 

1. The Choice

 

2. Hermoza

 

3. Paradizo

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Page de garde de Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs... (1599), Londres, British Library

 

La photographie de L'Achéron est d'Éric Larrayadieu.

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21 avril 2014 1 21 /04 /avril /2014 08:21

 

Alessandro Magnasco L'érection de la croix

Alessandro Magnasco (Gênes, 1667-1749),
L'érection de la croix
, sans date

Huile sur toile, 56,5 x 36, 5 cm, Vienne, Akademie der bildenden Künste

 

Il est presque devenu traditionnel, pour les labels discographiques, de proposer, aux alentours de Pâques, des enregistrements en rapport avec cette fête qui, quelles que soient par ailleurs les croyances ou les pratiques de chacun, marque un moment tout à fait particulier du calendrier liturgique et un temps fort pour la civilisation occidentale. Ceux d'entre vous qui suivent l'actualité de CPO auront ainsi noté que la maison allemande donne à découvrir, comme à son habitude, une Passion rare ou inédite, tandis que Harmonia Mundi mise, de son côté, sur un très beau disque Poulenc, après nous avoir offert, en 2013, les Sept dernières paroles du Christ fraîchement attribuées à Pergolèse et dirigées par René Jacobs (je vous renvoie, à ce propos, à la chronique de L'Audience du temps). Néanmoins, la parution qui retient le plus l'attention cette année est sans nul doute la Brockes-Passion de Reinhard Keiser ressuscitée, pour les micros de l'excellent label Ramée, par deux ensembles que les familiers de ce blog connaissent bien, Les Muffatti et Vox Luminis.

Né dans une riche famille commerçante de Hambourg en 1680, Barthold Heinrich Brockes reçut une éducation soignée qui le conduisit à faire son droit à l'université de Halle entre 1700 et 1702 tout en cultivant une profonde attirance pour les arts, en particulier la musique, qu'il ne pratiquait pas mais qu'il soutint en organisant des concerts dès sa période estudiantine. Après avoir effectué un Grand Tour qui le conduisit, en 1703 et 1704, en Italie, en Suisse, en France et aux Pays-Bas, il revint s'installer dans sa ville natale où son existence fut celle d'un bourgeois prospère doublé d'un collectionneur d'art qui s'adonnait à la littérature et réunissait chez lui un salon brillant où il y avait musique une fois par semaine. Élu membre du Sénat de Hambourg en 1720, il s'intéressa de près à la réforme de la langue allemande tout en veillant, jusqu'à sa mort en 1747, à la bonne marche des affaires de la ville. De toutes ses œuvres, celle qui assure la postérité de son nom est Der für die Sünden der Welt gemarterte und sterbende Jesus (Jésus souffrant et mourant pour les péchés du monde), un livret de Passion publié en 1712 qui s'est immédiatement imposé, au départ largement grâce aux relations qu'entretenait l'auteur avec eux, auprès des compositeurs de la cité hanséatique, puis au-delà. De Händel et Telemann, tous deux en 1716 (il faut connaître l'enregistrement de la Brockes-Passion du second par René Jacobs) à Stölzel en 1725 (il en existe une version tout à fait recommandable dirigée par Ludger Rémy chez CPO), Johann Georg Wolfgang-Balthasar Denner Barthold Heinrich Bren passant par Mattheson (1718) et Fasch (1723), pour ne citer que les noms les plus célèbres, on conserve, en tout, une bonne dizaine de mises en musique d'un texte qui a parfois été jugé sévèrement, à cause d'un style que l'on a parfois trouvé grandiloquent et de l'usage d'images trop brutales. Il y a fort à parier que ce dernier point ne dérangea pas outre mesure Reinhard Keiser (1674-1739), premier musicien à faire son miel de ce livret à l'occasion de la Semaine sainte de 1712. Cet élève de Johann Schelle et, probablement, de Johann Kuhnau à Leipzig s'était, en effet, imposé comme la figure de proue du Theater am Gänsemarkt, l'opéra de Hambourg, et il disposait donc de tous les atouts pour prendre la juste mesure de ces vers qui usent d'un très large arsenal rhétorique dans le but d'émouvoir le fidèle, de le faire participer affectivement aux souffrances du Christ et, dans un élan proprement compassionnel semé d'attendrissements, d'effrois, de sang et de larmes, de le conduire à la repentance. Ce qui frappe, lorsque l'on compare la réalisation de Keiser avec celle de Telemann, c'est la propension qu'a le premier à ménager, à côté de moments spectaculaires que le second privilégia assez nettement, beaucoup d'instants de tendresse – on peut parfois presque parler de bercement – qui renforcent l'atmosphère de recueillement, de ferveur empreinte de simplicité, d'humble consolation qui ne sont parfois pas sans rappeler le climat de certaines œuvres de Bach – qui, soit dit en passant, connaissait la production de Keiser dont il recopia et fit exécuter la Passion selon Saint Marc de 1717 – en particulier de la Passion selon Saint Matthieu. L'exigence des parties vocales, en particulier celle de la Fille de Sion, très développée et soignée, montrent que le compositeur hambourgeois les destinait à des chanteurs aguerris, très probablement ceux de l'opéra, avec lesquels il avait l'habitude de travailler, mais notons cependant que si la virtuosité est présente, elle ne l'est jamais de façon ostentatoire, sans doute afin de ne pas sembler trop en décalage par rapport au caractère religieux du sujet.

