Passée des arts : Hugo Reyne, pourriez-vous nous décrire les grandes étapes qui ont marqué le festival Musiques à la Chabotterie depuis que vous en assumez, parallèlement à votre travail de chef de La Simphonie du Marais et à vos recherches musicologiques, la direction artistique et les raisons qui vous ont conduit à prendre cette responsabilité ?
Hugo Reyne : Je me suis rendu pour la première fois au Logis de la Chabotterie à l’automne 2001, alors que le directeur du site et fondateur du festival, Denis Allais, m’avait convié à diriger La Simphonie du Marais dans Le Triomphe de l’Amour de Lully et Quinault dans le cadre de l’édition 2002. J’ai immédiatement été séduit par le lieu et par l’esprit qui présidait à cette manifestation à laquelle son directeur, en mélomane averti, avait su donner une solide assise. À cette époque, je cherchais une possibilité de m’établir hors de la région parisienne afin d’assurer un meilleur épanouissement à mon ensemble en lui offrant une résidence stable. Le départ de la responsable de la programmation ainsi que le succès rencontré par Le Triomphe de l’Amour ont incité le Conseil Général de Vendée à me proposer d’assurer la direction musicale du festival dès 2003, même si la première véritable programmation dont j’ai eu la responsabilité est celle de 2004. Depuis, nombre d’événements importants ont marqué le parcours de Musiques à la Chabotterie, mais si je devais n’en citer que deux, je retiendrais la création de son label discographique en 2006 et l’aboutissement du projet Atys en 2009 qui a nécessité beaucoup d’énergie mais dont l’accueil a été une belle récompense.
Bien sûr, je poursuis, en parallèle, mes activités de directeur d’ensemble, qui ont été consolidées par l’implantation en Vendée de La Simphonie du Marais, ce qui lui permet de disposer d’excellentes conditions de travail, mais aussi de faire entendre, au niveau régional, de magnifiques musiques dans des endroits où elles n’auraient pas pénétré aussi facilement sans la mise à disposition des moyens conséquents et l’identification très forte entre l’ensemble et le festival. Cette synergie entre un ensemble, un festival et un label est, à ma connaissance, assez unique en France et constitue une force indéniable.
P.d.A. : Le festival est indissociable du Logis de la Chabotterie et reçoit le soutien du Conseil Général de Vendée. Quels sont les avantages de ce fort ancrage local ? Constitue-t-il un atout important, en particulier en des temps que l’on sait difficiles pour nombre de manifestations artistiques ?
H.R. : Le soutien que nous accorde le Conseil Général de Vendée est absolument essentiel et peut-être encore plus dans le contexte économique extrêmement tendu auquel nous devons faire face depuis quelques années. En effet, cette institution prend en charge non seulement le montage financier du festival, mais assure également, sur son propre personnel, l’intégralité de son organisation logistique, me permettant de n’avoir à me préoccuper que de l’artistique. En outre, son aide permet à La Simphonie du Marais de proposer, dans le cadre du festival, deux nouvelles créations par an et d’en enregistrer certaines. En retour, Musiques à la Chabotterie et La Simphonie du Marais participent au rayonnement de la Vendée, tant au niveau local, où leur travail sur le terrain en vue de fidéliser le public est intense, que sur le plan national et européen, en tentant de toujours proposer une programmation de qualité et des conditions d’accueil propres à attirer des musiciens venant de divers pays comme, cette année, l’ensemble russe Les Solistes de la Grande Catherine ou le britannique Florilegium. Même si le budget qu’il lui alloue n’a pas été épargné par la crise et a connu une baisse, je tiens à souligner que le Conseil Général ne s’est jamais désolidarisé du festival, qui n’aurait jamais pu, par exemple, mener à bien un projet aussi lourd qu’Atys sans sa participation et aurait même sans doute eu du mal à perdurer, en dépit des économies qu’il a réalisées sur ses frais de structure et sa logistique.
P.d.A. : Le programme de l’édition 2012 est particulièrement éclectique, puisqu’il permettra au public d’entreprendre un vaste voyage qui le conduira de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle, au travers de musiques bien connues, comme celles de Bach, Händel ou Vivaldi, mais aussi nettement moins fréquentées avec, entres autres, un programme russe ou des romances du temps de Louis XVI. Quelles ont été vos lignes directrices pour l’élaborer ? Parvenez-vous à concilier aisément les attentes d’inédit et de familier de votre auditoire ?
