Un parcours à travers les expressions artistiques, du Moyen-Âge à la première moitié du XXe siècle.
Sebastian (Sébastien) Stoskopff (Strasbourg, 1597-Idstein, 1657),
Corbeille de verres, 1644.
Huile sur toile, 52 x 63 cm, Strasbourg, Musée de l'Œuvre Notre-Dame.
Il aura fallu tout l'acharnement d'un homme, Hans Haug (1890-1965), ancien directeur des musées de Strasbourg, pour que la figure de Sebastian Stoskopff émerge lentement de l'oubli à partir des années 1930. Signe indubitable de l'évolution du goût, même si l'artiste n'a pas encore acquis, à mon sens, toute la place qui devrait être la sienne dans la peinture du XVIIe siècle, le tableau que je vous présente aujourd'hui est un de ceux qui a recueilli le plus de louanges lors de l'exposition consacrée aux « peintres de la réalité » présentée au Musée de l'Orangerie du 22 novembre 2006 au 5 mars 2007.
Après un voyage en Italie dont la seule certitude est un passage attesté à Venise en 1629, Stoskopff s'établit de nouveau à Paris pour une dizaine d'années, durant laquelle il effectue, en 1633, un séjour à Troyes au service du baron Guichard du Vouldy. Sa longue présence dans la capitale lui permet de côtoyer ses contemporains, Lubin Baugin (c.1610-1663), Louise Moillon (1610-1696) ou Jacques Linard (1597-1645), dont les réalisations, en dépit de différences notables de facture, parlent le même langage que les siennes. Sans doute contraint par les évolutions du goût d'aller chercher fortune ailleurs, Stoskopff regagne Strasbourg autour de 1641, date à laquelle sa présence est documentée dans la cité alsacienne. Il s'y marie en 1646 avec Anna Maria Riedinger, fille d'un orfèvre, et le couple a une petite fille en 1647. La quinzaine d'années qu'il passera dans sa ville natale sera souvent houleuse mais très productive ; la renommée de l'artiste, pourtant en butte avec la puissante corporation des peintres, devient d'ailleurs telle que son principal commanditaire, le comte Johannes von Nassau-Idstein, finit par le convaincre de s'installer sur ses terres, à Idstein, à une vingtaine de kilomètres au nord de Wiesbaden. Il y arrive au début de l'année 1656, mais sa période d'activité y sera de très courte durée. Mort officiellement après s'être « saoulé à mort avec de l'eau-de-vie », mais, très probablement, ainsi qu'on l'apprendra vingt ans plus tard à l'occasion d'un procès en sorcellerie, assassiné par un aubergiste, Sebastian Stoskopff est, en effet, enterré à Idstein, presque à la sauvette, au matin du 11 février 1657.
Au fur et à mesure que son œuvre progresse, il y a chez Stoskopff une jouissance de plus en plus évidente vis-à-vis de la matière picturale, qui se ressent particulièrement dans sa façon de traiter le verre, matière à laquelle il semble avoir été particulièrement sensible, puisqu'il en fait le sujet principal de quelques-unes de ses toiles tardives, en association, parfois, avec d'autres objets. Dans cette Corbeille de verres conservée au Musée de l'Œuvre Notre-Dame de Strasbourg, la table et la corbeille d'osier qui contient les verres, cette dernière traitée d'une façon qui rappelle que Stoskopff a reçu d'un graveur les premières bases de son métier, sont envisagées comme simples éléments de décor et rendues avec une sobriété propre à ne pas détourner l'attention de l'essentiel, les verres qui monopolisent toute l'attention et la dextérité du peintre. Il n'en présente d'ailleurs pas un service uniforme, mais une sorte de petite collection où chaque exemplaire semble rivaliser de raffinement. Il en a, en outre, tout particulièrement soigné la disposition afin de saisir les infinies variations de la lumière qui s'y reflètent et les traversent, ce qu'il rend, tout comme les plus infimes détails des objets eux-mêmes, avec une éblouissante maîtrise, poussant même la virtuosité à ne suggérer la réalité physique de certains verres que par les effets lumineux qui irisent leur matière.
Mais cette perfection technique n'est pas le seul propos de l'œuvre. Si l'on porte le regard au-delà de sa beauté formelle, un tout autre message, fort clair pour les contemporains, s'impose à l'esprit. Stoskopff a, en effet, représenté, au premier plan, les fragments d'un verre brisé, détail qui entraîne immédiatement le spectateur vers une réflexion à portée nettement morale. Dans l'esprit des poèmes écrits par les auteurs allemands contemporains de l'activité du peintre, au nombre desquels émerge la grande figure d'Andreas Gryphius (1616-1664), le verre brisé symbolise la fugacité et la fragilité non seulement de la beauté mais surtout de la vie, ce magnifique ouvrage qu'un choc suffit à fracasser : « Devant la mort / Ici à rien ne sert la force : tu es verre. » La sonnette de table parle le même langage de l'inéluctable, non par sa fonction, mais par son tintement qui, allégoriquement, fait songer à celui des instruments qui marquent la fuite du temps, les horloges qui ponctuent les jours, les cloches qui scandent les étapes essentielles de la vie, carillons des naissances et des mariages, glas des enterrements.
Bien au-delà de la simple représentation d'un quotidien magnifié par une sidérante virtuosité picturale, Stoskopff, sans user du vocabulaire coutumier d'un genre où fleurissent crânes, bougies gagnées par l'extinction ou sabliers que lui-même n'hésite pas à utiliser ailleurs, nous rappelle ici le caractère transitoire de toute chose, livrant avec cette Corbeille de verres une Vanité d'une absolue transparence.
Heinrich Albert (1604-1651), Letze Rede einer vormals stoltzen und sterbenden Jungfer, Lied sur un texte de Simon Dach (1605-1659).
Annette Dasch, soprano.
Membres de l'Akademie für Alte Musik Berlin.
Deutsche Barocklieder. 1 CD Harmonia Mundi HMN 911835. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Un autre billet consacré à Sebastian Stoskopff est disponible en suivant ce lien.