Réunis sous la houlette toujours attentive et précise du perfectionniste Peter Van Heyghen, Les Muffatti et Vox Luminis livrent de cette Brockes-Passion une interprétation de grande classe. Les Muffatti © Stéphane PuopoloOn pouvait nourrir quelques craintes en voyant que, pour mener à bien ce projet, l'équipe de chanteurs habituellement réunie autour de Lionel Meunier, qui se signale par sa notable stabilité, se voyait élargie à des membres qui ne travaillent pas de coutume avec elle ; on est rapidement rassuré en voyant qu'il n'en résulte aucun déséquilibre, aucune perte d'homogénéité et qu'au contraire, tous se fondent en un ensemble cohérent. Chaque soliste se montre ici parfaitement à la hauteur de son rôle, qu'il s'agisse de l'Évangéliste à l'éloquence parfaitement maîtrisée de Jan Van Elsacker, du Jésus d'une humanité tangible et émouvante de Peter Kooij, dont on sent à quel point est grande sa familiarité avec ce répertoire, mais aussi des personnages qui ne font qu'une brève apparition, tel le Pierre parfaitement campé, tant dans son abattement que dans son espoir retrouvé, par un Fernando Guimarães à la voix solaire et conquérante, l'Âme croyante à laquelle Caroline Weynants donne les ailes qui lui sont nécessaires pour nous toucher, ou les interventions pleines d'énergie et de raffinement d'Hugo Oliveira dans différents personnages. Je mentionne volontairement à part la prestation de Zsuzsi Tóth, une soprano qui participe à de nombreux projets sans que son nom soit encore très connu du grand public. Elle est une Fille de Sion absolument superbe, non seulement grâce à un timbre lumineux, à la fois aérien et charnel, mais aussi à ses capacités à apporter à chacune de ses entrées la variété et le caractère qui conviennent. Comme on l'imagine, toute la partie chorale est impeccable et confirme, s'il en était besoin, les profondes affinités de Vox Luminis avec le répertoire germanique qu'il « sent » comme bien peu d'autres aujourd'hui. La mise en place de la polyphonie est irréprochable, le son d'ensemble conjugue à merveille densité et fluidité, l'engagement est permanent, autant de qualités qui laissent l'auditeur comblé. Les Muffatti ne sont pas en reste, tout au contraire, et l'orchestre bruxellois effectue un sans-faute qui confirme qu'il est une formation en progrès constants. Vox Luminis 2012Aussi réactifs qu'attentifs, les musiciens font assaut de cohésion et de dynamisme pour offrir une assisse extrêmement solide aux voix, sans se contenter pour autant de n'être qu'un écrin, aussi séduisant soit-il. Ils sont partie prenante de l'action qui est en train de se dérouler, tant par le sens de la relance et de la caractérisation – les numéros sont majoritairement brefs et il faut savoir se montrer efficace en permanence pour installer une atmosphère en quelques mesures – dont ils font preuve que par le souffle et les couleurs chatoyantes qu'ils impriment à la partition. Signalons enfin que cette lecture est très bien mise en valeur par une prise de son chaleureuse qui offre à la musique une perspective sonore d'une ampleur contrôlée tout à fait crédible.

