Un parcours à travers les expressions artistiques, du Moyen-Âge à la première moitié du XXe siècle.
Cher Sébastien,
Voici encore une de vos magies. Quelques livres, une statuette, un globe de verre, une chandelle. Trois fois rien. C'est pourtant tout un univers que vous dévoilez ici, nimbé dans ce clair-obscur dont vous vous plaisez à envelopper nombre de vos compositions. Fallait-il que vous chérissiez l'ombre pour en faire un des vecteurs de l’expression de la fragilité et des écartèlements de nos existences.
Avez-vous lu, cher Sébastien, ces Pieux désirs de l'âme du père jésuite Hermann Hugo que vous placez en avant de la scène en les opposant au Guitariste masqué du recueil des Gobbi de Jacques Callot, dont l'ironie bouffonne et grimaçante les surplombe, tandis que, sur le côté, un guerrier de bronze s'apprête à dégainer son épée ? Le triangle que vous matérialisez entre ces trois éléments dit à merveille nos aspirations, nos doutes, nos luttes, tandis que la chandelle et le globe de verre nous rappellent le caractère instable et transitoire de toute chose. Vanité ? Bien sûr, tout comme cette Corbeille de verres qui, de façon aussi inattendue que réjouissante, a tant ému ceux qui, au cours d’un bel automne parisien, en ont découvert la magie menacée ; une Vanité, cette fois encore, sans crâne, sans bougie au bord de l'extinction, sans sablier.
Vous êtes décidément un maître de l'allusion. Chacun de vos tableaux, en dehors du plaisir esthétique qu'il procure, se mue invariablement en objet de méditation, en petit exercice spirituel à pratiquer là où l'intimité impose le silence. Lorsque votre pinceau s'en empare, le monde muet des objets se met à nous regarder, comme nous dévisage la statuette armée que l'on dirait presque animée, et dont il est difficile de déterminer si elle nous invite ou nous menace. Nous enjoint-elle de lutter, comme elle semble s'apprêter à le faire, pour ne pas nous laisser entraîner par nos contradictions spirituelles, symbolisées par l'ouvrage de piété et le recueil d'estampes ouverts comme deux des routes qui s'offrent à nous, ainsi que le suggère sa position isolée, qui s'oppose au groupe formé par les autres objets ? Avez-vous également voulu distinguer, par cette séparation, ce qui est voué à une rapide dégradation de la pérennité du bronze ? Un peu de tout ceci, sans doute. Mais il ne faut pas oublier que votre guerrier n'est qu'une figurine, un petit objet précieux et dérisoire dont les pieds sont solidement fixés à un socle qui emprisonne ses mouvements. C'est vainement qu'il tente de tirer l'épée, son sursaut est aussi illusoire qu'inutile. « Ne perdez pas un temps qui vous est compté à lutter contre l'inéluctable », semblez-vous nous dire, « songez plutôt au salut de votre âme, car, tôt ou tard, cette bougie qui, pour l’heure, vous éclaire et vous réchauffe finira par s'éteindre. » Et si ce guerrier nu à l'expression ambiguë qui nous toise n'était finalement qu'un avant-courrier de la mort qui rode et menace l'équilibre toujours précaire, suggéré par la position du carnet d'estampes comme du globe de verre, de nos dérisoires existences ?
Mais assez de mots maladroits. Mieux vaut laisser le Von der Ewigkeit du lübeckois Nicolaus Hasse, votre presque contemporain, tisser avec votre œuvre un plus juste dialogue. « Ô Éternité ! combien dures-tu ? Ô Éternité ! Le temps des hommes pourtant se hâte vers toi, comme le cheval fougueux courant au combat... » N’est-ce pas une part de ce que vous souhaitiez nous dire, cher Sébastien ?
Nicolaus Hasse (c.1617-1672) : Von der Ewigkeit
Carlos Mena, contre-ténor
Ricercar Consort
Philippe Pierlot, viole de gambe & direction
De Æternitate. Œuvres de Johann Christoph Bach, Christoph Bernhard, Christian Geist, Johann Michael Bach, Johann Adam Reincken, Nicolaus Hasse, Johann Fischer, Christian Spahn, Melchior Hoffmann.
1 CD Mirare MIR 9911. Ce disque peut être acheté en cliquant ici.