H.R. : Satisfaire le plus grand nombre est toujours difficile, mais j’estime vraiment, après avoir testé les deux solutions, que l’on y parvient mieux en adoptant une ligne directrice faisant la part belle à la variété plutôt qu’en se pliant à des programmations thématiques, plus rigides et souvent bancales. Le festival mise donc avant tout sur l’éclectisme pour fidéliser le plus large public, dont une partie vient au concert pour éprouver le frisson de l’inédit, quand une autre manifeste l’envie d’entendre les grandes pages du répertoire. Lorsque nous abordons ces dernières, comme cette année avec, entre autres, les Concertos Brandebourgeois de Bach, je tiens absolument à ce que ce soit avec un regard neuf. A cet effet, outre les échanges qui ont lieu avec les interprètes durant les Confidences baroques précédant les concerts, j’encourage toujours ceux-ci, comme je le fais moi-même, à expliquer en quelques mots aux auditeurs ce qu’ils vont entendre. Je tiens également compte, dans mes choix de programmation, des belles rencontres qui peuvent se produire lors des tournées, comme c’est le cas avec Les Solistes de la Grande Catherine, que nous avons déjà évoqués et qui vont proposer un programme comportant des compositeurs russes du XVIIIe siècle peu connus, mais aussi de l’amitié que j’ai pu nouer avec certains musiciens que je côtoie parfois depuis des décennies comme, entre autres, Michel Laplénie qui donnera cette année un programme intitulé Lumières du Baroque allemand. Enfin, j’essaie toujours de laisser aux artistes le plus de liberté possible quant à la composition des concerts qu’ils proposent dans le cadre du festival, car je pars du principe que s’ils prennent du plaisir en jouant des œuvres qu’ils aiment, ils le communiqueront plus facilement au public.
P.d.A. : Votre programmation 2012 met en lumière de façon courageuse, à l’occasion du tricentenaire de sa naissance, la musique de Jean-Jacques Rousseau. Les Lunaisiens donneront un récital conçu autour des ses chansons extraites du recueil Les Consolations des misères de ma vie, vous dirigerez sa pastorale Le Devin du village. La valeur des compositions de Rousseau méritait-elle cette exhumation ? Qu’ont-elles à dire à l’auditeur d’aujourd’hui ?
La musique de Rousseau n’a effectivement pas bonne réputation : elle paraît à beaucoup faible, voire mièvre, quand elle n’est pas purement et simplement ignorée. Outre l’aspect commémoratif, j’ai néanmoins décidé de faire fi de ces jugements, que je ne partage pas, pour plusieurs raisons ; tout d’abord, ces compositions revêtent une grande importance historique, car elles sont caractéristiques de la nouvelle esthétique, moins officielle et plus soucieuse du sentiment, qui se met en place vers le milieu du XVIIIe siècle, ensuite, elles me permettent de continuer à explorer, comme je l’ai fait récemment avec Molière ou jadis avec Racine ou La Fontaine, un domaine qui m’intéresse tout particulièrement, celui des rapports qu’entretiennent littérature et musique, et enfin, parce que la simplicité de ces musiques les rendent immédiatement accessibles pour l’auditeur d’aujourd’hui, comme pour celui d’hier. Il faut se souvenir que c’est en grande partie cette fraîcheur et cette absence de prétention qui a valu au Devin du village un énorme succès à son époque, les mélodies étant très facilement mémorisables et l’action représentée sur la scène ne nécessitant pas de connaissances mythologiques pour être comprise. Je suis convaincu que cette œuvre, que nous donnons avec son ballet qui est presque toujours omis, à la fois pleine de spontanéité et plus élaborée qu’il y paraît, saura séduire le public et que ses airs lui trotteront longtemps en tête.
P.d.A. : Vous avez fondé le label discographique Musiques à la Chabotterie afin de documenter une partie du travail effectué dans le cadre du festival et dont nombre de volumes, tel le récent Musiques pour les comédies de Molière, ont été salués par la presse. Cette partie de votre activité vous semble-t-elle importante en ce temps de crise du disque ? Va-t-elle se poursuivre et comptez-vous, par exemple, graver Le Devin du village de Rousseau, dont les versions disponibles sont imparfaites ?