 

Très soudés et ayant su, semble-t-il, trouver assez naturellement leurs marques pour faire cause commune – un processus qui n'est jamais évident –, Vox Luminis et Les Muffatti offrent donc à la Brockes-Passion de Keiser une résurrection parfaitement réussie que je vous conseille de découvrir sans tarder. On souhaite maintenant vivement que les deux ensembles continueront à se retrouver, dans un avenir pas trop lointain, autour de nouveaux projets aussi excitants que celui-ci. Il y a sans doute encore bien des partitions qui attendent que d'aussi talentueux musiciens se penchent sur elles pour nous révéler leurs beautés.

 

Reinhard Keiser Brockes-Passion Les Muffatti Vox LuminisReinhard Keiser (1674-1739), Brockes-Passion

 

Zsuzsi Tóth, soprano (La Fille de Sion)
Jan Van Elsacker, ténor (L'Évangéliste)
Peter Kooij, basse (Jésus)
Vox Luminis
Les Muffatti
Peter Van Heyghen, direction

 

incontournable passee des arts2 CD [durée : 62'04" & 58'29"] Ramée 1303. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sur le site de l'éditeur (sans frais de port) en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. 2a. Recitativo (L'Évangéliste) : « Als Jesus nun zu Tische saße »
2b. Accompagnato (Jésus) : « Dieß ist mein Leib »
3. Aria (La Fille de Sion) : « Der Gott, dem alle Himmels Kreise »
4a. Recitativo (L'Évangéliste) : « Und bald hernach nahm er den Kelch »
4b. Accompagnato (Jésus) : « Diß ist mein Blut im neuen Testament »
5. Aria (La Fille de Sion) : « Gott selbst, der Brunnquell alles Guten »
6. Chor (L'Église chrétienne) : « Ach wie hungert mein Gemüthe »

 

2. 31a. Recitativo (L'Évangéliste) : « Drauff krähete der Hahn »
31b. Accompagnato Soliloquio (Pierre) : « Welch ungeheurer Schmerz »
32. Aria (Pierre) : « Heul du Schaum der Menschen Kinder »
33. Recitativo (Pierre) : « Doch wie will ich verzweiflend untergehn ? »
34. Aria (Pierre) : « Schau, ich fall in strenger Buße »
35. Choral (L'Église chrétienne) : « Ach Gott und Herr ! »
36a. Recitativo (L'Évangéliste, Caïphe, Jésus) : « Wie Jesus nun zu allem was geschah »
36b. Chorus : « Er hat den Todt verdient »
37. Aria (Basse) : « Erweg, ergrimmte Natternbrut »
Fernando Guimarães, ténor (Pierre), Lionel Meunier, basse (Caïphe), Hugo Oliveira, basse (n°37)

 

3. 53. Recitativo (L'Évangéliste) : « Drauf zerreten dei Kriegsknecht hinein »
54. Aria Soliloquio (L'Âme croyante) : « Ich seh an einen Stein gebunden »
55. Recitativo (L'Âme croyante) : « Drum Seele schau »
56. Aria (L'Âme croyante) : « Dem Himmel gleicht »
57. Recitativo (L'Évangéliste) : « Wie nun das Blut »
58. Aria Soliloquio (La Fille de Sion) : « Die Rosen crönen »
Caroline Weynants, soprano (L'Âme croyante)

 

Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :

 

Illustrations complémentaires :

 

Johann Georg Wolfgang (Augsbourg, 1662-Berlin, 1744) d'après Balthasar Denner (Hambourg, 1685-Rostock, 1749), Portrait de Barthold Heinrich Brockes, après 1720. Eau-forte sur papier, 19,2 x 16,2 cm, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek

 

La photographie des Muffatti est de Stéphane Puopolo — stephane.puopolo@yucom.be

 

La photographie de Vox Luminis est de Orsolya Markolt.

 

Merci à Frédéric Degroote de Sprezzatura E Glosas pour son aide technique.

