25 janvier 2012
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Nicolas Poussin (Villers, près des Andelys, 1594-Rome, 1665),
Vénus et Mercure, c.1626-27.
Huile sur toile, 78 x 85 cm, Londres, Dulwich Picture Gallery.
Découvert à l’occasion d’un splendide disque de musique française du XVIIe siècle, Le Concert des Violes (Ricercar, 2009), l’Ensemble Mare Nostrum nous revient aujourd’hui, chez le même éditeur, avec un nouveau projet tout aussi passionnant que son prédécesseur. Avec la complicité, pour les pièces vocales, de Vox Luminis, bien connu maintenant des fidèles lecteurs de Passée des arts, les musiciens réunis sous la direction d’Andrea De Carlo nous conduisent dans la Rome des années 1630, à la rencontre de l’univers d’un grand mécène, le cardinal Barberini. Lorsque l’on pense à la musique italienne du XVIIe siècle, on est plus spontanément enclin à fixer son attention sur l’appétence grandissante pour le violon et le répertoire spécifique écrit pour lui que sur le goût pour les violes, plus volontiers associées à l’Angleterre, à la France ou à l’Allemagne. Il faut cependant garder à l’esprit que les instruments de cette famille, iconographiquement documentés dans la région de Valence, en Espagne, dès le dernier quart du XVe siècle, trouvèrent en Italie un terrain de développement privilégié à la faveur de l’élection, en 1492, de l’Espagnol Rodrigo Borgia (1431-1503) qui devint pape sous le nom d’Alexandre VI, emportant avec lui les musiciens de sa chapelle. On sait, grâce à la dédicace des Madrigali a cinque voci de Domenico Mazzocchi (1592-1665), publiés à Rome en 1638 et dont deux sont proposés dans ce disque, que le cardinal Francesco Barberini (1597-1679), issu d’une famille dont son oncle Maffeo allait illustrer la puissance en occupant, de 1623 à 1644, le trône de Saint Pierre sous le nom d’Urbain VIII, entretenait un ensemble de violes et que le directeur de ce dernier n’était autre que le frère de Domenico, Virgilio. Neveu du pape, le cardinal se devait de donner le ton en matière d’arts ; il fut ainsi, et entre autres, le commanditaire de Nicolas Poussin qui peignit pour lui La Mort de Germanicus en 1627 et de Stefano Landi (1587-1639) qui composa à sa demande son fameux dramma musicale, Il Sant’Alessio, en 1631. L’académie qui se réunissait chez Francesco Barberini pourrait, à première vue, paraître plutôt conservatrice, puisque les témoignages montrent que la pratique de la viole n’était plus guère qu’une survivance en dehors d’elle et qu’en outre on y pratiquait l’art, lui aussi largement tombé en désuétude dans les années 1630, du madrigal polyphonique hérité de la Renaissance. Ne nous y trompons néanmoins pas : le caractère extrêmement élitiste de ces concerts – on est ici dans le cas typique d’une musica reservata – permettait, au contraire, aux compositeurs de se montrer aventureux en termes de trouvailles harmoniques et d’expressivité. Cet état d’esprit entre d’ailleurs en parfaite résonance avec une époque durant laquelle les artistes présents à Rome, peintres comme musiciens, s’attachaient à renouveler leur langage, les uns en abandonnant le caravagisme pour se tourner vers une manière nettement plus idéalisée – songez, par exemple, au succès des scènes classiques de Claude le Lorrain (c.1600-1682) –, les autres en tendant vers une fluidité mélodique et un raffinement croissants, sans rien sacrifier pour autant de la virtuosité vocale ou instrumentale, comme le montre l’essor du genre de la cantate. Des compositeurs présentés dans ce disque, complément idéal de La Tavola cromatica paru chez Raumklang en 2004, à connaître absolument lui aussi, le seul à avoir consacré un recueil spécifiquement destiné aux violes est également le plus mystérieux. Si son nom laisse deviner que ses racines se trouvent au Nord, on ne sait rien de Cherubino Waesich avant 1632, date à laquelle il publie, à Rome, ses Canzoni a cinque da sonarsi con le viole da gamba, opera seconda, ce qui suppose un opus primum perdu. Les quelques traces documentaires dont nous disposons à son sujet nous apprennent qu’il était claviériste, puisqu’on le retrouve successivement aux tribunes de Santa Maria in Trastevere puis de Santa Maria dell’Anima (1646), et qu’il tenait le clavecin lors d’un opéra représenté chez le cardinal Barberini en 1639. Son dernier emploi connu est, en 1649, un poste de maître de chapelle à San Giuliano dei Fiamminghi (Saint-Julien-des-Flamands), un fait qui tendrait à confirmer son ascendance septentrionale. Les œuvres proposées ici sont toutes de belles découvertes ; elles révèlent un musicien au métier très sûr, possédant un sens de la construction aigu, comme en atteste sa capacité à tisser entre les instrumentistes des dialogues riches et très élaborés, mais aussi doté d’une belle inventivité mélodique et d’une certaine audace, comme le démontrent les deux madrigaux. Les autres pièces de cette anthologie consistent en des transcriptions de partitions, majoritairement pour clavier, de compositeurs mieux connus des amateurs de musique italienne du premier XVIIe siècle ; ils y retrouveront avec plaisir la légèreté chorégraphique de Kapsberger, le caractère à la fois rigoureux et imprévisible de Frescobaldi, le raffinement harmonique de Domenico Mazzocchi, ainsi que deux curiosités, deux Ricercari aux ambitions