Ouverture.
Voici un extrait d’une dizaine de minutes d’un entretien donné par Pascal Quignard à Sylvain Bourmeau, du site Mediapart, que je vous conseille d’écouter avant de lire la suite de cette dernière brève d’été.
Paysage, entre 1920 et 1925.
Huile sur toile, Paris, Musée d’Orsay.
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« On appelle diable de poussière une petite tornade minuscule, haute comme deux ou trois hommes superposés, qui soulève la poussière ou la paille des champs au mois d'août. Le diable arrive au moment des orages. Colonne jaune qui s'avance en errant. Forme lumineuse, granuleuse, qui devance la foudre et annonce les éclairs. La forme tourbillonne à vive allure au-dessus des sillons dont elle prélève la terre, ou sur la grève de la rive dont elle arrache le sable, ou le long du sentier dont elle ramasse les fragments de paille et les fleurs de chardon, et elle s'effondre le plus souvent dans les branchages d'un bois. »
L’aventure a commencé en 2002, avec la parution des trois premiers volumes d’un ensemble aux contours diffus, Dernier royaume, dont Pascal Quignard parlait en ces termes : « Il y a vingt ans j’ai composé les huit tomes des Petits Traités. Ils sont parus aux éditions Maeght. Dernier royaume est un ensemble de volumes beaucoup plus étendu et étrange. Ni argumentation philosophique, ni petits essais érudits et épars, ni narration romanesque, en moi, peu à peu, tous les genres sont tombés. »
Un prix Goncourt inattendu pour Les Ombres errantes, deux volumes supplémentaires en 2005 (Les Paradisiaques, Sordidissimes), et voici que paraît, le 3 septembre 2009 aux Éditions du Seuil, La barque silencieuse, sixième volume de cette suite, au sens musical du terme. Le très court fragment donné ci-dessus permet d’envisager un livre qui, comme souvent chez Quignard, partira de l’anecdote, historique ou quotidienne, pour s’élargir progressivement à une dimension universelle, interrogeant, au-delà des trajectoires individuelles, ce qui compose le substrat de la nature humaine. Ainsi que le définit l’éditeur, « il s’agit de la recherche d’un mode de vie, plus singulier, plus radical, plus profond, sans jugement, sans société, sans dieux. C’est une suite de contes. C’est une suite de petits romans, d’anecdotes historiques, de fragments biographiques (la mort de Madame de La Fayette, Ninon de Lenclos, Henriette d’Angleterre, Arria l’Aînée, Etienne de La Boétie…). C’est une suite d’étymologies (l’origine du mot corbillard, l’origine du mot liberté, de la négation, du mot vertu, du mot hiver…). » Mais, plus encore que dans ses ouvrages précédents où ceci demeurait en filigrane, Quignard semble vouloir y exprimer plus ouvertement sa révolte face à une société qui oscille entre violence, ignorance et culte du veau d’or, tout en laissant, malgré tout, filtrer une lueur d’espoir quant à un monde dont tout semble indiquer qu’il court à sa perte.
Les livres de Pascal Quignard sont exigeants, ils se méritent, il faut s’y immerger comme on entre dans l’océan, accepter de perdre pied jusqu’à sentir la vague porteuse qui ramène vers le rivage. C’est avec une joie sans mélange que j’emprunterai la Barque silencieuse où il nous convie et que je reviendrai vous en parler dans le courant du mois prochain. J’espère que ces quelques lignes vous auront donné, à vous aussi, l’envie d’entreprendre un voyage dont il ne fait aucun doute qu’il s’annonce, après tant de mollesse estivale, vivifiant.
Pascal QUIGNARD, La barque silencieuse. Éditions du Seuil, 252 pages, 18 euros. ISBN : 9782020991094. Parution le 3 septembre 2009.
Maurice RAVEL (1875-1937), Une barque sur l’océan, version pour orchestre, créée en 1907.
Orchestre de Paris.
Jean Martinon, direction.
Œuvres pour orchestre. 2 CD EMI 0724347696022.