L’enregistrement de disques est une activité réellement importante qui constitue, à mes yeux, la prolongation naturelle du concert dont elle permet de conserver sinon la mémoire immédiate, du moins la somme de travail qui a abouti à une interprétation. Cependant, force est de constater qu’en dépit du succès de certains disques, comme le Charpentier-Molière que vous évoquez, la crise est bel et bien là et fragilise énormément ce secteur, en dépit du téléchargement qui ne représente pas, à mon avis, la réponse la plus adaptée pour les amateurs de musique classique. Pour ne rien vous cacher, le festival est actuellement en pleine réflexion avec le Conseil Général de Vendée au sujet de la pérennisation du label Musiques à la Chabotterie, car le rapport entre le coût d’un enregistrement et ce qu’il rapporte est de plus en plus problématique. Ainsi, j’aimerais vraiment graver Le Devin du village qui mériterait effectivement une version aux couleurs plus « françaises » que celles existant actuellement, mais je me heurte à des problèmes pour l’heure insolubles quant au financement d’un tel projet. Je profite de la tribune que vous m’offrez pour lancer un appel aux mécènes qui souhaiteraient nous aider dans notre tâche de valorisation et de documentation du patrimoine musical français.
P.d.A. : Enfin, quels sont vos projets pour l’évolution du festival dans les années à venir ?
Comme dans le domaine du disque, j’ai énormément de désirs et de projets pour les futures éditions du festival, mais leur réalisation concrète sera totalement tributaire des contraintes économiques avec lesquelles il faudra compter et dont toutes ne sont pas actuellement connues. Je souhaite naturellement poursuivre le cycle Rameau avec, en 2013, Les Indes galantes, que j’espère pouvoir convaincre ensuite des maisons d’opéra de reprendre, et, en 2014, des œuvres un peu moins fréquentées comme ses actes de ballet. J’aimerais aussi pouvoir me consacrer avec plus de régularité à la musique instrumentale et j’espère ainsi, notamment, donner en concert la transcription pour flûte de l’Opus V de Corelli et l’enregistrer à l’occasion du tricentenaire de la mort de ce compositeur en 2013, mais aussi me pencher sur la symphonie en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une période qui regorge d’œuvres passionnantes dont bien peu est aujourd’hui mis en valeur. Pour l’heure, j’invite vos lecteurs à découvrir la programmation de cette 16e édition du festival Musiques à la Chabotterie et à faire le voyage jusqu’en Vendée pour venir déguster les multiples saveurs qu’elle s’apprête à lui offrir.
Propos recueillis en juin 2012 par Jean-Christophe Pucek
La programmation complète de l’édition 2012 du festival Musiques à la Chabotterie peut être consultée ici.
Accompagnement musical :
Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Concerts mis en simphonies (1741) :
1. Deuxième Concert : La Laborde (Rondement)
3. Troisième Concert : La Timide (1er et 2nd Rondeaux gracieux)
La Simphonie du Marais
Hugo Reyne, flûte & direction
1 CD Musiques à la Chabotterie 605006. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Note sur ce disque : je n’ai découvert ces Concerts mis en simphonies que récemment, mais il me semble qu’il s’agit d’un des meilleurs disques consacrés, ces dernières années, à la musique instrumentale de Rameau. Fruit d’un long travail de recherches sur les partitions mené par Hugo Reyne, ces 70 minutes de musique nous offrent un festival de couleurs savoureuses, parfaitement mises en valeur par une superbe prise de son, et le bonheur de goûter un esprit que l’on devine conforme à celui du compositeur et de son temps. Un enregistrement à la fois piquant et gouleyant, qui sait conjuguer avec une grande subtilité rondeurs et saillies, et dont les écoutes répétées n’épuisent pas les charmes, indispensable à tout amateur de musique française du XVIIIe siècle.
2. Jean-Féry Rebel (1666-1747), Ulysse, tragédie en musique sur un livret d’Henry Guichard (1703) : Acte I, scène VIII : « Plaisirs trop dangereux » (Pénélope, Circé, le chœur)
Stéphanie Revidat, dessus (Pénélope), Guillemette Laurens, bas-dessus (Circé)
Le Chœur du Marais
La Simphonie du Marais
Hugo Reyne, direction
2 CD Musiques à la Chabotterie 605003. Ce double disque peut être acheté en suivant ce lien.
4. Ballet de la Prospérité des armes de France (1641) : Premier acte, Récit de l’Harmonie : « Je suis l’agréable harmonie »
Catherine Padaut, dessus, Stéphane Lévy, haute-contre, Thomas van Essen, basse-taille, Sydney Fierro, basse
La Simphonie du Marais
Hugo Reyne, direction
Musiques au temps de Richelieu. 2 CD Musiques à la Chabotterie 605005. Ce double disque peut être acheté en suivant ce lien.
Illustrations :
Les photographies d’Hugo Reyne avec La Simphonie du Marais, du Logis de la Chabotterie et du spectacle Charpentier-Molière illustrant cet entretien sont la propriété d’Accent Tonique. Je remercie Véronique Furlan de m’avoir autorisé à les utiliser.