presque pédagogiques de Palestrina et une sonate de Domenico Scarlatti dont le passage du clavier aux violes fait parfaitement sentir tout ce que ce maître doit aux polyphonistes du passé. Composé de quelques-uns des violistes les plus prometteurs de la jeune génération, Margaux Blanchard, François Joubert-Caillet, Amélie Chemin et Sarah Van Oudenhove, ainsi que de Bernard Zonderman au théorbe et Guy Penson à l’orgue, l’Ensemble Mare Nostrum (photographié ci-dessous en compagnie de Jérôme Lejeune) dirigé de la basse de viole par Andrea De Carlo, livre de ces pièces passionnantes une lecture en tout point aboutie. Le seul reproche que l’on fera à cette réalisation est de ne pas donner à entendre plus de musiques du méconnu Waesich, et encore ce manque est-il largement compensé par un programme dont la pertinence de la conception ménage les contrastes et la progression nécessaires pour toujours soutenir l’intérêt. Les musiciens trouvent d’emblée le ton juste pour servir au mieux un répertoire qu’ils abordent avec toute la virtuosité et la concentration qu’il requiert, parvenant à conjuguer de façon très convaincante éloquence et densité du propos en ne négligeant jamais, pour autant, de se souvenir que ces œuvres étaient également faites pour séduire. Faisant montre d’une excellente écoute mutuelle, gage d’une cohésion d’ensemble jamais prise en défaut, leur jeu possède une grande netteté d’articulation qui rend parfaitement justice aux polyphonies parfois complexes déployées par les compositeurs et met en lumière leurs trouvailles d’écriture grâce à une fermeté de trait et à une lisibilité exemplaires. Pour autant, aucune ombre de sécheresse ne vient menacer une exécution que la souplesse de ses phrasés, sa respiration très naturelle et ses couleurs sans cesse changeantes rendent réellement séduisante. Les trois madrigaux retenus pour scander, de façon bienvenue, cette heure de musique voient l’ensemble Vox Luminis aborder un genre nouveau pour lui au disque. Si sa prestation n’atteint pas forcément, pour des questions, peut-être, de langue ou de tempérament, le même degré d’évidence que lorsqu’il explore des territoires plus septentrionaux, elle demeure de très haute qualité en termes de conduite et de fini vocaux, avec un galbe et une sensualité tout à fait délectables. Saluons, pour finir, le courage d’Andrea De Carlo, un interprète et chef qui ose s’aventurer sur des terrains où maints de ses collègues craignent d’aller, comme le prouvent non seulement ce disque mais aussi ses concerts Stradella l’année dernière, et le fait avec une intelligence, une conviction et un talent qui ne peuvent que susciter le respect et l’adhésion. Je vous recommande donc sans hésiter cet enregistrement particulièrement réussi qui permet découvrir un compositeur injustement méconnu et de se plonger dans un des plus passionnants moments de la musique italienne, véritable laboratoire à ciel ouvert au sein duquel se sont élaborées, durant toute la première moitié du XVIIe siècle, la majorité des formes musicales qui allaient ensuite rayonner sur toute l’Europe. Nul doute que les mélomanes seront très reconnaissants aux ensembles Mare Nostrum et Vox Luminis de servir ce répertoire encore relativement peu exploré avec tout l’enthousiasme et le brio qu’il mérite. Il Concerto delle viole Barberini, œuvres de Giovanni Pierluigi da Palestrina (c.1525-1594), Giovanni Girolamo Kapsberger (c.1580-1651), Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Domenico Mazzocchi (1592-1665), Cherubino Waesich (actif 1632-1649) et Domenico Scarlatti (1685-1757) Ensemble Mare Nostrum Vox Luminis (pièces vocales) Andrea De Carlo, basse de viole & direction 1 CD [durée totale : 59’33”] Ricercar RIC 320. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien. Extraits proposés : 1. Giovanni Girolamo Kapsberger, Libro primo de Balli, Gagliarde et Correnti (Rome, 1615) : Ballo quarto : Ballo Cherubino Waesich, Canzoni a cinque (Rome, 1632) : 2. Canzona duodecima a 5 3. Ardo per voi, mia vita 4. Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Fiori Musicali (Rome, 1635) : Messa della Domenica : Toccata cromatica per l’Elevatione Des extraits d’une minute de chaque plage du disque peuvent être écoutés ici :
Illustrations complémentaires :
Nicolas Poussin (1594-1665), Concert d’amours, c.1626-27. Huile sur toile, 57 x 51 cm. Paris, Musée du Louvre (Photographie © RMN/Jean-Gilles Berizzi)
Nicolas Poussin (1594-1665), Mercure et Vénus, c.1626-27. Plume et encre brune, lavis brun, sur esquisse à la pierre noire, traces de sanguine, 29,8 x 40,7 cm, Paris, Musée du Louvre, Département des arts graphiques et des dessins (Photographie © RMN/Thierry Le Mage)
N.B. : ces deux œuvres sont directement liées au Vénus et Mercure choisi en illustration principale de cette chronique. Ce tableau, peint par Poussin dans les premières années suivant son arrivée à Rome en 1624, alors qu’il commençait à recevoir des commandes de collectionneurs prestigieux, dont le cardinal Barberini, fut découpé vers 1764. Comme le prouve le dessin sans doute remis par le peintre à Fabrizio Chiari qui en assura la gravure en 1636, le Concert d’amours du Louvre en constituait, avant mutilation, le coin inférieur gauche.
Published by Jean-Christophe Pucek
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