Un parcours à travers les expressions artistiques, du Moyen-Âge à la première moitié du XXe siècle.
Attention, révélation. Presque vingt ans après le choc suscité par deux enregistrements consacrés aux symphonies de Joseph Martin Kraus (1756-1792), voici que Werner Ehrhardt (photo ci-dessous), membre fondateur du Concerto Köln, puis, à partir de 2004, premier violon et directeur musical de son propre ensemble baptisé L’arte del mondo, ressuscite un compositeur qui n’existait plus que dans les dictionnaires musicaux, et encore, pas tous.
Ernst Eichner, fils d’un musicien de la cour d’Arolsen, ville de l’actuel Land de Hesse dans laquelle il était né en 1740, obtint le poste de premier violon dans l’orchestre du duc Christian IV von Zweibrücken-Birkenfeld au début des années 1760. Son employeur, qui entretenait d’excellentes relations avec la cour de France, se rendait très souvent à Paris où il possédait une résidence, l’Hôtel des Deux-Ponts. C’est ainsi qu’en 1764 Eichner se tailla un beau succès au Concert Spirituel, où sa virtuosité au basson fut unanimement saluée. Christian Cannabich (1731-1798) était lui aussi de ce voyage, Christian IV invitant souvent des musiciens de l’orchestre de la cour de Mannheim, dont on sait quelle influence déterminante eurent leurs innovations sur la musique de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Jusqu’en novembre 1772, Eichner fut donc au service d’un duc qui semblait s’y entendre en musique, avant de tenter l’aventure londonienne à l’invitation de Johann Christian Bach, puis, en août 1773, de rejoindre la cour du prince héritier Friedrich Wilhelm à Berlin en qualité de bassoniste. C’est dans cette ville qu’Eichner mourut, jeune encore et déjà obscur, en 1777.
Les symphonies révélées par ce disque de bout en bout passionnant juxtaposent nombre d’éléments stylistiques en vogue à partir des années 1750, qu’il s’agisse, entre autres, du brillant de l’École de Mannheim, des élans tempétueux du Sturm und Drang (notamment dans les deux œuvres en mineur), ou de pratiques instrumentales plus spécifiquement françaises, comme le fait de débuter une symphonie par un premier coup d’archet à l’unisson ou de confier au basson un rôle affirmé de soutien structurel. Une sorte de résumé, si l’on veut, des différentes manières auxquelles le compositeur a pu se frotter durant la part la plus active de sa carrière. Mais loin de se cantonner à une imitation servile, il est évident qu’Eichner a pris le temps de les digérer pour se forger un style propre et explorer une vaste palette d’émotions allant des déchaînements passionnels traversés de lueurs tragiques (Allegro initial de la très gluckiste Symphonie en ré mineur, opus 7 n°4) à un humour distancié un brin goguenard (Andante scherzando de la Symphonie en sol mineur, opus 6 n°2), le tout teinté parfois de réminiscences populaires, comme dans l’Allegro ma non presto final de la Symphonie en fa majeur (opus 11 n°4), habile mélange de ces chasses musicales dont le XVIIIe siècle était friand et d’échos d’une danse qu’on imagine volontiers paysanne. Le langage d’Eichner s’éloigne, dans les œuvres proposées dans cet enregistrement, du baroque tardif pour regarder peu à peu vers le classicisme, traversé néanmoins d’éclairs nettement préromantiques, matérialisés par une forte dramatisation du discours grâce à une écriture faisant la part belle aux contrastes, qu’il s’agisse, entre autres, d’écarts dynamiques marqués ou d’alternances forte/piano appuyées, procédés chers à la mouvance Sturm und Drang. Il y aurait d’ailleurs sans doute un certain nombre de parallèles intéressants à dresser entre l’esprit qui règne dans ces quatre symphonies d’Eichner et celles que Joseph Haydn composait à la même période, dans les années 1770-75.
Pour faire revivre ces partitions pleines de verve impétueuse, il fallait un ensemble dont la légèreté permettrait un maximum de vivacité et de clarté d’articulation sans rien sacrifier, toutefois, des couleurs voulues par le compositeur. L’arte del mondo se montre un serviteur aussi attentif qu’inspiré de cette musique, dont il restitue les arrêtes vives et les zones d’ombre avec un égal bonheur. Ma seule légère réserve portera sur une prise de son un peu sèche qui accentue le caractère légèrement astringent des sonorités, ce que certaines oreilles accoutumées à plus de moelleux pourront trouver désagréable. Que cette vétille ne vous détourne néanmoins pas de réserver le meilleur des accueils à cette remarquable parution qui permet de découvrir un symphoniste important du XVIIIe siècle dans les meilleures conditions possibles. Il reste maintenant à espérer que les 26 autres symphonies d’Eichner quitteront bientôt les tiroirs de l’oubli.
Ernst EICHNER (1740-1777), Symphonies.
Symphonies en ré mineur, opus 7 n°4, en fa majeur, opus 11 n°4, en sol mineur, opus 6 n°2, en ut majeur, opus 5 n°1.
L’arte del mondo.
Werner Ehrhardt, premier violon & direction.
1 CD [durée : 59’05”] Capriccio 5021 (distribution Abeille musique). Ce disque peut être acheté en cliquant ici.
Extraits proposés :
Symphonie en ré mineur, opus 7 n°4 :
[I] Allegro
Symphonie en sol mineur, opus 6 n°2 :
[II] Andante scherzando poco allegro
Symphonie en fa majeur, opus 11 n°4 :
[III] Allegro ma non presto