La lettre d'amour, années 1770 ?
Huile sur toile, New York, Metropolitan Museum of Art.
Il fallait s'y attendre, la non-année Haydn - appelons les choses par leur nom - n'est guère marquée, pour le moment, par des parutions discographiques mémorables. S'il faut saluer la réédition des enregistrements de Manfred Huss à la tête de sa Haydn Sinfonietta Wien (BIS) en attendant les inédits que promet le label, l'amateur doit se contenter actuellement d'une poignée de récitals plus ou moins bien ficelés. Si Thomas Quasthoff (Deutsche Grammophon, assez inégal malgré un superbe Freiburger Barockorchester) et Anna Bonitatibus (DHM, belle réalisation vocale mais direction poussive d'Alan Curtis) ont chacun enregistré des anthologies picorant çà et là dans les opéras de Haydn, avec toutes les limites imposées par cet exercice, un disque se signale par l'intérêt de son programme et la qualité de sa réalisation.
Michi Gaigg, directrice de l'ensemble L'Orfeo Barockorchester (photo ci-contre), est allée piocher dans la section XXIVb du catalogue établi par Hoboken, dévolue aux airs d'insertion. Cette pratique, courante au XVIIIe siècle, consistait à insérer des airs spécialement composés pour la reprise d'un opéra, généralement italien, sur une nouvelle scène. Haydn révisa ainsi nombre de partitions d'autres compositeurs pour les donner à Eszterhaza, en les augmentant d'arias de son crû. Pour citer quelques noms, celles qui composent ce programme prenaient place, entre autres, dans des œuvres de Cimarosa, Paisiello ou Anfossi. Il y est surtout question d'amour, des joies et des tourments qu'il apporte, contentement, incertitude, jalousie, dépit ; rien de bien original dans le paysage assez convenu des livrets d'opéra du XVIIIe siècle. L'inventivité de Haydn, qui, contrairement à une opinion trop répandue qui veut qu'il soit un piètre compositeur lyrique, ceux qui soutiennent cet avis lui reprochant, en gros, de ne pas avoir écrit les mêmes opéras que Mozart, transcende heureusement ces limites. Sa musique tour à tour espiègle, tendre ou sombre, est d'une grande sobriété et d'une belle efficacité, permettant à la voix soliste, à l'origine principalement celle de Luigia Polzelli, arrivée à Eszterhaza en 1779, avec laquelle le compositeur eut très probablement une liaison durant une dizaine d'années, de se montrer sous son meilleur jour sans jamais avoir à forcer sa tessiture.
Pour rendre justice à ces arias, il fallait des interprètes qui usent plus de la carte de la subtilité de caractérisation que de celle de la pyrotechnie vocale. Nuria Rial (ci-contre, avec Michi Gaigg) et Margot Oitzinger s'en acquittent avec une aisance et une réussite confondantes. Certes, la prestation de la seconde pourra peut-être sembler un peu en retrait en comparaison de la voix à la fois moelleuse et solaire de la première, mais cette minime réserve s'envole vite à la réécoute de ce récital intelligemment conçu et supérieurement réalisé. Les deux chanteuses s'attachent à faire vivre chacun des personnages qu'elles incarnent avec beaucoup de justesse, leur conférant l'étoffe dramatique appropriée sans jamais tomber dans le piège de la gesticulation artificielle. Les incarnations successives qu'elles proposent sont marquées du sceau du naturel et de l'équilibre, d'une esthétique toute « classique », au sens historique du mot, donc parfaitement en situation ici. L'orchestre n'appelle que des éloges et répond parfaitement aux attentes que l'on peut avoir s'agissant d'un ensemble d'instruments « d'époque » dans ce répertoire, en termes de clarté d'articulation, de fruité des timbres et de réactivité. Accompagnateur de choix, l'Orfeo Barockorchester fait également merveille en solo dans le Vivace initial de la Symphonie en sol majeur Hob.I. 81, d'une tension et d'un galbe magnifiques, faisant juste regretter que les trois autres mouvements n'aient pas été enregistrés, alors que l'espace restant sur le disque le permettait. Notons, pour finir, que cette prestation prouve qu'il est tout à fait possible de jouer une symphonie de Haydn avec un continuo de clavier, sous réserve que celui-ci soit réalisé, comme ici, avec intelligence, sans que l'écoute en pâtisse.
Vous l'avez compris, s'il ne vous faut choisir qu'un seul récital pour cheminer une petite heure aux côtés de Haydn, c'est indubitablement vers celui-ci que je vous conseille de vous tourner. Réalisé avec une sûreté de goût qui bannit toute esbroufe, il permet de découvrir des œuvres finalement peu fréquentées au disque dans les meilleures conditions possibles. Un bel hommage rendu à un compositeur dont les qualités opératiques sont bien plus évidentes que ce que certains « spécialistes » s'obstinent à le prétendre.
Joseph HAYDN (1732-1809), Arie per un'amante, airs d'insertion, extrait de la Symphonie Hob.I. 81. 1 CD DHM 88697388672.
Nuria Rial, soprano.
Margot Oitzinger, mezzo-soprano.
L'Orfeo Barockorchester.
Michi Gaigg, direction.
Extraits proposés :
1. Symphonie en sol majeur, Hob.I. 81 (1784) : Vivace.
2. « La moglie quando è buona », air en mi bémol majeur, Hob.XXIVb. 18 (1790). Margot Oitzinger.
3. « Infelice sventurata », air en mi bémol majeur, Hob.XXIVb. 15 (1789). Nuria Rial.
La photographie de l'orchestre ainsi que celle de Michi Gaigg et Nuria Rial sont tirées du site de l'ensemble L'Orfeo Barockorchester, accessible dans le corps du billet et en cliquant ici.