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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 16:48


Jean-Honoré FRAGONARD (Grasse, 1732-Paris, 1806),
La lettre d'amour, années 1770 ?
Huile sur toile, New York, Metropolitan Museum of Art.

 

Il fallait s'y attendre, la non-année Haydn - appelons les choses par leur nom - n'est guère marquée, pour le moment, par des parutions discographiques mémorables. S'il faut saluer la réédition des enregistrements de Manfred Huss à la tête de sa Haydn Sinfonietta Wien (BIS) en attendant les inédits que promet le label, l'amateur doit se contenter actuellement d'une poignée de récitals plus ou moins bien ficelés. Si Thomas Quasthoff (Deutsche Grammophon, assez inégal malgré un superbe Freiburger Barockorchester) et Anna Bonitatibus (DHM, belle réalisation vocale mais direction poussive d'Alan Curtis) ont chacun enregistré des anthologies picorant çà et là dans les opéras de Haydn, avec toutes les limites imposées par cet exercice, un disque se signale par l'intérêt de son programme et la qualité de sa réalisation.

 

Michi Gaigg, directrice de l'ensemble L'Orfeo Barockorchester (photo ci-contre), est allée piocher dans la section XXIVb du catalogue établi par Hoboken, dévolue aux airs d'insertion. Cette pratique, courante au XVIIIe siècle, consistait à insérer des airs spécialement composés pour la reprise d'un opéra, généralement italien, sur une nouvelle scène. Haydn révisa ainsi nombre de partitions d'autres compositeurs pour les donner à Eszterhaza, en les augmentant d'arias de son crû. Pour citer quelques noms, celles qui composent ce programme prenaient place, entre autres, dans des œuvres de Cimarosa, Paisiello ou Anfossi. Il y est surtout question d'amour, des joies et des tourments qu'il apporte, contentement, incertitude, jalousie, dépit ; rien de bien original dans le paysage assez convenu des livrets d'opéra du XVIIIe siècle. L'inventivité de Haydn, qui, contrairement à une opinion trop répandue qui veut qu'il soit un piètre compositeur lyrique, ceux qui soutiennent cet avis lui reprochant, en gros, de ne pas avoir écrit les mêmes opéras que Mozart, transcende heureusement ces limites. Sa musique tour à tour espiègle, tendre ou sombre, est d'une grande sobriété et d'une belle efficacité, permettant à la voix soliste, à l'origine principalement celle de Luigia Polzelli, arrivée à Eszterhaza en 1779, avec laquelle le compositeur eut très probablement une liaison durant une dizaine d'années, de se montrer sous son meilleur jour sans jamais avoir à forcer sa tessiture.

Pour rendre justice à ces arias, il fallait des interprètes qui usent plus de la carte de la subtilité de caractérisation que de celle de la pyrotechnie vocale. Nuria Rial (ci-contre, avec Michi Gaigg) et Margot Oitzinger s'en acquittent avec une aisance et une réussite confondantes. Certes, la prestation de la seconde pourra peut-être sembler un peu en retrait en comparaison de la voix à la fois moelleuse et solaire de la première, mais cette minime réserve s'envole vite à la réécoute de ce récital intelligemment conçu et supérieurement réalisé. Les deux chanteuses s'attachent à faire vivre chacun des personnages qu'elles incarnent avec beaucoup de justesse, leur conférant l'étoffe dramatique appropriée sans jamais tomber dans le piège de la gesticulation artificielle. Les incarnations successives qu'elles proposent sont marquées du sceau du naturel et de l'équilibre, d'une esthétique toute « classique », au sens historique du mot, donc parfaitement en situation ici. L'orchestre n'appelle que des éloges et répond parfaitement aux attentes que l'on peut avoir s'agissant d'un ensemble d'instruments « d'époque » dans ce répertoire, en termes de clarté d'articulation, de fruité des timbres et de réactivité. Accompagnateur de choix, l'Orfeo Barockorchester fait également merveille en solo dans le Vivace initial de la Symphonie en sol majeur Hob.I. 81, d'une tension et d'un galbe magnifiques, faisant juste regretter que les trois autres mouvements n'aient pas été enregistrés, alors que l'espace restant sur le disque le permettait. Notons, pour finir, que cette prestation prouve qu'il est tout à fait possible de jouer une symphonie de Haydn avec un continuo de clavier, sous réserve que celui-ci soit réalisé, comme ici, avec intelligence, sans que l'écoute en pâtisse.

 

Vous l'avez compris, s'il ne vous faut choisir qu'un seul récital pour cheminer une petite heure aux côtés de Haydn, c'est indubitablement vers celui-ci que je vous conseille de vous tourner. Réalisé avec une sûreté de goût qui bannit toute esbroufe, il permet de découvrir des œuvres finalement peu fréquentées au disque dans les meilleures conditions possibles. Un bel hommage rendu à un compositeur dont les qualités opératiques sont bien plus évidentes que ce que certains « spécialistes » s'obstinent à le prétendre.