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15 avril 2014 2 15 /04 /avril /2014 07:31

 

Michelangelo Merisi Il Caravaggio Ecce Homo

Michelangelo Merisi, dit Il Caravaggio (Milan, 1573-Porto Ercole, 1610),
Ecce Homo
, c.1605

Huile sur toile, 103 x 128 cm, Gênes, Palazzo Bianco
[image en très haute définition ici]

 

Au tout début de cette année 2014, rendant compte de l'enregistrement des Responsoria de Carlo Gesualdo dirigé par Philippe Herreweghe, je mentionnais, dans ma conclusion, que La Compagnia del Madrigale, dont les deux premiers disques pour Glossa ont été accueillis par des louanges unanimes, envisageait à son tour de proposer, toujours pour cet éditeur, sa vision de ce recueil si particulier. Je n'imaginais pas que le projet était aussi avancé et que, quelques semaines après avoir écrit ces lignes, j'en tiendrais le résultat dans mes mains.

Le soin que déploya Gesualdo pour faire éditer ses Répons de la semaine sainte dont tout porte à croire qu'ils étaient, du fait même de la singularité de leur écriture, destinés à n'être donnés que dans un cadre strictement privé, témoigne du prix qu'ils revêtaient à ses yeux. Sans prêter foi plus que de raison aux approches plus ou moins vaguement psychanalytiques du personnage et de sa biographie agitée de prince assassin, on peut néanmoins conjecturer que l'idée de faute pouvait trouver en lui un écho plus fort que chez certains autres, tout en ne perdant pas de vue que l'esprit de mortification et de repentir était, en ce début de XVIIe siècle, autrement plus aigu qu'aujourd'hui. On ne peut donc complètement exclure que ce recueil aux accents très personnels qui présente, au soir d'une vie, le plus vaste tour d'horizon possible des capacités créatrices de son auteur, tant dans le domaine de la polyphonie que dans celui du madrigal, soit une manière d'ex-voto aux fonctions expiatoires mais aussi commémoratives, la mise en musique de textes en latin lui conférant un caractère plus élevé que celles des poésies en langue vulgaire, aussi raffinées soient-elles, qui forment le terreau des madrigaux. Sisto Badalocchio La Mise au tombeauC'est cependant le langage de ces derniers avec ses chromatismes vertigineux, ses dissonances, ses retards, ses surprises mélodiques et harmoniques, qui féconde l'ensemble des Responsoria, et la lecture qu'en donne La Compagnia del Madrigale ne laisse aucun doute à ce sujet, d'autant que les musiciens ont très habilement glissé, entre chaque Nocturne, un madrigal spirituel emprunté soit à Gesualdo (Sparge la morte, seule contribution du compositeur au genre), soit à certains de ses talentueux contemporains, comme Giovanni de Macque, Luca Marenzio et surtout Luzzasco Luzzaschi, le seul modèle que le prince de Venosa se reconnaissait et dont la muse volontiers inquiète et sombre trouve ici un terrain idéal pour s'exprimer. Il me semble que le musicien, en liant aussi fortement ses Répons à l'univers profane des madrigaux, tout en ne remettant jamais en cause leur caractère sacré, symbolisé tant par l'usage du latin que de la polyphonie héritée de la Renaissance, suit exactement le même chemin que Le Caravage, qui n'hésitait pas à intégrer des éléments du quotidien parfois le plus trivial dans ses scènes religieuses et, ce faisant, les ennoblissait sans rien retrancher à leur caractère dérangeant comme, par exemple, dans la Mort de la Vierge (Paris, Musée du Louvre) ou la Madonne des pèlerins (Rome, Basilique Saint-Augustin). De la même façon que, dans ce dernier tableau, Le Caravage bouscula les codes de son époque en montrant, au premier plan, les pieds sales des paysans en prière, Gesualdo transfigure, en les faisant traverser par le souffle du sacré ressenti jusque dans la douleur la plus intime, l'élan des passions parfois les plus violentes qui font chavirer le cœur des Hommes.

Il est, bien entendu, tentant de comparer la lecture de La Compagnia del Madrigale avec celle de Philippe Herreweghe, tant la proximité de leur date de parution semble inciter à pareille confrontation. De fait, l'optique que chacune d'elle adopte est tellement différente qu'elle rend l'exercice malaisé, à moins d'émettre des avis à l'emporte-pièce. Le chef belge lit, en effet, les Responsoria comme une œuvre dans laquelle la polyphonie la plus raffinée prime sur l'expressivité marquée héritée du madrigal qu'il ne nie néanmoins pas, tandis que les Italiens adoptent une attitude presque rigoureusement inverse, en revendiquant une approche vigoureusement madrigalesque, ce qui ne veut pas dire qu'ils négligent pour autant le rendu polyphonique, ce que démontrent avec brio leur Benedictus, leur Miserere ainsi que le psaume et le motet donnés en complément. La Compagnia del MadrigaleMais là où les nouveaux venus vont, à mon sens, plus loin que leur illustre aîné dans la compréhension et la restitution des œuvres, c'est qu'ils parviennent justement, en faisant en sorte que ces deux univers dialoguent et se nourrissent mutuellement, à une lecture plus contrastée, plus riche, plus habitée, qui exalte comme nulle autre les accents puissamment doloristes de ce recueil. Herreweghe donnait une magistrale leçon d'architecture, La Compagnia del Madrigale fait une éblouissante démonstration de peinture, usant de façon assez époustouflante de moyens vocaux il est vrai assez superlatifs – combien d'ensembles explorant le même répertoire peuvent-ils aujourd'hui se targuer d'être composés de membres possédant à la fois une parfaite connaissance de ses exigences tout en offrant autant de sensualité, de fluidité, de netteté dans les attaques et dans la conduite du chant ? – pour faire un sort à chaque mot et le faire apparaître dans tout son éclat, qu'il soit lumineux ou terrible. Les interprètes ne se limitent jamais à une attitude contemplative vis-à-vis du texte, ils le portent et l'incarnent avec une ardeur qui n'a rien à voir avec une quelconque forme d'agitation vaine ou grimaçante ; la conviction qu'ils mettent à susciter les images qu'il contient, comme s'ils nous contaient l'histoire qui est en train de se dérouler durant ces trois Nocturnes, nous emporte et l'on sort durablement ému, voire peut-être un peu plus, de ces quelques trois heures de musique que l'on peut regarder et ressentir comme un véritable cheminement intérieur, d'une intensité troublante.

 

À la lumière de ces qualités mais sans renier, pour autant, ce que j'ai pu dire de celle de Philippe Herreweghe, il va sans dire que je vous recommande tout particulièrement cette nouvelle version des Responsoria de Gesualdo qui a de fortes chances, à mon avis, de trôner en tête de la discographie pour quelques longues années, car je ne vois personne, aujourd'hui, qui puisse rivaliser avec ce que propose la Compagnia del Madrigale. On apprend, sur le site de l'ensemble, que son prochain enregistrement est prévu à la fin du mois de septembre 2014 ; est-il besoin de préciser que l'on brûle d'en savoir plus à son sujet et de le découvrir ?

 

Carlo Gesualdo Responsoria La Compagnia del MadrigaleCarlo Gesualdo (1566-1613), Responsoria et alia ad Officium Hebdomadæ Sanctæ spectantia, Sparge la morte, madrigal spirituel, In te Domine speravi, psaume, Ne reminiscaris Domine, motet, madrigaux spirituels de Giovanni de Macque (c.1548/50-1614), Luzzasco Luzzaschi (c.1545-1607), Luca Marenzio (c.1553/54-1599), Pietro Vinci (c.1525-après 1584)

 

La Compagnia del Madrigale

 

incontournable passee des arts3 CD [58'30", 64'20" & 63'20"] Glossa GCD 922803. Incontournable de Passée des arts. Ce triple disque peut être acheté sur le site de l'éditeur (sans frais de port) en suivant ce lien.

 

Extraits proposés :

 

1. Tristis est anima mea (Jeudi saint, Ier Nocturne)

 

2. Tenebræ factæ sunt (Vendredi saint, IIe Nocturne)

 

3. Æstimatus sum (Samedi saint, IIIe Nocturne)

 

Illustrations complémentaires :

 

Sisto Badalocchio (Parme, 1585-c.1647), La mise au tombeau, c.1607. Huile sur toile, 47,6 x 38,4 cm, Londres, Dulwich Picture Gallery [image en très haute définition ici]

 

La photographie de La Compagnia del Madrigale est de Simone Bartoli.

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