Joseph HAYDN (1732-1809), Arie per un'amante, airs d'insertion, extrait de la Symphonie Hob.I. 81. 1 CD DHM 88697388672.

 

Nuria Rial, soprano.
Margot Oitzinger, mezzo-soprano.
L'Orfeo Barockorchester.
Michi Gaigg, direction.

 

Extraits proposés :

1. Symphonie en sol majeur, Hob.I. 81 (1784) : Vivace.
2. « La moglie quando è buona », air en mi bémol majeur, Hob.XXIVb. 18 (1790). Margot Oitzinger.
3. « Infelice sventurata », air en mi bémol majeur, Hob.XXIVb. 15 (1789). Nuria Rial.

La photographie de l'orchestre ainsi que celle de Michi Gaigg et Nuria Rial sont tirées du site de l'ensemble L'Orfeo Barockorchester, accessible dans le corps du billet et en cliquant ici.

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commentaires

J
Bonsoir Piero,Voici un programme alléchant que celui que vous défendez sur le forum dont je vous remercie de m'avoir donné le lien. Vous avez bien raison de défendre le compositeur d'opéras que fut Haydn et qui est toujours, de nos jours, largement sous-évalué pour de mauvaises raisons, puisqu'on lui reproche, grosso modo, de ne pas avoir écrit les opéras de Mozart (soit dit en passant, les livrets de ces derniers ne sont pas toujours à se relever la nuit...), ce qui est, à mon sens, d'une stupidité sans nom. Inutile de vous dire que dès que j'en aurais un peu plus le temps (soit dans quelques jours), je vais partir pour une longue promenade dans cet espace qui doit certainement recéler bien des trésors.Bien cordialement.
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P
Merci pour votre aimable réponse. Avec un collègue, j'ai le plaisir de contribuer à animer un forum dédié à Joseph Haydn. Actuellement c'est la période comprise entre 1775 et 1790 pendant laquelle il dirige l'opéra d'Eszterhazà qui me passionne. Je m'amuse à tenter  de reconstituer cette période féconde où tant d'opéras italiens de la deuxième moitié du 18ème siècle passèrent entre les mains expertes de Haydn qui les révisa souvent profondément. Quelques uns seulement dont Le Barbier de Séville de Paisiello et l'Arbore di Diana de Martin i Soler sortirent indemmnes. Haydn écrivit aussi d'admirables opéras italiens (treize en tout) mais il n'eut pas la chance de Mozart, Cimarosa, Salieri.... qui purent s'appuyer sur des textes de grande qualité et pâtit de l'isolement relatif du château d'Esterhazà. 
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J
Merci pour ces quelques mots de présentation, Piero, qui me permettent de faire un peu plus connaissance avec vos goûts.Je n'en fais pas mystère, je suis également très amateur de Haydn, et je demeure fasciné par sa capacité à se fondre dans le moule exigé par son patron de prince sans jamais rien renier de son originalité. J'avoue un très fort faible pour toutes les oeuvres de la période Sturm und Drang, sur lesquelles je compte m'arrêter un peu cet été, et qui, à mon sens, ne bénéficient pas forcément de la large audience que leur invention mériterait.Je connais, en revanche, bien peu Cimarosa, mais je ne demande qu'à en savoir plus. D'ailleurs, compte tenu des connaissances qui semblent être les vôtres, ne serait-il pas opportun que vous ouvriez un blog (si ce n'est déjà fait) afin de nous faire partager vos passions ?Bien cordialement à vous.
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P
Voici quelques mots de présentation.Passionné par l'oeuvre de Joseph Haydn, je suis particulièrement fasciné par la période de sa vie où il doit concilier sa fonction de Kappelmeister (en fait directeur musical de l'opéra d'Eszterhazà) et de compositeur (un peu comme l'a fait après lui Gustav Mahler). Je m'intéresse également à l'opéra italien de la deuxième moitié du 18ème siècle et considère que Domenico Cimarosa devrait être beaucoup plus connu. Son chef-d'oeuvre Artemisia, regina di Caria devrait être recrée en priorité.J'apprecie beaucoup ce blog très original, créatif et bien documenté.FélicitationsPiero
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J
Bonjour Piero1809, et bienvenue en ces terres puisqu'il me semble, sauf erreur, qu'il s'agit ici de votre premier commentaire.Vous avez parfaitement raison de souligner l'insatiable labeur qui fut celui de Haydn à Eszterhaza, Nicolas s'étant pris de passion, comme beaucoup des princes de l'époque, pour l'opéra italien et lui en ayant commandé sans cesse, qu'il s'agisse de créations originales ou de reprises plus ou moins arrangées. Ce remarquable album documente fort à propos et avec talent un pan largement laissé dans l'ombre par les interprètes. Il a fait mon bonheur et je suis heureux de vous l'avoir fait partager un peu.Bien cordialement à vous.
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